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Vous pouvez vous servir des raisons de bienséance et d'intérêt, pour aider et pour soutenir la religion en ce point. Une jeune fille hasarde tout pour le repos de sa vie, si elle épouse un homme vain, léger et déréglé. Donc il lui est capital de se mettre à portée d'en trouver un sage, réglé, d'un esprit solide et propre à réussir dans les emplois. Pour trouver un tel homme, il faut être modeste et ne laisser voir en soi rien de frivole et d'évaporé. Quel est l'homme sage et discret qui voudra une femme vaine, et dont la vertu paroît ambiguë, à en juger par son extérieur?

Mais votre principale ressource est de gagner le cœur de mademoiselle votre fille pour la vertu chrétienne. Ne l'effarouchez point sur la piété par une sévérité inutile; laissez-lui une liberté honnête et une joie innocente; accoutumez-la à se réjouir en deçà du péché et à mettre son plaisir loin des divertissements contagieux. Cherchez-lui des compagnies qui ne la gâtent point, et des amusements, à certaines heures, qui ne la dégoûtent jamais des occupations sérieuses du reste de la journée. Tâchez de lui faire goûter Dieu; ne souffrez pas qu'elle ne le regarde que comme un juge puissant et inexorable, qui veille sans cesse pour nous censurer et pour nous contraindre en toute occasion; faites-lui voir combien il est doux, combien il se proportionne à nos besoins et a pitié de nos foiblesses; familiarisez-la avec lui comme avec un père doux et compatissant. Ne lui laissez point regarder l'oraison comme une oisiveté ennuyeuse et comme une gêne d'esprit où l'on se met pendant que l'imagination échappée s'égare. Faites-lui entendre qu'il s'agit de rentrer souvent au dedans de soi pour y trouver Dieu, parce que son règne est au dedans de nous. Il s'agit de parler simplement à Dieu à toute heure pour lui avouer nos fautes, pour lui représenter nos besoins et pour prendre avec lui les mesures néces-saires par rapport à la correction de nos défauts. Il s'agit d'écouter Dieu dans le silence intérieur, en disant : J'écouterai ce que le Seigneur dit au dedans de moi1. Il s'agit de prendre l'heu

1. Ps. LXXIV, 9.

reuse habitude d'agir en sa présence et de faire gaiement toutes choses, grandes ou petites, pour son amour. Il s'agit de renouveler cette présence toutes les fois qu'on s'aperçoit de l'avoir perdue. Il s'agit de laisser tomber les pensées qui nous distraient dès qu'on les remarque, sans se distraire à force de combattre les distractions et sans s'inquiéter de leur fréquent retour. Il faut avoir patience avec soi-même et ne se rebuter jamais, quelque légèreté d'esprit qu'on éprouve en soi. Les distractions involontaires ne nous éloignent point de Dieu; rien ne lui est si agréable que cette humble patience d'une âme toujours prête à recommencer pour revenir vers lui. Mademoiselle votre fille entrera bientôt dans l'oraison, si vous lui en ouvrez bien la véritable entrée. Il ne s'agit ni de grands efforts d'esprit, ni de saillies d'imagination, ni de sentiments délicieux, que Dieu donne et qu'il ôte comine il lui plaît. Quand on ne connoît point d'autre oraison que celle qui consiste dans toutes ces choses si sensibles et si propres à nous flatter intérieurement, on se décourage bientôt; car une telle oraison tarit, et on croit alors avoir tout perdu. Mais dites-lui que l'oraison ressemble à une société simple, familière et tendre, ou, pour mieux dire, qu'elle est cette société même. Accoutumez-la à épancher son cœur devant Dieu, à se servir de tout pour l'entretenir, et à lui parler avec confiance, comme on parle librement et sans réserve à une personne qu'on aime et dont on est sûr d'être aimé du fond du cœur. La plupart des personnes qui se bornent à une certaine oraison contrainte sont avec Dieu comme on est avec les personnes qu'on respecte, qu'on voit rarement, par pure formalité, sans les aimer et sans être aimé d'elles; tout s'y passe en cérémonies et en compliments; on s'y gêne, on s'y ennuie, on a impatience de sortir. Au contraire, les personnes véritablement intérieures sont avec Dieu comme on est avec ses intimes amis; on ne mesure point ce qu'on dit, parce qu'on ne sait à qui on parle; on ne dit rien que de l'abondance et de la simplicité du cœur; on parle à Dieu des affaires communes, qui sont sa gloire et notre salut. Nous lui disons nos défauts que

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nous voulons corriger, nos devoirs que nous avons besoin de remplir, nos tentations qu'il faut vaincre, les délicatesses et les artifices de notre amour-propre qu'il faut réprimer. On lui dit tout; on l'écoute sur tout; on repasse ses commandements, et on va jusqu'à ses conseils. Ce n'est plus un entretien de cérémonie; c'est une conversation libre, de vraie amitié : alors Dieu devient l'ami du cœur, le père dans le sein duquel l'enfant se console, l'époux avec lequel on n'est plus qu'un même esprit par la grâce. On s'humilie sans se décourager; on a une vraie confiance en Dieu, avec une entière défiance de soi; on ne s'oublie jamais pour la correction de ses fautes, mais on s'oublie pour n'écouter jamais les conseils flatteurs de l'amour-propre. Si vous mettez dans le cœur de mademoiselle votre fille cette piété simple et nourrie par le fond, elle fera de grands progrès. Je souhaite, etc.

COMPOSÉES POUR L'EDUCATION

DE MGR LE DUC DE BOURGOGNE

I.

HISTOIRE D'UNE VIEILLE REINE ET D'UNE JEUNE PAYSANNE

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Il étoit une fois une reine si vieille, si vieille, qu'elle n'avoit plus ni dents ni cheveux; sa tête branloit comme les feuilles que le vent remue; elle ne voyoit goutte, même avec ses lunettes; le bout de son nez et celui de son menton se touchoient; elle s'étoit rapetissée de la moitié, et tout en un peloton, avec le dos si courbé, qu'on auroit cru qu'elle avoit toujours été contrefaite. Une fée qui avoit assisté à sa naissance l'aborda et lui dit: « Voulez-vous rajeunir? Volontiers, répondit la reine: je donnerois tous mes joyaux pour n'avoir que vingt ans. Il faut donc, continua la fée, donner votre vieillesse à quelque autre dont vous prendrez la jeunesse et la santé. A qui donneronsnous vos cent ans?» La reine .fit chercher partout quelqu'un qui voulut être vieux pour la rajeunir. Il vint beaucoup de gueux qui vouloient vieillir pour être riches; mais quand ils avoient vu la reine tousser, cracher, râler, vivre de bouillie, être sale, hideuse, puante, souffrante, et radoter un peu, ils ne vouloient plus se charger de ses années; ils aimoient mieux mendier et porter des haillons. Il venoit aussi des ambitieux, à qui elle promettoit de grands rangs et de grands honneurs. «Mais que faire de ces rangs? disoient-ils après l'avoir vue; nous n'oserions point nous montrer, étant si dégoûtants et si hor

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ribles. » Mais enfin il se présenta une jeune fille de village, belle comme le jour, qui demanda la couronne pour prix de sa jeunesse; elle se nommoit Péronnelle. La reine s'en fàcha d'abord; mais que faire? à quoi sert-il de se fàcher? elle vouloit rajeunir. << Partageons, dit-elle à Péronnelle, mon royaume; vous en aurez une moitié, et moi l'autre; c'est bien assez pour vous qui êtes une petite paysanne. Non, répondit la fille, ce n'est pas assez pour moi je veux tout. Laissez-moi mon bavolet, avec mon teint fleuri; je vous laisserai vos cent ans, avec vos rides et la mort qui vous talonne. Mais aussi, répondit la reine, que ferois-je, si je n'avois plus de royaume? - Vous ririez, vous danseriez, vous chanteriez comme moi, » lui dit cette fille. En parlant ainsi, elle se mit à rire, à danser et à chanter. La reine, qui étoit bien loin d'en faire autant, lui dit : « Que feriez-vous en ma place? vous n'êtes point accoutumée à la vieillesse. - Je ne sais pas, dit la paysanne, ce que je ferois: mais je voudrois bien l'essayer; car j'ai toujours ouï dire qu'il est beau d'être reine.» Pendant qu'elles étoient en marché, la fée survint, qui dit à la paysanne : « Voulez-vous faire votre apprentissage de vieille reine, pour savoir si ce métier vous accommodera? Pourquoi non? » dit la fille. A l'instant les rides couvrent son front; ses cheveux blanchissent; elle devient grondeuse et rechignée; sa tête branle, et toutes ses dents aussi; elle à déjà cent ans. La fée ouvre une petite boîte, et en tire une foule d'officiers et de courtisans richement vêtus, qui croissent à mesure qu'ils en sortent, et qui rendent mille respects à la nouvelle reine. On lui sert un grand festin: mais elle est dégoûtée et ne sauroit mâcher; elle est honteuse et étonnée; elle ne sait ni que dire ni que faire; elle tousse à crever; elle crache sur son menton; elle a au nez une roupie gluante qu'elle essuie avec sa manche; elle se regarde au miroir, et se trouve plus laide qu'une guenuche: Cependant la véritable reine étoit dans un coin qui rioit et qui commençoit à devenir jolie; ses cheveux revenoient, et ses dents aussi; elle reprenoit un bon teint frais et vermeil; elle se redressoit avec mille petites façons: mais elle étoit cras

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