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seuse, court-vêtue, et faite comme un petit torchon qui a traîné dans les cendres. Elle n'étoit pas accoutumée à cet équipage; et les gardes, la prenant pour quelque servante de cuisine, vouloient la chasser du palais. Alors Péronnelle lui dit : « Vous voilà bien embarrassée de n'être plus reine, et moi encore davantage de l'être tenez, voilà votre couronne, rendez-moi ma cotte grise. » L'échange fut aussitôt fait, et la reine de vieillir, et la paysanne de rajeunir. A peine le changement fut fait, que toutes deux s'en repentirent; mais il n'étoit plus temps. La fée les condanna à demeurer chacune dans sa condition. La reine pleuroit tous les jours. Dès qu'elle avoit mal au bout du doigt, elle disoit « Hélas! si j'étois Péronnelle, à l'heure que je parle je serois logée dans une chaumière, et je vivrois de châtaignes; mais je danserois sous l'orme avec les bergers, au son de la flûte. Que me sert d'avoir un beau lit, où je ne fais que souffrir, et tant de gens qui ne peuvent me soulager? » Ce chagrin augmenta ses maux; les médecins, qui étoient sans cesse autour d'elle, les augmentèrent aussi. Enfin elle mourut au bout de deux mois. Péronnelle faisoit une danse ronde le long d'un clair ruisseau avec ses compagnies, quand elle apprit la mort de la reine alors elle reconnut qu'elle avoit été plus heureuse que sage d'avoir perdu la royauté. La fée revint la voir eț lui donna à choisir de trois maris: l'un, vieux, chagrin, désagréable, jaloux et cruel, mais riche, puissant et très-grand seigneur, qui ne pourroit ni jour ni nuit se passer de l'avoir auprès de lui; l'autre bien fait, doux, commode, aimable et d'une grande naissance, mais pauvre et malheureux en tout; le dernier, paysan comme elle, qui ne seroit ni beau ni laid, qui ne l'aimeroit ni trop ni peu, qui ne seroit ni riche ni pauvre. Elle ne savoit lequel prendre; car naturellement elle aimoit fort les beaux habits, les équipages et les grands honneurs. Mais la fée lui dit : « Allez, vous êtes une sotte. Voyez vous ce paysan? c'est le mari qu'il vous faut. Vous aimeriez trop le second; vous seriez trop aimée du premier; tous deux vous rendroient malheureuse : c'est bien assez que le troisième ne vous batte point. Il vaut mieux danser

sur l'herbe ou sur la fougère que dans un palais, et être Péronnelle au village qu'une dame malheureuse dans le beau monde. Pourvu que vous n'ayez aucun regret aux grandeurs, vous serez heureuse avec votre laboureur toute votre vie. »

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HISTOIRE DE LA REINE GISÈLE ET DE LA FILLE CORYSANTE

Il étoit une fois une reine nommée Gisèle, qui avoit beaucoup d'esprit et un grand royaume. Son palais étoit tout de marbre; le toit étoit d'argent; tous les meubles qui sont ailleurs de fer ou de cuivre étoient couverts de diamants. Cette reine étoit fée, et elle n'avoit qu'à faire des souhaits, aussitôt tout ce qu'elle vouloit ne manquoit pas d'arriver. Il n'y avoit qu'un seul point qui ne dépendoit pas d'elle, c'est qu'elle avoit cent ans, et elle ne pouvoit se rajeunir. Elle avoit été plus belle que le jour, et elle étoit devenue si laide et si horrible, que les gens mêmes qui venoient lui faire la cour cherchoient, en lui parlant, des prétextes pour tourner la tête, de peur de la regarder. Elle étoit toute courbée, tremblante, boiteuse, ridée, crasseuse, chassieuse, toussant et crachant toute la journée avec une saleté qui faisoit bondir le cœur. Elle étoit borgne et presque aveugle; ses yeux de travers avoient une bordure d'écarlate: enfin elle avoit une barbe grise au menton. En cet état, elle ne pouvoit se regarder elle-même, et elle avoit fait casser tous les miroirs de son palais. Elle n'y pouvoit souffrir aucune jeune personne d'une figure raisonnable. Elle ne se faisoit servir que par des gens borgnes, bossus, boiteux et estropiés. Un jour on présenta à la reine une jeune fille de quinze ans, d'une merveilleuse beauté, nommée Corysante. D'abord elle se récria: « Qu'on ôte cet objet de devant mes yeux. » Mais la mère de cette jeune fille lui dit : « Madame, ma fille est fée, et elle a le pouvoir de vous donner en un moment toute sa jeunesse et toute sa beauté. » La reine, détournant ses yeux, répondit : « Eh bien, que faut-il lui donner en récompense ? Tous vos trésors, et votre couronne même, lui réC'est de quoi je ne me dépouillerai jamais,

pondit la mère.

s'écria la reine; j'aime mieux mourir. » Cette offre ayant été rebutée, la reine tomba malade d'une maladie qui la rendoit si puante et si infecte, que ses femmes n'osoient approcher d'elle pour la servir, et que ses médecins jugèrent qu'elle mourroit dans peu de jours. Dans cette extrémité, elle envoya chercher la jeune fille, et la pria de prendre sa couronne et tous ses trésors, pour lui donner sa jeunesse avec sa beauté. La jeune fille lui dit : « Si je prends votre couronne et vos trésors, en vous donnant ma beauté et mon âge, je deviendrai tout à coup vieille et difforme comme vous. Vous n'avez pas voulu d'abord faire ce marché, et moi j'hésite à mon tour pour savoir si je dois le faire. » La reine la pressa beaucoup; et comme la jeune fille sans expérience étoit fort ambitieuse, elle se laissa toucher au plaisir d'être reine. Le marché fut conclu. En un moment Gisèle se redressa, et sa taille devint majestueuse; son teint prit les plus belles couleurs; ses yeux parurent vifs; la fleur de la jeunesse se répandit sur son visage; elle charma toute l'assemblée. Mais il fallut qu'elle se retirât dans un village et sous une cabane, étant couverte de haillons. Corysante, au contraire, perdit tous ses agréments, et devint hideuse. Elle demeura dans ce superbe palais et commanda en reine. Dès qu'elle se vit dans un miroir, elle soupira et dit qu'on n'en présentât jamais aucun devant elle. Elle chercha à se consoler par ses trésors. Mais son or et ses pierreries ne l'empêchoient point de souffrir tous les maux de la vieillesse. Elle vouloit danser, comme elle étoit accoutumée de le faire avec ses compagues, dans des prés fleuris, à l'ombre des bocages; mais elle ne pouvoit plus se soutenir qu'avec un bâton. Elle vouloit faire des festins; mais elle étoit si languissante et si dégoûtée, que les mets les plus délicieux lui faisoient mal au cœur. Elle n'avoit même aucune dent, et ne pouvoit se nourrir que d'un peu de bouillie. Elle vouloit entendre des concerts de musique, mais elle étoit sourde. Alors elle regretta sa jeunesse et sa beauté, qu'elle avoit follement quittées pour une couronne et pour des trésors dont elle ne pouvoit se servir. De plus, elle qui avoit été bergère, et qui étoit accoutumée à passer les jours

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à chanter en conduisant ses moutons, elle étoit à tout moment importunée d'affaires difficiles qu'elle ne pouvoit point régler. D'un autre côté Gisèle, accoutumée à régner, à posséder tous les plus grands biens, avoit déjà oublié les incommodités de la vieillesse; elle étoit inconsolable de se voir si pauvre. « Quoi! disoitelle, serai-je toujours couverte de haillons? A quoi me sert toute ma beauté sous cet habit crasseux et déchiré? A quoi me sert-il d'être belle, pour n'être vue que dans un village, par des gens si grossiers? On me méprise; je suis réduite à servir et à conduire des bêtes. Hélas! j'étois reine; je suis bien malheureuse d'avoir quitté ma couronne et tant de trésors! Oh! si je pouvois les ravoir! Il est vrai que je mourrois bientôt; eh bien! les autres reines ne meurent-elles pas? Ne faut-il pas avoir le courage de souffrir et de mourir, plutôt que de faire une bassesse pour devenir jeune ? » Corysante sentit que Gisèle regrettoit son premier état, et lui dit qu'en qualité de fée elle pouvoit faire un second échange. Chacune reprit son premier état. Gisèle redevint reine, mais vieille et horrible. Corysante reprit ses charmes et la pauvreté de bergère. Bientôt Gisèle, accablée de maux, s'en repentit et déplora son aveuglement. Mais Corysante, qu'elle pressoit de changer encore, lui répondit : « J'ai maintenant éprouvé les deux conditions; j'aime mieux être jeune et manger du pain noir, et chanter tous les jours en gardant mes moutons, que d'être reine comme vous dans le chagrin et dans la douleur. >>

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Il y avoit une fois un roi et une reine qui n'avoient point d'enfants. Ils en étoient si fàchés, si fàchés, que personne n'a jamais été plus fàché. Enfin la reine devint grosse et accoucha d'une fille, la plus belle qu'on ait jamais vue. Les fées vinrent à sa naissance; mais elles dirent toutes à la reine que le mari de sa fille auroit onze bouches, ou que si elle ne se marioit avant l'âge de vingt-deux ans, elle deviendroit crapaud. Cette prédiction

troubla la reine. La fille avoit à peine quinze ans, qu'il se présenta un homme qui avoit les onze bouches et dix-huit pieds de haut; mais la princesse le trouva si hideux, qu'elle n'en voulut jamais. Cependant l'âge fatal approchoit, et le roi, qui aimoit mieux voir sa fille mariée à un monstre que de devenir crapaud, résolut de la donner à l'homme à onze bouches. La reine trouva l'alternative fâcheuse. Comme tout se préparoit pour les noces, la reine se souvint d'une certaine fée qui avoit été autrefois de ses amies; elle la fit venir et lui demanda si elle ne pouvoit les empêcher. « Je ne le puis, madame, lui répondit-elle, qu'en changeant votre fille en linotte. Vous l'aurez dans votre chambre; elle parlera toutes les nuits, et chantera toujours. » La reine y consentit. Aussitôt la princesse fut couverte de plumes fines et s'envola chez le roi, de là revint à la reine, qui lui fit mille caresses. Cependant le roi fit chercher la princesse; on ne la trouva point. Toute la cour étoit en deuil. La reine faisoit semblant de s'affliger comme les autres: mais elle avoit toujours sa linotte; elle s'entretenoit toutes les nuits avec elle. Un jour le roi lui demanda comment elle avoit eu une linotte si spirituelle: elle lui répondit que c'étoit une fée de ses amies qui la lui avoit donnée. Deux mois se passèrent tristement. Enfin, le monstre, lassé d'attendre, dit au roi qu'il le mangeroit avec toute sa cour, si dans huit jours il ne lui donnoit la princesse; car il étoit ogre. Cela inquiéta la reine, qui découvrit tout au roi. On envoya querir la fée, qui rendit à la princesse sa première forme. Cependant il arriva un prince qui, outre sa bouche naturelle, en avoit une au bout de chaque doigt de la main. Le roi auroit bien voulu lui donner sa fille, mais il craignoit le monstre. Le prince, qui étoit devenu amoureux de la princesse, résolut de se battre contre l'ogre. Le roi n'y consentit qu'avec beaucoup de peine. On prit le jour : lorsqu'il fut arrivé, les champions s'avancèrent dans le lieu du combat. Tout le monde faisoit des vœux pour le prince; mais, à voir le géant si terrible, on trembloit de peur pour le prince. Le monstre portoit une massue de chêne, dont il déchargea un coup sur Aglaor; car c'étoit ainsi que se nommoit le prince,

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