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il les connut si méchants et si dissimulés, qu'il n'osoit plus se fier à personne. Plus il devenoit puissant et redoutable, moins il étoit aimé, et il voyoit qu'il n'étoit aimé d'aucun de ceux mêmes à qui il avoit fait les plus grands biens. Pour se consoler il résolut d'aller dans tous les pays du monde chercher une femme parfaite qu'il pût épouser, dont il pût être aimé, et par laquelle il pût se rendre heureux. Il la chercha longtemps; et comme il voyoit tout sans être vu, il connoissoit les secrets les plus impénétrables. I alla dans toutes les cours il trouva partout des femmes dissimulées, qui vouloient être aimées, et qui s'aimoient trop elles-mêmes pour aimer de bonne foi un mari. Il passa dans toutes les maisons particulières : l'une avoit l'esprit léger et inconstant, l'autre étoit artificieuse, l'autre hautaine, l'autre bizarre; presque toutes fausses, vaines et idolâtres de leur personne. Il descendit jusqu'aux plus basses conditions, et il trouva enfin la fille d'un pauvre laboureur, belle comme le jour, mais simple et ingénue dans sa beauté, qu'elle comptoit pour rien, et qui étoit, en effet, sa moindre qualité; car elle avoit un esprit. et une vertu qui surpassoient toutes les gràces de sa personne. Toute la jeunesse de son voisinage s'empressoit pour la voir, et chaque jeune homme eût cru assurer le bonheur de sa vie en l'épousant. Le roi Alfaroute ne put la voir sans en être passionné. Il la demanda à son père, qui fut transporté de joie de voir que sa fille seroit une grande reine. Cariphile (c'étoit son nom) passa de la cabane de son père dans un riche palais, où une cour nombreuse la reçut. Elle n'en fut point éblouie; elle conserva sa simplicité, sa modestie, sa vertu, et elle n'oublia point d'où elle étoit venue, lorsqu'elle fut au comble des honneurs. Le roi redoubla sa tendresse pour elle, et crut enfin qu'il parviendroit à être heureux. Peu s'en falloit qu'il ne le fût déjà, tant il commençoit à se fier au bon cœur de la reine. Il se rendoit à toute heure invisible pour l'observer et pour la surprendre, mais il ne découvrit rien en elle qu'il ne trouvât digne d'être admiré. Il n'y avoit plus qu'un reste de jalousie et de défiance qui le troubloit encore dans son amitié. La fée, qui lui avoit prédit les

suites funestes de son dernier don, l'avertissoit souvent, et il en fut importuné. Il donna ordre qu'on ne la laissât plus entrer dans le palais, et dit à la reine qu'il lui défendoit de la recevoir. La reine promit, avec beaucoup de peine, d'obéir, parce qu'elle aimoit fort cette bonne fée. Un jour, la fée, voulant instruire la reine sur l'avenir, entra chez elle sous la figure d'un officier, et déclara à la reine qui elle étoit. Aussitôt la reine l'embrassa tendrement. Le roi, qui étoit alors invisible, l'aperçut, et fut transporté de jalousie par la fureur : il tira son épée et en perça la reine, qui tomba mourante entre ses bras. Dans ce moment, la fée reprit sa véritable figure. Le roi la reconnut et comprit l'innocence de la reine. Alors il voulut se tuer. La fée arrêta le coup et tâcha de le consoler. La reine, en expirant, lui dit : «Quoique je meure de votre main, je meurs toute à vous. » Àlfaroute déplora son malheur d'avoir voulu, malgré la fée, un don qui lui étoit si funeste. Il lui rendit la bague, et la pria de lui ôter ses ailes. Le reste de ses jours se passa dans l'amertume et la douleur. Il n'avoit point d'autre consolation que d'aller pleurer sur le tombeau de Cariphile.

VI.

HISTOIRE DE ROSIMOND ET DE BRAMINTE

Il étoit une fois un jeune homme plus beau que le jour, nommé Rosimond, et qui avoit autant d'esprit et de vertu que son frère aîné Braminte étoit mal fait, désagréable, brutal et méchant. Leur mère, qui avoit horreur de son fils aîné, n'avoit des yeux que pour voir le cadet. L'aîné, jaloux, invente une calomnie horrible pour perdre son frère: il dit à son père que Rosimond alloit souvent chez un voisin, qui étoit son ennemi, pour lui rapporter tout ce qui se passoit au logis, et pour lui donner le moyen d'empoisonner son père. Le père, fort emporté, battit cruellement son fils, le mit en sang, puis le tint trois jours en prison sans nourriture, et enfin le chassa de sa maison, en le menaçant de le tuer s'il revenoit jamais. La mère, épouvantée, n'osa rien dire; elle ne fit que gémir. L'enfant s'en alla

pleurant; et ne sachant où se retirer, il traversa sur le soir un grand bois : la nuit le surprit au pied d'un rocher; il se mit à l'entrée d'une caverne sur un tapis de mousse où couloit un clair ruisseau, et il s'y endormit de lassitude. Au point du jour, en s'éveillant, il vit une belle femme montée sur un cheval gris, avec une housse en broderie d'or, qui paroissoit aller à la chasse. <«< N'avez-vous point vu passer un cerf et des chiens? » lui ditelle. Il répondit que non. Puis elle ajouta : « Il me semble que vous êtes affligé. Qu'avez-vous? Tenez, voilà une bague qui vous rendra le plus heureux et le plus puissant des hommes, pourvu que vous n'en abusiez jamais. Quand vous tournerez le diamant en dedans, vous serez d'abord invisible; dès que vous le tournerez en dehors, vous paroîtrez à découvert. Quand vous mettrez l'anneau à votre petit doigt, vous paroîtrez le fils du roi, suivi de toute une cour magnifique : quand vous le mettrez au quatrième doigt, vous paroîtrez dans votre figure naturelle. » Aussitôt le jeune homme comprit que c'étoit une fée qui lui parloit. Après ces paroles, elle s'enfonça dans le bois. Pour lui, il s'en retourna aussitôt chez son père, avec impatience de faire l'essai de sa bague. Il vit et entendit tout ce qu'il voulut, sans être découvert. Il ne tint qu'à lui, de se venger de son frère, sans s'exposer à aucun danger. Il se montra seulement à sa mère, l'embrassa et lui dit sa merveilleuse aventure. Ensuite, mettant l'anneau enchanté à son petit doigt, il parut tout à coup comme le prince fils du roi, avec cent beaux chevaux, et un grand nombre d'officiers richement vêtus. Son père fut bien étonné de voir le fils du roi dans sa petite maison; il étoit embarrassé, ne sachant quels respects il devoit lui rendre. Alors Rosimond lui demanda combien il avoit de fils. "Deux, répondit le père. Je les veux voir; faites-les venir tout à l'heure, lui dit Rosimond je les veux emmener tous deux à la cour pour faire leur fortune. » Le père timide répondit en hésitant : « Voilà l'aîné que je vous présente. Où est donc le cadet? je le veux voir aussi, dit encore Rosimond. Il n'est pas ici, dit le père. Je l'avois châtié pour une faute et il m'a

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quitté. » Alors Rosimond lui dit : « Il falloit l'instruire, mais non pas le chasser. Donnez-moi toujours l'aîné; qu'il me suive. Et vous, dit-il, parlant au père, suivez deux gardes qui vous conduiront au lieu que je leur marquerai. » Aussitôt deux gardes emmenèrent le père, et la fée dont nous avons parlé l'ayant trouvé dans une forêt, elle le frappa d'une verge d'or et le fit entrer dans une caverne sombre et profonde, où il demeura enchanté. « Demeurez-y, dit-elle, jusqu'à ce que votre fils vienne vous en tirer. »>< Cependant le fils alla à la cour du roi, dans un temps où le jeune prince s'étoit embarqué pour aller faire la guerre dans une île éloignée. Il avoit été emporté par les vents sur des côtes inconnues où, après un naufrage, il étoit captif chez un peuple sauvage. Rosimond parut à la cour, comme s'il eût été le prince qu'on croyoit perdu, et que tout le monde pleuroit. Il dit qu'il étoit revenu par le secours de quelques marchands, sans lesquels il seroit péri. Il fit la joie publique. Le roi parut si transporté, qu'il ne pouvoit parler; et il ne se lassoit point d'embrasser son fils qu'il avoit cru mort. La reine fut encore plus attendrie. On fit de grandes réjouissances dans tout le royaume. Un jour, celui qui passoit pour le prince dit à son véritable frère : « Braminte, vous voyez que je vous ai tiré de votre village pour faire votre fortune; mais je sais que vous êtes un menteur et que vous avez, par vos impostures, causé le malheur de votre frère Rosimond: il est ici caché. Je veux que vous parliez à lui, et qu'il vous reproche vos impostures. » Braminte, tremblant, se jeta à ses pieds et lui avoua sa faute. « N'importe, dit Rosimond, je veux que vous parliez à votre frère, et que vous lui demandiez pardon. Il sera bien généreux s'il vous pardonne; il est dans mon cabinet, où je vous le ferai voir tout à l'heure. Cependant je m'en vais dans une chambre voisine pour vous laisser librement avec lui, » Braminte entra, pour obéir, dans le cabinet. Aussitôt Rosimond l'embrassa en pleurant, lui pardonna et lui dit : « Je suis en pleine faveur auprès du prince; il ne tient qu'à moi de vous faire périr ou de vous tenir toute votre vie dans une prison; mais je veux être aussi bon pour vous que

vous avez été méchant pour moi. » Braminte, honteux et confondu, lui répondit avec soumission, n'osant lever les yeux ni le nommer son frère. Ensuite Rosimond fit semblant de faire un voyage en secret pour aller épouser une princesse d'un royaume voisin; mais, sous ce prétexte, il alla voir sa mère, à laquelle il raconta tout ce qu'il avoit fait à la cour, et lui donna, dans le besoin, quelque petit secours d'argent, car le roi lui laissoit prendre tout ce qu'il vouloit; mais il n'en prenoit jamais beaucoup. Cependant il s'éleva une furieuse guerre entre le roi et un autre roi voisin, qui étoit injuste et de mauvaise foi. Rosimond alla à la cour du roi ennemi; entra, par le moyen de son anneau, dans tous les conseils secrets de ce prince, demeurant toujours invisible. Il profita de tout ce qu'il apprit des mesures des ennemis i les prévint, et les déconcerta en tout; il commanda l'armée contre eux; il les défit entièrement dans une grande bataille, et conclut bientôt avec eux une paix glorieuse, à des conditions équitables. Le roi ne songeoit qu'à le marier avec une princesse héritière d'un royaume voisin, et plus belle que les Grâces. Mais, un jour, pendant que Rosimond étoit à la chasse dans la même forêt où il avoit trouvé la fée, elle se présenta à lui. « Gardez-vous bien, lui dit-elle d'une voix sévère, de vous marier comme si vous étiez le prince; il ne faut tromper personne; il est juste que le prince pour qui l'on vous prend revienne succéder à son père. Allez le chercher dans une île où les vents que j'enver ai enfler les voiles de votre vaisseau vous mèneront sans peine. Hàtez-vous de rendre ce service à votre maître, contre ce qui pourroit flatter votre ambition, et songez à rentrer en homme de bien dans votre condition naturelle. Si vous ne le faites, vous serez injuste et malheureux; je vous abandonnerai à vos anciens malheurs. » Rosimond profita sans peine d'un si sage conseil. Sous prétexte d'une négociation secrète dans un État voisin, il s'embarqua sur un vaisseau, et les vents le menèrent d'abord dans l'île où la fée lui avoit dit. qu'étoit le vrai fils du roi. Ce prince étoit captif chez un peuple. sauvage, où on lui faisoit garder des troupeaux. Rosimond, invi

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