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leil seul, dans le sein de Téthys, jouissoit d'un profond repos; mais ensuite, quand il fut obligé de remonter sur son char attelé par les Heures et devancé par l'Aurore, qui sème son chemin de roses, il aperçut tout l'Olympe couvert de nuages; il vit les restes d'une tempête qui avoit effrayé les mortels pendant toute la nuit. Les nuages étoient encore empestés de l'odeur des vapeurs soufrées qui avoient allumé les éclairs et fait gronder le menaçant tonnerre; les vents séditieux, ayant rompu leurs chaînes et forcé leurs cachots profonds, mugissoient encore dans les vastes plaines de l'air; des torrents tomboient des montagnes dans tous les vallons. Celui dont l'œil plein de rayons anime toute la nature voyoit de toutes parts, en se levant, le reste d'un cruel orage. Mais ce qui l'émut davantage, il vit un jeune nourrisson des Muses qui lui étoit fort cher, et à qui la tempête avoit dérobé le sommeil lorsqu'il commençoit déjà à étendre ses sombres ailes sur ses paupières. Il fut sur le point de ramener ses chevaux en arrière et de retarder le jour, pour rendre le repos à celui qui l'avoit perdu. « Je veux, dit-il, qu'il dorme : le sommeil rafraîchira son sang, apaisera sa bile, lui donnera la santé et la force dont il aura besoin pour imiter les travaux d'Hercule, lui inspirera je ne sais quelle douceur tendre qui pourroit seule lui manquer. Pourvu qu'il dorme, qu'il rie, qu'il adoucisse son tempérament, qu'il aime les jeux de la société, qu'il prenne plaisir à aimer les hommes et à se faire aimer d'eux, toutes les grâces de l'esprit et du corps viendront en foule pour l'orner. »

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Virgile, étant descendu aux enfers, entra dans ces campagnes fortunées où les héros et les hommes inspirés des dieux passent une vie bienheureuse sur des gazons toujours émaillés de fleurs et entrecoupés de mille ruisseaux. D'abord le berger Aristée, qui étoit là au nombre des demi-dieux, s'avança vers lui, ayant appris son nom. « Que j'ai de joie, lui dit-il, de voir un si granđ poëte! Vos vers coulent plus doucement que la rosée sur l'herbe

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tendre; ils ont une harmonie si douce qu'ils attendrissent le cœur, et qu'ils tirent les larmes des yeux. Vous en avez fait, pour moi et pour mes abeilles, dont Homère même pourroit être jaloux. Je vous dois, autant qu'au Soleil et à Cyrène, la gloire dont je jouis. Il n'y a pas encore longtemps que je les récitai, ces vers si tendres et si gracieux, à Linus, à Hésiode et à Homère. Après les avoir entendus, ils allèrent tous trois boire de l'eau du fleuve Léthé, pour les oublier, tant ils étoient affligés de repasser dans leur mémoire des vers si dignes d'eux, qu'ils n'avoient pas faits. Vous savez que la nation des poëtes est jalouse. Venez donc parmi eux prendre votre place. Elle sera bien mauvaise, cette place, répondit Virgile, puisqu'ils sont si jaloux. J'aurai de mauvaises heures à passer dans leur compagnie; je vois bien que vos abeilles n'étoient pas plus faciles à irriter que ce chœur des poëtes. Il est vrai, reprit Aristée ; ils bourdonnent comme les abeilles; comme elles, ils ont un aiguillon perçant pour piquer tout ce qui enflamme leur colère. J'aurai encore, dit Virgile, un autre grand homme à ménager ici c'est le divin Orphée. Comment vivez-vous ensemble? Assez mal, répondit Aristée. Il est encore jaloux de sa femme, comme les trois autres de la gloire des vers : mais pour vous, il vous recevra bien, car vous l'avez traité honorablement, et vous avez parlé beaucoup plus sagement qu'Ovide de sa querelle avec les femmes de Thrace qui le massacrèrent. Mais ne tardons pas davantage entrons dans ce petit bois sacré, arrosé de tant de fontaines plus claires que le cristal; vous verrez que toute la troupe sacrée se lèvera pour vous faire honneur. N'entendez-vous pas déjà la lyre d'Orphée ? Écoutez Linus qui chante le combat des dieux contre les géants. Homère se prépare à chanter Achille, qui venge la mort de Patrocle par celle d'Hector. Mais Hésiode est celui que vous avez le plus à craindre; car, de l'humeur dont il est, il sera bien fàché que vous ayez osé traiter avec tant d'élégance toutes les choses rustiques qui ont été son partage. » A peine Aristée eut achevé ces mots, qu'ils arrivèrent dans cet ombrage frais où règne un éternel enthou

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siasme qui possède ces hommes divins. Tous se levèrent; on fit asseoir Virgile, on le pria de chanter ses vers. Il les chanta d'abord avec modestie, et puis avec transport. Les plus jaloux sentirent malgré eux une douceur qui les ravissoit. La lyre d'Orphée, qui avoit enchanté les rochers et les bois, échappa de ses mains, et des larmes amères coulèrent de ses yeux. Homère oublia pour un moment la magnificence rapide de l'Iliade et la variété agréable de l'Odyssée ; Linus crut que ces beaux vers avoient été faits par son père Apollon; il étoit immobile, saisi et suspendu par un si doux chant. Hésiode, tout ému, ne pouvoit résister à ce charme. Enfin, revenant un peu à lui, il prononça ces paroles pleines de jalousie et d'indignation: «O Virgile, tu as fait des vers plus durables que l'airain et que le bronze! Mais je te prédis qu'un jour on verra un enfant qui les traduira en sa langue, et qui partagera avec toi la gloire d'avoir chanté les abeilles. >>>

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Sur les bords toujours verts du fleuve Alphée il y a un bocage sacré où trois naïades répandent à grand bruit leurs eaux claires, et arrosent les fleurs naissantes : les Grâces y vont souvent se baigner. Les arbres de ce bocage ne sont jamais agités par les vents, qui les respectent; ils sont seulement caressés par le souffle des doux zéphyrs. Les nymphes et les faunes y font la nuit des danses au son de la flûte de Pan. Le soleil ne sauroit percer de ses rayons l'ombre épaisse que forment les rameaux entrelacés de ce bocage. Le silence, l'obscurité et la délicieuse fraîcheur y règnent le jour comme la nuit. Sous ce feuillage on entend Philomèle qui chante d'une voix plaintive et mélodieuse ses anciens malheurs, dont elle n'est pas encore consolée. Une jeune fauvette, au contraire, y chante ses plaisirs, et elle annonce le printemps à tous les bergers d'alentour. Philomèle même est jalouse des chansons tendres de sa compagne. Un our, elles aperçurent un jeune berger qu'elles n'avoient point

encore vu dans ces bois; il leur parut gracieux, noble, aimant les Muses et l'harmonie elles crurent que c'étoit Apollon, tel qu'il fut autrefois chez le roi Admète, ou du moins quelque jeune héros du sang de ce dieu. Les deux oiseaux, inspirés par les Muses, commencèrent aussitôt à chanter ainsi :

« Quel est donc ce berger ou ce dieu inconnu qui vient orner notre bocage? Il est sensible à nos chansons; il aime la poésie : elle adoucira son cœur, et le rendra aussi aimable qu'il est fier. » Alors Philomèle continua seule :

«Que ce jeune héros croisse en vertu, comme une fleur que le printemps fait éclore! qu'il aime les doux jeux de l'esprit ! que les grâces soient sur ses lèvres! que la sagesse de Minerve règne dans son cœur! »

La fauvette lui répondit :

<«< Qu'il égale Orphée par les charmes de sa voix, et Hercule par ses hauts faits! qu'il porte dans son cœur l'audace d'Achille, sans en avoir la férocité! qu'il soit bon, qu'il soit sage, bienfaisant, tendre pour les hommes, et aimé d'eux ! Que les Muses fassent naître en lui toutes les vertus ! »>

Puis les deux oiseaux inspirés reprirent ensemble:

« Il aime nos douces chansons; elles entrent dans son cœur, comme la rosée tombe sur nos gazons brûlés par le soleil. Que les dieux le modèrent et le rendent toujours fortuné! qu'il tienne en sa main la corne d'abondance! que l'àge d'or revienne par lui! que la sagesse se répande de son cœur sur tous les mortels! et que les fleurs naissent sous ses pas ! »>

Pendant qu'elles chantèrent, les zéphyrs retinrent leurs haleines; toutes les fleurs du bocage s'épanouirent; les ruisseaux formés par les trois fontaines suspendirent leurs cours; les satyres et les faunes, pour mieux écouter, dressoient leurs oreilles aiguës; Écho redisoit ces belles paroles à tous les rochers d'alentour; et toutes les dryades sortirent du sein des arbres verts, pour admirer celui que Philomèle et sa compague venoient de chanter.

XXV. LE DÉPART DE LYCON

Quand la Renommée, par le son éclatant de sa trompette, eut annoncé aux divinités rustiques et aux bergers de Cynthe le départ de Lycon, tous ces bois si sombres retentirent de plaintes amères. Écho les répétoit tristement à tous les vallons d'alentour. On n'entendoit plus le doux son de la flûte ni celui du hautbois. Les bergers mêmes, dans leur douleur, brisoient leurs chalumeaux. Tout languissoit: la tendre verdure des arbres commençoit à s'effacer; le ciel, jusqu'alors si serein, se chargeoit de noires tempêtes; les cruels aquilons faisoient déjà frémir les bocages comme en hiver. Les divinités même les plus champêtres ne furent pas insensibles à cette perte; les dryades sortoient des troucs creux des vieux chênes pour regretter Lycon. Il se fit une assemblée de ces tristes divinités autour d'un grand arbre qui élevoit ses branches vers les cieux, et qui couvroit de son ombre épaisse la terre, sa mère, depuis plusieurs siècles. Hélas! autour de ce vieux tronc noueux et d'une grosseur prodigieuse, les nymphies de ce bois, accoutumées à faire leurs danses et leurs jeux folâtres, vinrent raconter leur malheur. « C'en est fait, disoient-elles, nous ne reverrons plus Lycon; il nous quitte; la fortune ennemie nous l'enlève : il va être l'ornement et les délices d'un autre bocage plus heureux que le nôtre. Non, il n'est plus permis d'espérer d'entendre sa voix, ni le voir tirant de l'arc, et perçant de ses flèches les rapides oiseaux. » Pan luimême accourut, ayant oublié sa flûte; les faunes et les satyres suspendirent leurs danses. Les oiseaux mêmes ne chantoient plus; on n'entendoit que les cris affreux des hiboux et des autres oiseaux de mauvais présage. Philomèle et ses compagnes gardoient un morne silence. Alors Flore et Pomone parurent tout à coup, d'un air riant, au milieu du bocage, se te-' nant par la main; l'une étoit couronnée de fleurs, et en faisoit naître sous ses pas, empreints sur le gazon; l'autre portoit, dans une corne d'abondance, tous les fruits que l'automne répand

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