Imágenes de páginas
PDF
EPUB

édifiés? Ne croyez-vous pas, même selon les règles de l'éloquence que nous avons posées, qu'un tel discours seroit plus éloquent que tous ces panégyriques guindés qu'on voit d'ordinaire?

B. Je vois bien maintenant que ces sermons-là ne seroient ni moins instructifs, ni moins touchants, ni moins agréables que les autres. Je suis content, monsieur, en voilà assez; il est juste que vous alliez vous délasser. Pour moi, j'espère que votre peine ne sera pas inutile; car je suis résolu de quitter tous les recueils modernes et tous les pensieri italiens. Je veux étudier fort sérieusement toute la suite et tous les principes de la religion dans

ses sources.

C. Adieu, monsieur : pour tout remercîment, je vous assure que je vous croirai.

A. Bonsoir, messieurs je vous quitte avec ces paroles de saint Jérôme à Népotien 1 : «Quand vous enseignerez dans « l'église, n'excitez point les applaudissements, mais les gémis«sements du peuple. Que les larmes de vos auditeurs soient « vos louanges. Il faut que les discours d'un prêtre soient pleins « de l'Écriture sainte. Ne soyez pas un déclamateur, mais un << vrai docteur des mystères de Dieu. »>

1. Ep. XXIV, tom. IV, part, II, pag. 262.

FIN DES DIALOGUES SUR L'ÉLOQUENCE

SUR LES OCCUPATIONS DE L'ACADÉMIE FRANÇOISE

Pour obéir à ce qui est porté dans la délibération du 23 novembre 1713, je proposerai ici mon avis sur les travaux qui peuvent être les plus convenables à l'Académie par rapport à son institution et à ce que le public attend d'un corps si célèbre. Pour le faire avec quelque ordre, je diviserai ce que j'ai à dire en deux parties: la première regardera l'occupation de l'Académie pendant qu'elle travaille encore au Dictionnaire; la deuxième, l'occupation qu'elle peut se donner lorsque le Dictionnaire sera entièrement achevé.

PREMIÈRE PARTIE

Occupation de l'Académie pendant qu'elle travaille encore au Dictionnaire.

Je suis persuadé qu'il faut continuer le travail du Dictionnaire, et qu'on ne peut y donner trop de soin ni trop d'application, jusqu'à ce qu'il ait reçu toute la perfection dont peut être susceptible le Dictionnaire d'une langue vivante, c'est-à-dire sujette à de continuels changements.

Mais c'est une occupation véritablement digne de l'Académie. Les mauvaises plaisanteries des ignorants et sur le temps qu'on y emploie, et sur les mots que l'on y trouve, n'empêcheront pas que ce ne soit le meilleur et le plus parfait ouvrage qui ait été fait en ce genre-là jusqu'à présent. Je crois que cela ne suffit pas encore, et que, pour rendre ce grand ouvrage aussi utile qu'il

MÉMOIRE SUR LES OCCUPATIONS, ETC.

93

le peut être, il faut y joindre un recueil très-ample et très-exact de toutes les remarques que l'on peut faire sur la langue françoise, et commencer dès aujourd'hui à y travailler. Voici les raisons de mon avis.

Le Dictionnaire le plus parfait ne contient jamais que la moitié d'une langue: il ne présente que les mots et leur signification: comme un elavecin bien accordé ne fournit que des touches, qui expriment à la vérité là juste valeur de chaque son, mais qui n'enseignent ni l'art de les employer, ni les moyens de juger de l'habileté de ceux qui les emploient.

Les François naturels peuvent trouver, dans l'usage du monde et dans le commerce des honnêtes gens, ce qui leur est nécessaire pour bien parler leur langue; mais les étrangers ne peuvent le trouver que dans des remarques.

C'est ce qu'ils attendent de l'Académie; et c'est peut-être la seule chose qui manque à notre langue pour devenir la langue universelle de toute l'Europe, et, pour ainsi dire, de tout le monde. Elle a fourni une infinité d'excellents livres en toutes sortes d'arts et de sciences. Les étrangers de tous pays, de tout âge, de tout sexe, de toute condition, se font aujourd'hui un honneur et un mérite de la savoir. C'est à nous à faire en sorte que ce soit pour eux un plaisir de l'apprendre.

On le peut aisément par le moyen de ces remarques, qui seront également solides dans leurs décisions, et agréables par la manière dont elles seront écrites.

Et certainement rien n'est plus propre à redoubler dans les étrangers l'amour qu'ils ont déjà pour notre langue, que la facilité qu'on leur donnera de se la rendre familière, et l'espérance qu'ils auront de trouver en un seul volume la solution de toutes les difficultés qui les arrêtent dans la lecture de nos bons au

teurs.

J'en ai souvent fait l'expérience avec des Espagnols, des Italiens, des Anglois, et des Allemands même; ils étoient ravis de voir qu'avec un secours médiocre ils parvenoient d'eux-mêmes à entendre nos poëtes françois plus facilement qu'ils n'entendent

Х

ceux mêmes qui ont écrit dans leur propre langue, et qu'ils se croient cependant obligés d'admirer, quoiqu'ils avouent qu'ils n'en ont qu'une intelligence très-imparfaite.

M. Prior, Anglois, dont l'esprit et les lumières sont connus de tout le monde, et qui est peut-être, de tous les étrangers, celui qui a le plus étudié notre langue, m'a parlé cent fois de la nécessité du travail que je me propose, et de l'impatience avec laquelle il est attendu.

Voici, à ce qu'il me semble, les moyens de l'entreprendre avec succès.

Il faudroit convenir que tous les académiciens qui sont à Paris seroient obligés d'apporter par écrit ou d'envoyer chaque jour d'assemblée une question sur la langue, telle qu'ils jugeroient à propos, sans même se mettre en peine de savoir si elle aura déjà été traitée par le P. Bouhours, par Ménage ou par d'autres.

On en doit seulement excepter celles de Vaugelas qui ont été revues par l'Académie, aux sages décisions de laquelle il se faut tenir. Ceux qui apporteront leurs questions pourront, à leur choix, ou les proposer eux-mêmes, ou les remettre à M. le secrétaire perpétuel, pour être par lui proposées; et elles le seront selon l'ordre dans lequel chacun sera arrivé à l'assemblée.

Les questions des absents seront remises à M. le secrétaire perpétuel, et par lui proposées après toutes les autres, et dans l'ordre qu'il jugera à propos.

On emploiera depuis trois heures jusqu'à quatre au travail du Dictionnaire, et depuis quatre jusqu'à cinq à examiner les questions les décisions seront rédigées au bas de chaque question, ou par celui qui l'aura proposée, s'il le désire, ou par M. e secrétaire perpétuel, ou par ceux qu'il voudra prier de le soulager dans ce travail.

La meilleure manière de trouver aisément des questions et d'en rendre l'examen doublement utile, ce sera de les chercher dans nos bons livres, en faisant attention à toutes les façons de parler qui le mériteront, ou par leur élégance ou par leur irrégularité, ou par la difficulté que les étrangers peuvent avoir à

les entendre; et en cela je ne propose que l'exécution du vingtcinquième article de nos statuts.

Les académiciens qui sont dans les provinces ne seront point exempts de ce travail, et seront obligés d'envoyer tous les mois ou tous les trois mois à M. le secrétaire perpétuel autant de questions qu'il y aura eu de jours d'assemblée. On tirera de ce travail des avantages considérables: ce sera pour les étrangers un excellent commentaire sur tous nos bons auteurs, et pour nousmêmes un moyen sûr de développer le fond de notre langue, qui n'est pas encore parfaitement connu.

De ces remarques mises en ordre, on pourra aisément former le plan d'une nouvelle Grammaire française, et elle sera peutêtre la seule bonne qu'on ait vue jusqu'à présent.

Elles seront encore très-utiles pour conserver le mérite du Dictionnaire; car il s'établit tous les jours des mots nouveaux dans notre langue : ceux qui y sont établis perdent leur ancienne signification et en acquièrent de nouvelles. Il est impossible de faire une édition du Dictionnaire à chaque changement, et cependant ces changements le rendroient défectueux en peu d'années, si l'on ne trouve le moyen d'y suppléer par ces remarques, qui seront, pour ainsi dire, le journal de notre langue, et le dépôt éternel de tous les changements que fera l'usage.

Je ne dois point omettre que ce nouveau genre d'occupation rendra nos assemblées plus vives et plus animées, et par conséquent y attirera un plus grand nombre d'académiciens, à qui la longue et pesante uniformité de notre ancien travail ne laisse pas de paroître ennuyeuse. Le public même prendra part à nos exercices, et travaillera, pour ainsi dire, avec nous; la cour et la ville nous fourniront des questions en grand nombre, indépendamment de celles qui se trouvent dans les livres donc l'intérêt que chacun prendra à la question qu'il aura proposée produira dans les esprits une émulation qui est capable de porter notre langue à un degré de perfection où elle n'est point encore arrivée. On en peut juger par le progrès que la géométrie et la musique ont fait dans ce royaume depuis trente ans.

« AnteriorContinuar »