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nuelles en arrérages de pensions ont été de 2.915.000 francs, ce qui représente par membre, une dépense moyenne de 6 fr. 30 par an.

Le montant de la pension dépend de la durée du sociétariat en qualité de membre cotisant. Dans telle société la pension est due à partir de 60 ans aux membres qui ont fait partie de la société pendant trente ans au moins et qui sont incapables de travail. La pension varie de 7 fr. 50 à 10 francs par semaine.

L'action patronale en matière de retraites ouvrières n'est soumise à aucune obligation. Cependant, dans certaines unions, soit ouvrières, soit mixtes, surtout pour les industries dangereuses, les patrons contribuent par des versements volontaires à la constitution du fonds de retraite.

L'action de l'État est jusqu'à présent demeurée à l'état de projet.

Toutefois, la caisse d'assurance du Post-Office pratique depuis plusieurs années des opérations de rentes viagères sous la garantie de l'État. Les versements des assurés sont reçus dans tous les bureaux de poste. Le nombre de ces opérations est encore extrêmement limité.

Tel est, en résumé, l'état des assurances ouvrières en Angleterre. On voit par là l'immense effort individuel fait par nos voisins dans la voie de l'assurance. Avec leur esprit pratique qui ne se paie pas de mots, les ouvriers anglais s'efforcent de se garantir chaque jour davantage contre la maladie, la vieillesse, la mort, les douleurs, les souffrances, la désolation et la ruine qu'elles traînent presque toujours à leur suite.

P. S.

SOCIÉTÉ D'ÉCONOMIE POLITIQUE

SÉANCE DU 4 JANVIER 1896

NÉCROLOGIE: 'MM. Théodore Mannequin et Frère-Orban.
COMMUNICATION: Promotion de l'ordre dans la Légion d'honneur.
DISCUSSION: Du caractère économique de la grève.

OUVRAGES PRÉSENTES.

La réunion est présidée par M. Léon Say, de l'Académie française, premier président. A sa droite est invité à prendre place M. Delamotte, inspecteur des finances, invité particulier d'un membre de la Société.

M. le président fait part à la Société de la perte d'un de nos confrères, M.Théodore Mannequin, reçu en 1878. C'était, dit M. Léon Say, un esprit distingué, passionné pour l'Économie politique, mais qui, depuis une vingtaine d'années, ne venait que rarement à nos réunions, à cause de l'état précaire de sa santé. Il a écrit plusieurs ouvrages et pris jadis la parole sur la question des banques de crédit, les prix des subsistances, les salaires, etc., mais c'est surtout la question monétaire qui l'occupait, lui monométalliste-or. Il avait longtemps représenté le Guatemala en France. Ajoutons qu'il était un excellent homme, et que sa disparition laisse de vifs regrets parmi ses amis.

La Société est dans l'usage de consacrer aussi quelques mots aux étrangers de distinction, au point de vue économique, enlevés à leur pays. A ce titre, M. Léon Say ne peut se dispenser de parler de M. Frère-Orban, que la Belgique vient de perdre tout récemment. C'était un esprit profondément libéral auquel nos voisins doivent l'abolition des octrois. De bonne heure, il embrassa la cause de la liberté des échanges. Intelligence ouverte, il était, chez nos voisins du nord, à la tête du parti libéral qui, respectant toutes les croyances, ne permettait à personne d'opprimer celles des autres. Plusieurs fois placé à la tête du Gouvernement de son pays, il avait toujours brillé par la droiture de ses procédés et la fermeté de ses principes. C'est une perte sérieuse que la Belgique a faite là, et nous nous associons volontiers à ses regrets.

M. le Président croit devoir aussi signaler les distinctions honorifiques accordées à quelques-uns de nos collègues, à propos

des récentes promotions dans l'ordre de la Légion d'honneur: M. Émile Levasseur est nommé commandeur, MM. Frédéric Passy, Ducroq. Paul Leroy-Beaulieu, officiers, et MM. Émile Alglave et Villey chevaliers. Ils leur envoie les félicitations de la Société. Parmi les ouvrages donnés à la bibliothèque de la Société et dont le secrétaire perpétuel fait l'énumération (en voir plus loin la liste), M. Courtois accorde une mention spéciale au Traité théorique et pratique d'Economie politique de M. Paul Leroy-Beaulieu. C'est le fruit des travaux de trente années d'études publiées soit en volumes (Traité des finances, Colonisation, Répartition des richesses, etc.), soit en articles dans l'Economiste français, les Débats, la Revue des Deux Mondes, etc.). C'est une œuvre magistrale. Une table des matières fort bien faite en rend l'usage facile au point de vue des recherches.

La réunion se prononce ensuite pour la discussion de la question suivante, proposée par le secrétaire perpétuel et exposée par M. Yves Guyot :

DU CARACTÈRE ÉCONOMIQUE DE LA GRÈVE.

M. Yves Guyot, quoique sa communication porte ce titre : Caractère économique de la grève. fera peu de statistique. Tout le monde sait, en France, à quel chiffre on a pu évaluer les pertes causées par les grèves, sans compter les répercussions profondes qu'elles produisent. La grève des mineurs du Pas-de-Calais en 1893 représente 1.772.000 journées perdues et une perte de salaires de 10.600.000 francs, d'après la Statistique officielle des mines. Les mineurs auraient eu plus de profit à mettre cette somme à la caisse d'épargne. En 1894, il n'y a pas eu de grosses grèves : Office du travail constate 1.062 000 journées perdues, ce qui, à 4 francs l'une, donnerait 4.128.000 fr., peu de chose relativement. En Angleterre, la Labour gazette constate que les grèves ont affectés 625.000 personnes en 1893, 306.000 en 1894, mais elle ne donne pas le nombre de journées perdues. M. Carroll Wright, commissaire du travail aux États-Unis, dans son livre sur l'Industrial evolution of the United States qui vient de paraître, estime que les 3.902 grèves qui ont eu lieu aux États-Unis de 1881 à 1886, représentent la perte suivante en salaires : grèves 52 millions de dollars, en chiffres ronds 260 millions de francs; locks out mise à pied générale 8 millions de dollars. soit un total de 60 millions de dollars ou de 300 millions de francs. Les employeurs auraient perdu 34 millions de dollars 170 millions de francs. Ce serait donc un ensemble de pertes de 94 millions

de dollars ou de 470 millions de francs, soit, en six ans, un tribut payé à la grève de 78 millions de francs par an.

De 1887 au 30 juin 1894, il y a eu aux Etats-Unis 10.482 grèves et 442 locks out. Les grèves ont fait perdre aux ouvriers 111 millions de dollars (555 millions de francs) et les locks out 18 millions 1/2 de dollars, soit 92.500.000 fr. Les employeurs ont perdu 53 millions 1/2 de dollars (267.500.000 francs) à la suite des grèves et 8.800.000 dollars (44 millions de francs) à la suite des locks out, soit pour les ouvriers et les employeurs 959 millions de francs qui, divisés par six années, donnent un tribut annuel de près de 160 millions de francs à la grève, sans compter les répercussions.

Mais le chiffre des pertes dépasse de beaucoup celui des salaires ou des pertes directes des employeurs. On estime la valeur de la propriété détruite par la grève de Pittsburg en 1877 à 25 millions de francs. Elle intercepta des trains, détruisit des voitures, des magasins. Certaines grèves ont pris le caractère de véritables insurrections: à Coeur d'Alène, dans l'État d'Idaho, des mineurs massacrent, pillent et ne sont désarmés qu'après une bataille dans laquelle furent faits 250 prisonniers. Dans l'État de Tennessee, les mineurs assiègent Coal Creek, s'en emparent et leur grève ne finit que par un combat. A Buffalo, sur le lac Érié, le 15 août 1892, les aiguilleurs brisent les aiguilles, incendient plusieurs centaines de wagons remplis de coton et de marchandises. Il fallut 13.000 hommes pour les réduire. Dans la grève des Pulman Cars, de juin et de juillet 1894, on dut employer 14.000 hommes de troupe et de police. Le nombre des tués et grièvement blessés fut de 12; celui de personnes arrêtées de 515. Les pertes dans cette dernière grève se chiffrent de la manière suivante: propriété détruite, 3 1/2 millions de francs; salaires des employés de chemins de fer, 25 millions de francs; des employés de Pulman 1.750.000 francs; pertes pour défaut de transport, 80 millions de dollars, soit 400 millions de francs!

Les pertes réelles des grèves sont toujours beaucoup plus grosses que celles qui apparaissent: petits négociants ruinés; répercussion sur les débouchés; inquiétude et par conséquent éloignement des capitaux et des personnes de l'industrie.

La grève, comme le montre M. Y. Guyot en rappelant quelques exemples des États-Unis, comme on a pu le constater en France, en Belgique, en Angleterre, à maintes reprises, n'a pas toujours un caractère économique; elle prend souvent un caractère de guerre sociale, et les socialistes la considèrent comme un

moyen d'action politique, malgré les dénégations hypocrites qu'ils font entendre, lorsque les grèves éclatent, afin de poser toujours les grévistes en victimes et de dégager leur responsabilité. Le 4o Congrès national ouvrier du Havre, en novembre 1880, adopta un programme, dû à la collaboration de Karl Marx, de Jules Guesde et de Paul Lafargue, qui contenait le paragraphe suivant : «< Considérant que les grèves sont les conséquences fatales de l'ordre social actuel, et un moyen d'agitation, d'action et d'organisation, le Congrès invite les travailleurs à former, dans toutes les villes, un comité permanent de grèves. Dans les localités où il y a des comités fédéraux, ceux-ci pourront se constituer en comités de grèves. » Les broussistes, les opportunistes du socialisme, donnaient à leur politique en 1881 la formule suivante :

<«< Emploi de tous les moyens de lutte, résistance économique (grève), vote et force selon les cas. » Et M. Benoit Malon disait dans son Nouveau parti. « Même une grève vaincue a son uti lité, si comme le recommande Lafargue avec tant de raison, on ne s'en sert que comme d'un moyen d'ébullitionner les masses. » Dans ces conditions, la grève n'est pas un fait simplement économique, c'est, comme l'a spirituellement définie M. Stafford Ransome un duel à trois ou plutôt, il y a une minorité de meneurs de syndicats, de 700 agents rémunérés des trade-unions qui, comme l'observe un socialiste lui-même, M. Sydney Webb, dans son livre sur le trade-unionism, sont forcément toujours en conflit avec l'employeur, pour justifier leur fonction; il y a des hommes à ambitions politiques qui se servent de la grève comme de tremplin. Alors ils déclarent la grève, quittes à chercher ensuite les revendications à formuler, comme dans la grève des houillères de 1891.Ce sont 47 cabaretiers qui décident et maintiennent, en 1893, la grève des 30.000 mineurs du Pas-de-Calais. Le duel a lieu entre les chefs et les industriels. Le troisième personnage, c'est le véritable gréviste qui obéit, subit, endure le chômage, les privations et le plus souvent, s'il y a une bagarre, est la victime. expiatoire.

Plus une grève est nombreuse, et plus l'opinion publique intervient. Des gens qui n'ont aucune notion des conditions du travail, du prix des marchandises, jugent lesquels, des employeurs ou des ouvriers, ont tort ou raison; ont-ils un autre criterium que leurs antipathies ou des sympathies personnelles et irréfléchies? Souvent ils sont favorables aux grévistes et si on leur demandait : << Alors vous voulez payer votre charbon ou votre drap plus cher » ? ils seraient fort surpris. Cependant quand la grève a pour objet

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