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des rentiers a diminué de 250 millions par l'effet des conversions régulières et de la banqueroute partielle ou totale de quelques États. En 1895, d'ailleurs, il y a eu un ralentissement marqué, sinon un arrêt total dans le morbus convertendi et la Serbie a été seule à imposer à ses créanciers une réduction d'intérêt qu'on a déguisée sous le nom d'unification de la dette. La victoire remportée par les obligataires de la Compagnie de l'Est, qui a vu dans deux instances rejeter par les tribunaux sa prétention de rembourser des obligations 5 p. 100 amortissables, est un fait considérable dans cet ordre d'idées.

On a pu se rendre compte du tort que des lois fiscales ou monétaires mal faites font à la prospérité d'un pays : l'exemple le plus frappant est celui des États-Unis, sur le terrain monétaire 1. Dans une plus petite proportion, le droit sur les opérations de bourse en rentes françaises est un fait du même ordre. Nous verrons plus loin qu'on a dû le réduire des trois quarts. L'impôt dont on a voulu frapper les fonds d'États étrangers et les valeurs étrangères a passé également par des phases diverses sous sa première forme, telle qu'elle avait été élaborée par M. Ribot, avec l'obligation de faire timbrer le titre tous les cinq ans, il témoignait d'une ignorance absolue des conditions essentielles du marché; la taxe était excessive et le mode de perception inadmissible, à moins de jeter la confusion. La commission du budget a diminué le taux, qui sera de 50 centimes par 100 francs sur les fonds d'État, de 2 francs sur les valeurs de sociétés, et qui ne sera perçu qu'une fois. Les valeurs déjà timbrées devront payer la surtaxe, la première fois qu'elles seront mises en vente ou énoncées dans un acte. Cette disposition a été fort discutée, on a rappelé que ni en Allemagne ni en Angleterre on n'avait usé de rétroactivité pour les titres d'émission antérieure, et on a exprimé la crainte qu'il n'en résultât une difficulté de plus pour la place de Paris.

Rappelons que le 12 janvier 1895, le Conseil d'État statue sur une interprétation des conventions de chemins de fer de 1883, relativement à la durée de la garantie d'intérêt des Compagnies d'Orléans et du Midi et donne raison aux Compagnies.

1 Du 1er janvier 1879, date de la reprise des paiements en espèces aux États-Unis jusqu'au 14 juillet 1890, date de la loi pour augmenter les achats d'argent, c'est-à-dire en onze années et demie, les retraits d'or du Trésor pour rembourser des greenbacks ont été de 28 millions; du 14 juillet 1890 au 1er décembre 1895, ils ont été de 375 millions.

C'est au milieu de ces conditions générales, que le marché financier a vécu. Nous avons retrouvé à l'œuvre une grande partie des facteurs que nous avons analysés si souvent et qui, pendant de longs mois ont permis la continuation de la hausse notamment : Absence de toute préoccupation sérieuse en ce qui concernait la politique générale, en Europe;

Abondance relative des capitaux, facilité de se procurer hors bourse, chez les banques et banquiers, des avances sur titres, à des taux modérés, facilité pour les banques du continent de se créer des ressources à Londres, où le marché regorgeait;

Timidité des capitaux à l'égard des entreprises indigènes, incertitude de l'avenir, appréhensions qui résultent du socialisme et du protectionnisme;

Cours fort élevé des fonds d'État, que la demande des rentiers pousse en avant pendant que les spéculateurs qui croient au beau fixe en politique et à la continuité du bas loyer de l'argent agissent dans le même sens;

Conséquences de la grande conversion du 4 1/2 en 3 1/2 p. 100, qui a préparé le terrain à l'agiotage.

Le marché des capitaux a été relativement pourvu d'une façon abondante pendant une grande partie de l'année. Cependant, à plusieurs reprises, et notamment au mois de janvier, et plus tard, au mois d'avril, il y a eu quelques avertissements sérieux donnés par le renchérissement du taux des reports; mais le véritable renchérissement s'est produit en automne, et c'est là ce qui a crevé l'outre. On s'est aperçu que le taux des reports de hourse ne renseignait pas suffisamment sur la situation de place, et qu'il aurait fallu tenir compte également d'autres facteurs, notamment des reports faits en dehors de la Bourse; on s'est aperçu qu'il convenait de lire de plus près les bilans des établissements de crédit, afin de suivre chez eux l'accroissement ou l'augmentation des avances sur titres et des reports. Suivant l'expression d'un de nos confrères, les spéculateurs de marque désireux de ne pas démasquer leur situation et de ne pas subir les exigences du marché financier, s'entendaient directement avec les gros détenteurs de capitaux pour faire reporter leurs positions en échappant ainsi au contrôle visible. Il en est résulté aussi que les vendeurs à découvert ont montré moins de courage à agir avec des reports à bon marché et une absence relative de titres achetés à crédit.

On peut établir les taux moyens des reports en 1895 comme suit:

T. XXV.

JANVIER 1896.

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Mais ce tableau ne donne pas l'indication des taux extrêmes qui ont été exigés et qui ont atteint jusqu'à 8 et 10 p. 100.

La Banque de France, au mois de mars, abaisse à 2 p. 100 le taux officiel qui avait été de 2 1/2 depuis le 19 mai 1892.

L'emprunt chinois, émis avec la garantie de la Russie, amène un mouvement d'affaires assez considérable à la Banque de France.

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La Banque a donné de l'or à diverses reprises, ce qui lui était facile dans les conditions de son encaisse. L'encaisse or a grossi pendant une partie de l'année, puis elle diminue par suite de la hausse du change sur Londres, hausse amenée surtout par le règlement des actions de l'Afrique du Sud; elle a varié entre 2.148 et 1.959 millions de francs. La circulation a oscillé autour de 3.500 millions. L'Europe, qui d'après les bimétallistes risquait de perdre son or au profit de l'Inde et des Etats-Unis, n'a jamais été mieux fournie que cette année; le drainage des États-Unis a continué 1.

1 De 1876 à 1895, la quantité d'or accumulée dans les quatre grandes banques européennes a augmenté de 131 p. 100.

Le nombre des grandes émissions à Paris n'a pas été très considérable. On peut citer l'émission du Crédit Foncier, celle de l'emprunt chinois, qui a fait sortir des capitaux de France, mais qui a donné une contrevaleur sérieuse aux acheteurs; quelques affaires turques, brésiliennes, etc.

On peut partager l'année 1895 en deux périodes d'inégale longueur, la première va de janvier à octobre, c'est celle de la hausse à outrance, bien que coupée par un recul en mai; la seconde va d'octobre à décembre, c'est la crise, l'effondrement, la stagnation des affaires. Mais il faut se garder de généraliser à outrance, la hausse n'a été excessive que pour certaines catégories de valeurs; les anciennes valeurs, comme les fonds d'Etats ont été moins dans le mouvement (rentes française, allemande, autrichienne, hongroise, égyptienne, russe), bien qu'elles aient profité de l'orientation vers les hauts cours et qu'elles aient été atteintes par la baisse. Mais en 1895, les fonds espagnols, à cause des affaires de Cuba, les fonds turcs, à cause des troubles en Orient et des difficultés financières générales en Occident, les fonds italiens par suite des mêmes causes et de l'Erythrée ont été très malmenés et ont subi une dépréciation considérable. Il en a été de même pour les valeurs brésiliennes, tandis que les titres argentins se sont assez bien tenus vers la fin de l'année. Le message belliqueux de M. Cleveland sur les affaires de Venezuela provoque une débacle sur les valeurs de l'Amérique du Nord, qui fléchissent de 10 à 15 points; l'Europe jette ce qu'elle peut de titres sur le marché de New-York; puis le calme renaît et les cours s'améliorent quelque peu. C'est alors le tour du Transvaal 1.

L'histoire de la rente française pendant cette année est instructive. Les achats des caisses d'épargne,qui ont été le grand remor

Il convient d'enregistrer ici l'arrangement très favorable aux porteurs de fonds russes, domiciliés en France, qui a été conclu par le ministère des Finances avec la Banque de France. Le gouvernement russe prend à sa charge les frais de garde des titres, de vérification des tirages, de paiement des coupons; la Banque délivre des certificats nominatifs en échange des titres au porteur. Le 4 p. 100 russe s'est maintenu presque toute l'année audessus du pair; le 3 p. 100, moins bien classé encore, a eu des oscillations entre 88 et 94. La Russie a introduit la faculté de faire des transactions en or, et la Banque de Russie délivre des quittances libellées en or contre dépôt de lingots ou de monnaies. C'est une étape de plus vers le rétablissement de la circulation métallique.Le budget de 1894 s'est réglé avec une plusvalue de 149 millions aux recettes ordinaires sur les prévisions.

queur du 3 p. 100 français cessent par suite de l'adoption, par les Chambres de la combinaison proposée pour l'allègement de la dette flottante, à savoir que les disponibilités de la Caisse des Dépôts et Consignations seront désormais, jusqu'à concurrence de 429 millions, mises à la disposition du gouvernement, contre livraison de titres remboursables en un peu plus de trente ans.

Le marché de la rente, pendant toute l'année, perd de son ampleur; l'impôt sur les transactions restreint les affaires et l'attention du public se porte d'un autre côté. Les cours extrêmes ont été entre 103,72 et 99 1/2. Le cours le plus élevé a été coté au mois de mars et le cours le plus faible en novembre.

Au mois de janvier la crise ministérielle a amené 12 centimes de baisse, la crise présidentielle, 35 centimes de baisse; le jour de l'élection, on monte de 30 centimes, et le fait accompli, on baisse de 10 centimes. Les primes achetées le jour de l'élection, avec des écarts extravagants, furent purement et simplement abandonnées.

Au mois de mars la Commission extra-parlementaire de l'impôt se déjuge. Après avoir rejeté une première fois, à une voix de majorité, l'impôt sur la rente, elle émet ensuite l'avis qu'il n'y aurait pas lieu d'exempter la rente dans un système d'impôt sur les revenus. La Chambre rejette cependant par 296 contre 212 la proposition Sembat de mettre un impôt sur la rente.

Au mois d'août on promulgue le texte de la nouvelle loi sur les caisses d'épargne, qui apporte des changements considérables dans le fonctionnement de ces institutions.

Le plus important de tous, celui qui présente l'intérêt le plus général, est l'article qui ramène à 1.500 francs le montant des dépôts pouvant, à l'avenir, être effectués sous un même nom. Un délai de cinq ans est fixé pour faire descendre tous les comptes au-dessous de ce chiffre. Il est naturellement interdit aux déposants de dépasser la somme réglementaire.

Le montant des intérêts à servir sera déterminé, chaque année, à la date du 1er novembre, en tenant compte des valeurs du portefeuille et des comptes courants avec le Trésor. Les variations de taux s'opéreront par fractions de 25 centimes.

Les caisses d'épargne continueront de verser leur avoir à la Caisse des Dépôts et Consignations; mais celle-ci sera tenue de constituer un fonds de réserve permanent, équivalant à 10 p. 100 du total des dépôts et destiné à parer soit aux pertes, soit aux

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