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SOCIÉTÉ D'ÉCONOMIE POLITIQUE

SÉANCE DU 5 FÉVRIER 1896

NECROLOGIE M. Léon Mahillon.

COMMUNICATIONS: M. Alfred de Foville, membre de l'Institut.

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François Quesnay. - XIe volume des Annales de la Société d'économie politique. Tables de mortalité.

DISCUSSION : Le développement industriel de l'Extrême-Orient et son influence sur l'industrie européenne.

OUVRAGES PRÉSENTÉS.

La séance est présidée par M. Léon Say, de l'Académie française, premier président. A sa droite prend place Son Excellence Tchink-Tchank, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de Chine à Paris. A sa gauche est assis M. Jules Allain Le Canu, conseiller, président honoraire de la Société populaire d'encouragement à l'enseignement primaire moral et civique du canton de Montfort-l'Amaury et président effectif du comité du monument en l'honneur de François Quesnay, à Méré. Dans l'assistance on remarque M. Jules Allain son fils trésorier du même comité. M. Louis Strauss, membre correspondant et vice-président de la Société belge d'économie politique est venu d'Anvers, pour assister à la séance.

M. le président commence par exprimer ses regrets de la perte que la Société d'économie politique a faite depuis un mois d'un de ses membres correspondants les plus distingués, M.Léon Mabillon, directeur général de la Caisse générale d'épargne et de retraite en Belgique, mort à Bruxelles à 42 ans. « Nous l'avons connu, dit M. Léon Say, en 1889, à l'Exposition universelle, où il était membre du jury pour les questions d'économie sociale. Nous avons pu, à cette époque, apprécier son esprit distingué et ses connaissances approfondies dont nous avons fort souvent fait notre profit. »

A la suite de cette triste nouvelle, M. le président a la satisfaction de rappeler à la réunion que M. Alfred de Foville, ancien professeur au Conservatoire des Arts et Métiers, ancien chef du bureau de la statistique au ministère des Finances et actuellement

directeur des Monnaies et médailles, a été nommé membre de l'Académie des sciences morales et politiques le 1er février courant. (Applaudissements.)

Le président met ensuite sous les yeux des membres présents, un dessin que lui communique M. Allain Le Canu, représentant le monument de François Quesnay, tel qu'il sera exécuté lorsque la souscription ouverte à cette intention sera couverte. Il ne manque plus que quelques cents francs. Le président exprime l'espoir que les membres qui n'ont pas encore souscrit, enverront rapidement leurs cotisations au secrétaire perpétuel

Parmi les livres présentés par le secrétaire perpétuel et dont on trouvera la liste plus loin, nous remarquons d'abord le XI® volume des Annales de la Société d'économie politique se rapportant aux années 1875 et 1876, puis les Tables de mortalité dressées pour le Comité des Compagnies d'assurances sur la vie, à primes fixes, sous la direction de M. Martin Dupray, actuaire de la Compagnie d'assurances générales, Paul Guiyesse(ultérieurement remplacé par M. Oltreman) M. Léon Marie, actuaire du Phénix, etc. C'est un magnifique travail qui fait le plus grand honneur au comité et à ses actuaires et qui donnera à la grande industrie des assurances une base vraiment scientifique.

Le secrétaire perpétuel communique à la réunion une circulaire qu'il a reçue de M. le ministre de l'Instruction publique, annonçant l'ouverture du Congrès des sociétés savantes pour le 7 avril; ce congrès sera clos le 11 du même mois par la séance générale présidée par M. Combes. M. Courtois se met à la disposition de ses collègues pour leur inscription et la remise d'une carte pour assister à cette séance.

Le président communique ensuite la question proposée par le secrétaire perpétuel pour la discussion de la séance et formulée par M. Daniel Bellet. Cette question étant adoptée, la parole est à son auteur, sur le sujet suivant:

LE DÉVELOPPEMENT INDUSTRIEL DE L'EXTRÊME-ORIENT ET SON INFLUENCE SUR L'INDUSTRIE EUROPÉENNE.

M. D. Bellet se contentera, dit-il, d'exposer brièvement la question; il se gardera de conclure, se contentant de demander le sentiment des membres de la Société.

Bien que beaucoup de personne ne s'en doutent point, le sujet est tout de circonstance, non pas par suite des événements qui se sont déroulés en Orient, mais d'une façon beaucoup plus générale : l'Extrême-Orient, en entendant par là l'Inde anglaise, la Chine et le

Japon, commence à se livrer à l'industrie européenne, et c'est là un phénomène que bien des Occidentaux considèrent comme menaçant. Il importe de montrer sur quoi se fondent ces inquiétudes.

Après s'être excusé de citer des chiffres fort nombreux, M. Bellet montre que plusieurs auteurs, notamment MM. de Valbezen et Brenier, ont signalé l'introduction du machinisme dans l'Inde, où les Anglais avaient trouvé jusqu'ici un marché largement ouvert pour leurs cotonnades: déjà quelques industries s'y sont installées à la façon européenne et sur une grande échelle, industries qui trouvent en abondance autour d'elles la matière première. Tel est le cas principalement de l'industrie cotonnière; M. Bellet montre quelle est l'importance de la culture du coton dans l'Inde, et suitles. progrès des filatures et des tissages, au moyen de chiffres successifs que nous ne pouvons donner disons seulement qu'à l'heure actuelle (1894) l'Inde possède 3.700.000 broches et 34.000 métiers, pour lesquels on a engagé 133 millions de roupies, et qu'elle exporte des millions de yards de cotonnades et de livres de filés. D'ailleurs l'importation des mêmes articles de provenance anglaise a diminué sensiblement. Après avoir jeté un coup d'œil sur l'industrie du jute qui occupe, en 1894, 201.000 broches et 10.000 métiers au lieu de 91.000 broches et 5.655 métiers en 1881, M. Bellet fait une comparaison avec les manufactures de même nature établies en Angleterre, et il cite plus on moins rapidement les diverses industries européennes qui se montent dans l'Inde, nettoyage du riz, fabrication du papier, etc. Il montre du reste que ces industries sont particulièrement favorisées en ce sens que la houille est en abondance sur le territoire indien, l'extraction atteignant déjà 2 1/2 millions de tonnes; il ajoute encore que le sous-sol contient de nombreux métaux.

Les manufactures indiennes profitent également de l'abondance des matières premières, du bas prix des salaires. On peut dire il est vrai (mais M. Bellet n'en touche qu'un mot, car cela rentre dans des conclusions générales qu'il ne veut pas prendre) que les salaires augmentent. En tout cas les Anglais craignent l'avenir, car, lorsqu'en 1894, on a mis des droits d'entrée dans l'Inde pour combler le déficit, ils ont obtenu qu'en échange les cotonnades indiennes seraient frappées d'un droit d'accise.

Si l'on passe à la Chine, le mouvement manufacturier est moins nettement déterminé, il est encore en germe, mais il existe: on sait du reste qu'il faut compter avec l'habileté de l'ouvrier chinois. Le Chinois est un excellent travailleur; sans doute cet ou

vrier redoute encore un peu la machine, mais nous ne devons pas nous en étonner quand nous voyons les ouvriers européens et quelques-uns de nos législateurs accuser le machinisme d'une série de méfaits épouvantables.

Dès 1894 le gouverneur de Canton demandait à l'Empereur l'autorisation d'établir des filatures à l'européenne; il existe déjà des manufactures de ce genre, notamment une grande usine installée à Shang-haï par Li-Hung-Chang et reconstruite après un incendie. Le Rapport des douanes pour 1895 prévoit la création de 15 manufactures, représentant 360.000 broches et 3.000 métiers à Shanghaï, à Ning-Po et dans les ports du Yang-Tsé; d'un autre côté il conseille aux étrangers d'introduire des machines pour les usines nouvelles. Celles qui existent actuellement travaillent jour et nuit et ne peuvent pas suffire aux commandes. Les divers documents officiels qu'a dépouillés M. Bellet donnent des indications toutes concordantes, et montrent même que les importations de cotonnades étrangères diminuent ssnsiblement; d'autre part le « London and China Telegraph » annonce la création d'un bureau officiel pour encourager l'établissement de manufactures modernes, qui seraient affermées à des syndicats avec prêts aux conditions les plus favorables; nous ne pouvons même résumer les indications données à ce sujet par M. Bellet, qui montre aussi qu'il se crée des usines métallurgiques, dont la production sera facilitée par ce fait que la Chine possède un vaste bassin charbonnier évalué à 400.000 milles carrés par le baron Richtofen. Il cite l'avis de fonctionnaires des douanes, de consuls étrangers disant qu'avant peu les cotonnades anglaises ne trouveront plus à se vendre sur les marchés de l'Extrême-Orient : « Le jour où la Chine se sera mise à manufacturer en grand, l'Angleterre recevra un coup sérieux;... sous peu les Chinois se suffiront à eux-mêmes. »

Si l'on passe enfin au Japon, on constate un développement industriel actuellement intense, qu'étudiait M. de Brandt dans son livre l'Avenir de l'Asie orientale, en faisant remarquer que dès maintenant d'importants articles japonais se vendent à Singapore la moitié du prix des articles anglais similaires. M. Bellet indique les qualités toutes particulières de l'ouvrier japonais qui n'imite pas seulement, mais s'assimile les méthodes européennes; d'ailleurs ici encore on peut profiter de l'abondance des matières premières et des richesses carbonifères très sérieuses que possède le pays, puisqu'on extrait annuellement plus de 3.200.000 tonnes. L'industrie japonaise se manifeste sous des formes multiples, depuis la production des porcelaines et faïences communes jus

qu'à la métallurgie. On peut passer en revue les différentes formes de cette activité, et notre collègue examine notamment, en fournissant beaucoup de chiffres, le développement des filatures et tissages de coton, qui sont groupées principalement autour d'Osaka: aujourd'hui le Japon possède 800.000 broches, des syndicats de filateurs se sont formés, et tout récemment un consul français disait : « Le Japon produira non seulement assez de filés pour sa consommation, mais il en pourvoira les marchés de l'Extrême-Orient. Dès maintenant l'importation des manufacturés de coton au Japon a très sensiblement diminué (43 millions de catties en 1889, 17 en 1891). » M. Bellet donne des indications analogues pour l'industrie de la soie; il signale des progrès incroyables accomplis dans la manufacture des allumettes, ces articles absorbant pour ainsi dire tout le marché oriental. Il montre également un mouvement d'expansion à peu près analogue pour les sucres, les nattes, les parapluies, les chapeaux, le papier, etc.; il rappelle la récente exposition de Kioto qui prouve bien que les Japonais se sont mis à fabriquer industriellement à l'européenne et qui faisait dire à un consul « qu'il n'est pas une place d'ExtrêmeOrient que n'envahiront les articles fabriqués au Japon en imitation des produits européens ».

M. Bellet a tenu à signaler ces progrès qui sont incontestables, et qui excitent beaucoup de craintes; il n'ose point, du reste, prendre de conclusions et demande celles de la Société.

M. R.-G. Lévy remarque que, parmi les causes des progrès de l'Extrême-Orient, il n'est pas question de l'influence de l'or ou de l'argent. La question du change est donc bien étrangère au sujet.

M. le comte de Labry présente l'observation suivante sur la comparaison des prix de la main-d'œuvre dans l'Europe industrielle et au Japon.

Dans la première de ces contrées la base de la nourriture de l'ouvrier est la viande et le blé; dans la seconde cette base est le poisson et le riz. La production de la viande nous est fort dispendieuse; au Japon, par suite de la grande étendue des rivages maritimes, le poisson ne coûte que les frais peu élevés de la pêche. Le riz coûte moins cher à produire que le blé et surtout il reste dans le corps humain bien plus longtemps, ce qui en rend moindre la consommation. La nourriture de l'ouvrier et par suite la main-d'œuvre sont donc naturellement plus chères dans l'Europe industrielle qu'au Japon.

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