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de réorganisation générale; attachons-nous patiemment aux améliorations de détail que réclame incessamment l'édifice social par nous hérité de nos prédécesseurs; avançons dans le sens d'un amoindrissement continu de la réglementation et du fonctionnarisme, dans le sens de la liberté économique de l'individu, que des politiciens dangereux veulent toujours asservir à une collectivité quelconque, municipale, départementale ou nationale; le reste nous sera donné par surcroît. Combien sont encore plus vraies, à l'heure actuelle, dirai-je avec M. de Luçay et au risque de passer pour un conservateur-borne, ces paroles de Guizot: « C'est partout qu'est aujourd'hui la lutte. Partout attaquées, il faut que la propriété, la famille, toutes les bases de la société soient partout fortement défendues; c'est trop peu pour les défendre que des fonctionnaires et des ordres venus du centre, même soutenus par des soldats ». Voilà le véritable ordre d'idées dans lequel «< la centralisation ne suffit plus aujourd'hui aux besoins dominants, aux périls incessants de notre société ».

E. LAMÉ FLEURY.

PHILOSOPHIE DE POCHE, par JEAN MACÉ. (Hetzel et Cie.)

Ce n'est pas une nouveauté que ce petit volume. Et ce n'est pas une réclame de jour de l'an que je fais en le mentionnant ici. Il date, si je ne me trompe, de plus de deux ans. Et le grand savant, petit conte de quelques pages, imprimé en appendice, remonte à plus de trente ans il est de 1862. Mais j'avoue humblement que je ne connaissais ni l'un ni l'autre ; quoique j'aie été, à diverses reprises, en relation avec Jean Macé et que j'eusse lu, en leur temps, l'Histoire d'une bouchée de pain et Les Serviteurs de l'estomac. Je confesse aussi que, malgré la sincère admiration que m'avaient inspirée ces ouvrages si justement populaires, je n'avais, de la supériorité intellectuelle et de la valeur morale de leur auteur, qu'une idée très imparfaite. Bien d'autres, sans doute, même parmi ceux qui n'ont point partagé à son égard les inexcusables préventions et les haines impies d'un certain monde, sont dans le même cas. Et c'est pourquoi ils me pardonneront d'insister quelque peu sur cet écrit fait, comme l'indique son titre, pour être mis dans la poche. Il n'est point de ceux dont le mérite se mesure au poids et à la taille. C'est une de ces perles dont parle l'Evangile, qu'un bon appréciateur sait estimer plus haut que tout un monceau de richesses vulgaires.

C'est à un autre volume, du même auteur, du reste, que je dois de connaître celui-ci. J'ai parlé, dernièrement, avec beaucoup d'éloges, du

voyage dans les mondes ou : Les soirées de ma tante Rosy. J'ai dit, non seulement avec quelle merveilleuse clarté le savant et le vulgarisateur par excellence qu'était Jean Macé a exposé, dans ce livre, tout le système du monde, depuis cet humble grain de poussière que nous habitons, jusqu'aux plus lointaines profondeurs de l'espace infini dans lequel se perdent les nébuleuses; mais aussi quels nobles enseignements ce moraliste pratique a su tirer de la contemplation du spectacle de l'univers. Et je n'ai pas craint de qualifier de livre de piété, au sens le plus élevé du mot, ce manuel d'astronomie popu-laire.

J'ai été bien récompensé de cet acte de justice. Il m'a valu de me voir signaler, comme plus remarquable encore, le petit manuel de philosophie dout je m'occupe, en ce moment. Et le fait est qu'il est impossible de rien concevoir de plus beau, de plus touchant et de plus sincèrement religieux que ces pages pensées, comme le dit l'auteur, et repensées avec le cœur; loin de toutes chaires et de toutes philosophies d'école; en face de la nature, dans le sentiment profond de sa grandeur et de la grandeur des lois qui la gouvernent. Lois qui se résument, dit Jean Macé, en un acte d'adoration pour l'intelligence et la bonté infinie qui y président.

« Le bon Dieu des petits enfants est encore le plus philosophique de tous, le seul qui ne soit pas un X; il va droit au cœur, sans troubler l'esprit. C'est en lui qu'est le refuge. Si vous ne devenez semblables à l'un de ces petits, est-il dit dans l'Evangile, vous n'entrerez pas dansle royaume des cieux. »

C'est à cette conclusion que s'arrête, après avoir rapidement parcouru tout le cycle de l'histoire matérielle de notre globe et des autres, l'homme simple et bon qui met, comme il le dit, la foi de la bonne femme qui dit son chapelet avec la pensée d'obéir à Dieu, audessus de toutes les spéculations et de tous les systèmes. C'est ainsi que lui, qui sait tant de choses et les comprend si bien, rabat l'orgueil gnorant qui ne peut comprendre, ou la vanité sotte qui nie ce qu'elle ine peut atteindre. Autant vaudrait, dit-il, refuser à un aveugle, parce qu'il n'en voit pas la flamme, le droit d'affirmer l'existence d'un feu. dont il sent la vivifiante chaleur.

C'est à la même conclusion qu'aboutit, sous une forme plus fami-lière, presque enfantine, mais d'autant plus saisissante, la déconvenue du jeune présomptueux mis en scène dans le grand savant. Et dire que, malgré ces déclarations, et bien d'autres empreintes de la même foi profonde dans l'infaillible sagesse qui gouverne l'univers; malgré cette admirable profession de foi imprimée vers la même époque en 1862, dans l'Opinion nationale, malgré ce touchant souci.

des pauvres âmes blessées, pour lesquelles il n'y a pas, écrivait-il, d'autre baume à leur offrir que l'humble résignation aux lois impénétrables, que l'adoration quand même du Dieu de justice et de bonté que l'âme humaine implore d'instinct dans ses détresses, malgré tout cela, cet homme a été poursuivi, depuis plus de trente ans! et dénoncé à ces simples, qu'il ne songeait qu'à relever et soulager, comme le chef principal d'un grand complot tramé contre tout ce qui soutient et honore la vie humaine!

Mais ce n'est pas, je tiens à le dire ici, uniquement comme livre de morale et d'édification que la Philosophie de poche mérite d'être recommandée. Toute la science du naturaliste s'y retrouve; et si, parfois, les doctrines évolutionnistes, qui y sont exposées, peuvent, au premier abord, étonner quelques lecteurs, à qui elles paraitront peu d'accord avec l'humble résignation que je viens de constater, il faut dire que l'évolution, telle que la comprend Jean Macé, n'a rien du matérialisme grossier avec lequel on la confond parfois. Elle n'est, comme le proclamait un des orateurs du Congrés des religions, à Chicago, qu'une forme de la loi du progrès par laquelle la souveraine intelligence et la puissance suprême tirent éternellement la création de bas en haut. C'est l'excelsior de la nature.

Il faut voir, au point de vue spécial auquel nous envisageous les choses dans cette revue, comment Jean Macé applique cette idée du progrès au développement économique de l'humanité; et quelle part, en particulier, il fait, dans ce domaine, à la liberté et au xix siècle. Le plus grand, dit-il, qu'ait eu, jusqu'à présent, l'humanité.

« Je vous les donne tous hardiment à passer en revue, s'écrie-t-il : vous n'en trouverez pas un au cours duquel elle ait fait une pareille enjambée; et il n'a pas dit encore son dernier mot... >> (Ceci était écrit il y a trois ans.)

« Représentez-vous une mappemonde assez grande pour qu'on puisse y tracer toutes les lignes actuelles de chemins de fer, flanqués chacun de ses poteaux télégraphiques; tous les trajets de grands steamers partant à jour fixe et de câbles sous-marins. L'homme n'est-il pas en train de doter son globe d'un appareil de circulation tel qu'il n'en a jamais eu, d'un système nerveux gigantesque, transmettant les avertissements d'un bout de la terre à l'autre, avec une rapidité qui fait honte aux fils télégraphiques dont notre corps est sillonné? Rien de tout cela n'existait il y a bien moins de cent ans. Il n'y en a pas cinquante que ce double réseau a commencé de prendre figure. E nous avons encore jusqu'au 1er janvier 1901, pour parachever la part que notre siècle y aura prise. »>

Et plus loin, après une admirable description de « cette puissance

T. XXV. FÉVRIER 1896.

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inconnue de nos pères, dont la science arme l'homme aujourd'hui dans ses batailles avec la nature les seules batailles de l'avenir, il est consolant de l'espérer, l'homme, continue M. Macé, s'est donné des ouvriers métalliques qui travaillent pour lui, dont il n'est plus que le surveillant. Des bras de fer infatigables ont remplacé ses bras débiles; et la production industrielle devenue, pour ainsi dire, illimité, a fait croître sa richesse dans des proportions qu'il n'a jamais

connues ».

Qu'est-ce que tout cela? sinon l'affirmation de la supériorité du règne humain sur les autres races et les autres règnes; et la constatation d'une loi qui lui ordonne de grandir et de s'élever sans cesse. « L'homme n'aurait pas de sens, sur son astre, si ces dons qui lui ont été faits pour l'élever au-dessus de ses anciens frères de l'animalité, ne devaient aboutir à rien de plus sérieux qu'aux batailles qu'il s'y est livré, à leur exemple, aux empires éphémères qu'il y a fondés, aux enjolivements dont il a embelli, d'àge en âge, sa vie primitive; si, parti de si bas, pour arriver déjà si haut, il ne devait pas continuer sa marche ascendante jusqu'au terme qui se laisse entrevoir enfin: l'unification de son espèce pour la mise intégrale en valeur de l'astre dont il est le produit définitif. »

Mais à quelles mains, se demande ensuite le philosophe, doit donc revenir l'empire du monde?

« A aucune, c'est-à-dire à toutes. L'unité que je vois en rêve ne se fera pas sous le sceptre d'un monarque: il n'y en aura jamais qui soit de taille; ni sous l'hégémonie oppressive d'un peuple: il n'y en aura jamais qui soit de force. Je ne puis la concevoir que comme une entente universelle, une alliance volontaire de tous les peuples chacun gardant sa vie propre, communiant tous dans la vie collective de l'humanité. Et c'est bien la suite logique de ma conception du plan universel. »

C'est bien la suite logique aussi de cette liberté du travail, de cette liberté des échanges, de ce respect mutuel de tous les individus et de toutes les collectivités qui est la pure substance de la vraie doctrine économique: union des efforts, dépendance réciproque et réciproque assistance, solidarité incessante du bien et du mal attestant la fraternité des hommes, et aboutissant à sa réalisation!

Qu'ai-je dit, grand Dieu ! J'ai voulu faire honorer et bénir tardivement le nom de Jean Macé, et je vais le vouer à l'exécration des politiques du jour, pour lesquels l'idéal de la civilisation est l'isolement dans l'impuissance et la haine dans le dénùment. Evolutionnistes aussi ceux-là, mais évolutionnistes à rebours, qui ont soif d'abaissement, de misère, de contrainte et de servitude et ne comprennent la vie que

comme une arène sanglante, dans laquelle, au lieu d'échanger des bienfaits et des services, on se dévore en foulant aux pieds la proie qu'on se dispute.

FREDERIC PASSY.

LA SUGGESTION, SON RÔLE DANS L'ÉDUCATION, par FÉLIX THOMAS, docteur is lettres, professeur de philosophie au lycée de Versailles. (1 vol. in-12. Bibliothèque de philosophie contemporaine Félix Alcan.

On sait quelle importance, souvent excessive et dangereuse, a prise depuis un certain nombre d'années, la pratique de la suggestion hypnotique. C'est à elle et aux expériences, plus ou moins authentiques, faites sous son nom, que l'on pense d'ordinaire lorsque l'on emploie ce not de suggestion.

Est-ce à elle qu'a pensé M. Thomas, en écrivant ce petit volume, et s'est-il proposé, comme l'ont suggéré quelques-uns, d'indiquer aux professeurs et aux instituteurs les règles à suivre, pour hypnotiser honnètement et utilement, les jeunes sujets qui leur sont confiés ? On pourrait le croire à première vue. On se tromperait grandemeut. M. Thomas fait, dans son étude, une place importante à la suggestion hypnotique. Il analyse en psychologue, la façon dont-elle agit, tout à la fois, sur l'organisme, sur l'intelligence et sur la volonté. Et il montre par des exemples nombreux et authentiques, quelle peut être, dans bien des cas, la puissance de cette action singulière, d'une personnalité sur une autre. Il ne méconnait pas que, parfois pour des guérisons morales comme pour des guérisons physiques, il ne puisse en être fait un usage utile et bienfaisant. Mais il ne croit permis d'y recourir que dans des circonstances exceptionnelles, et ce n'est jamais à un professeur ou à un instituteur, dépourvus des connaissances spéciales, sans lesquelles on ne peut se risquer à troubler le jeu naturel de la vie, qu'il permet de se livrer à ces expériences dangereuses. Indépendamment des abus auxquels elles peuvent prêter, il estime, avec raison suivant nous, que l'assujettissement d'une volonté à une autre, véritable servitude morale plus grave que la servitude civile, proscrite par nos lois, est un attentat contre la dignité humaine, et doit être, par conséquent, en dehors de ces circonstances exceptionnelles où la nécessité s'impose, absolument interdite.

Il insiste, au contraire, de la façon la plus pressante et la plus persuasive, sur l'emploi de ce que l'on pourrait appeler la suggestion

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