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été investies, ce qui les obligea à modifier leurs pratiques. Quelquesunes se convertirent en associations purement mutuelles.

La Révolution survint; elle se montra impitoyable pour les associations en général, qu'elles eussent revêtu la forme mutuelle ou simplement professionnelle. La loi du 17 juin 1791 leur interdit de prendre des mesures en vue de sauvegarder leurs intérêts communs. Dès lors, presque toutes les sociétés, courbant le front sous ce vent d'hostilité, durent se dissoudre, à l'exception d'une dizaine qui continuèrent à distribuer leurs secours secrètement. Sous l'Empire, les sociétés de secours mutuels furent de nouveau autorisées. Il s'en forma un grand nombre sur toute l'étendue du territoire. Ensuite la Restauration leur imposa certaines entraves; mais le mouvement ne se ralentit pas pour cela, et sous la monarchie de Juillet, bien que soumises également par la loi du 10 avril 1837, et surtout par celle de 1834, à des formalités vexatoires, une grande quantité de ces sociétés s'organisèrent et fonctionnèrent avec des chances diverses de réussite.

Le Gouvernement provisoire de 1848 fut essentiellement favorable aux sociétés de secours mutuels. Le décret du 28 juillet de la même année consacra d'ailleurs, sans aucune espèce de restriction, la liberté de réunion. Ce fut une véritable éclosion d'œuvres d'assistance. La demande préalable d'autorisation ayant été abolie et toutes les formalités administratives supprimées, les sociétés redoublèrent d'efforts pour activer leur propagande.

Jusqu'en 1850 ces institutions jouirent de la plus entière liberté d'action.

Alors intervint une loi visant la réorganisation de l'assistance publique, qui permettait aux sociétés de secours mutuels d'être déclarées établissement d'utilité publique. Elles avaient la faculté d'assurer des secours temporaires à leurs membres, en cas de maladie ou d'infirmités reconnues, et de pourvoir à leurs frais funéraires. Il leur était interdit cependant de servir des pensions de retraite.

Elles devaient compter au moins cent membres et ne pouvaient dépasser le chiffre de deux mille. Toutefois, le ministre, sur la demande du maire ou du préfet, avait le droit de les autoriser à admettre plus de deux mille membres.

Les sociétés étaient placées sous la surveillance et la protection de l'autorité municipale.

Le montant des cotisations était déterminé par les statuts, d'après les tables de mortalité et de maladies, confectionnées ou approuvées par le gouvernement.

Lorsque les fonds récoltés atteignaient la somme de 3.000 francs, le surplus devait être versé à la Caisse des dépôts et consignations. Le taux de l'intérêt des sommes déposées était fixé à 4 1/2 0/0.

Il était permis aux sociétés déclarées établissement d'utilité publique de recevoir des dons et legs. Au besoin, les communes fournissaient gratuitement les locaux nécessaires ainsi que les livrets et registres de comptabilité. Tous les actes passés étaient exempts des droits de timbre et d'enregistrement.

Celles de ces sociétés qui avaient déjà été reconnues comme établissement d'utilité publique pouvaient continuer à s'administrer conformément à leurs statuts; quant à celles non autorisées, mais existant depuis un certain nombre d'années, faculté leur était laissée de revendiqner le caractère officiel, lors même que leurs statuts n'étaient pas d'accord avec les conditions de la loi promulguée.

Les autres sociétés constituées qui se formeraient dans l'avenir, avaient le droit de s'administrer librement, tant qu'elles ne demanderaient pas d'être reconnues comme établissement d'utilité publique. Néanmoins, elles pouvaient être dissoutes si elles perdaient leur caractère de sociétés de bienfaisance ou si leur gestion laissait à désirer.

Mais la loi de 1851 amenda en partie ces dispositions libérales. Les sociétés furent obligées de communiquer à l'autorité administrative leurs livres, pièce de comptabilité, procès-verbaux, etc. De plus, les préfets reçurent pouvoir de suspendre celles d'entre elles qui s'écarteraient des règles qui leur étaient imposées, en tant qu'institutions de bienfaisance.

La loi de 1852 eut une portée plus générale encore et créa de nouvelles sociétés dans chaque commune. Elle conféra la capacité civile à celles qui avaient été approuvées. Ces sociétés devaient être constituées par les soins du maire ou du curé, après que T'autorité préfectorale en aurait reconnu l'utilité.

Composées de membres participants et de membres honoraires, le nombre de leurs associés ne pouvait dépasser cinq cents sans autorisation. Le président était nommé directement par le chef de l'État.

Elles avaient pour but, également, d'assurer à leurs membres des secours temporaires,en cas de maladie ou d'infirmités, de pourvoir à leurs frais funéraires et de leur promettre des pensions de retraite liquidées sur livrets individuels.

Les statuts étaient soumis à l'approbation du préfet, et ils fixaient

le chiffre des cotisations d'après des tableaux de maladie et de mortalité approuvés par le gouvernement.

Les sociétés étaient tenues d'adresser chaque année, au préfet, un compte rendu de leur situation morale et financière. Elles jouissaient de la personnalité civile, pouvaient prendre des immeubles à bail et avoir un local pour leurs réunions. Remise leur était faite des deux tiers de la taxe municipale perçue sur les convois funèbres en général; elles étaient exemptes aussi des droits de timbre et d'enregistrement et participaient aux subventions du gouvernement.

En outre, par décrets du 22 janvier et du 27 mars 1852, un fonds de dotation de 10 millions de francs fut constitué en leur faveur. Maintenant, si l'on veut connaître le nombre des sociétés de secours mutuels formées, celui de leurs adhérents, après une longue période d'exercice, et le montant de leurs ressources, il n'y a qu'à donner quelques chiffres.

En 1789, 13 associations seulement de secours mutuels existaient sur toute l'étendue du sol français; en 1800 ce nombre s'élève à 45; en 1815 à 59; en 1822 à 132; en 1830 à 496; en 1848 à 1.584; en 1852 à 2.438; en 1872 à 5.793; en 1882 à 6.525. De 1882 à 1892, la progression a été sans cesse croissant. Au 1er janvier 1892, nous avions environ 9.600 sociétés, et le mouvement en avant ne s'est pas ralenti depuis.

Passons au nombre des adhérents en 1822 ils sont 11.000; en 1842 17.500; en 1852 250.000; en 1872 800.000; en 1882 1.000.000; en 1892 on compte plus de 1.500.000 mutualistes.

Si, après cette énumération, on examine l'avoir de ces sociétés, on constate qu'elles possédaient, en 1852, 11 millions environ; en 1887 elles accusent 85 millions au fonds de réserve et 69 millions au fonds des retraites: total 154 millions. Ces chiffres se sont augmentés d'une façon notable. En 1891 nous trouvons 92 millions portés au fonds de réserve et 91 millions portés au fonds des retraites: total 183 millions.

Ce sont là des ressources qui, mieux employées, pourraient assurer de véritables avantages aux associés; mais en est-il ainsi? Examinons. Nous tâcherons ensuite de nous rendre compte de l'état d'esprit dans lequel agissent nos mutualistes en général.

II

Parlons d'abord des pensions accordées.

Ces pensions sont on ne peut plus réduites, les procédés em

T. XXV.

JANVIER 1896.

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ployés par ces sociétés étant en quelque sorte empiriques. D'autre part, les errements suivis en matière administrative ont été défavorables à l'action du groupement des adhérents; la conduite des opérations n'a pu que laisser ainsi à désirer: d'où la pénurie forcée des résultats.

Les plus importantes d'entre elles avaient résolu de servir des pensions à ceux de leurs membres entrés dans la société depuis au moins vingt ans et ayant atteint l'âge de 60 ans, et l'impossibilité où elles se sont trouvées de s'exécuter a dû faire surseoir à toute espèce de règlement de pensions. On a exigé alors cinq ans de plus de sociétariat et 65 d'âge; la même difficulté est apparue aux yeux des administrateurs consternés.

Quant aux capitaux constitués en faveur des familles des adhérents, ils sont pour ainsi dire nuls. Les sociétés s'abstiennent de se livrer à cette opération - et elles ont raison d'être prudentes; cette opération leur réserverait de bien autres déceptions que le service des retraites; si la pension allouée est si difficile à obtenir, que serait-ce s'il fallait payer un capital à la famille du décédé !

Il n'y aurait qu'une vaste mutualité qui pourrait permettre aux sociétaires de participer aux combinaisons de l'assurance « vie entière». Ici la supériorité du système de groupement éclate d'une façon indéniable. En effet, que se passe-t-il dans les sociétés de secours mutuels pour le service des pensions? Les versements opérés par le sociétaire sont perdus pour la famille, si celui qui la soutient vient à disparaître. Tout ce qu'il a versé est acquis au fonds commun; ce sont les survivants qui devront en profiter; et il se trouve que ce sont précisément les sociétaires àgés, c'est-àdire ceux qui ont alimenté le plus longtemps la caisse sociale, qui payent le plus large tribut à la mortalité.

Si ces versements étaient faits à la Caisse nationale des retraites, ainsi que nous l'avons fait observer dans une précédente étude, le déposant n'engagerait son opération qu'à capital réservé, de telle sorte qu'au décès, une somme déterminée à l'avance serait attribuée aux membres survivants de sa famille.

Il n'en est pas ainsi, nous le répétons, à la société de secours mutuels le capital constitué par les versements du travailleur est forcément aliéné, et de là une perte réelle pour ses héritiers naturels. Par le fait, la famille du participant décédé ne peut réclamer d'autre allocation que celle que la société veut bien lui accorder.

Evidemment, l'adhérent sait à quoi il s'expose en entrant dans

la société ; mais il n'en est pas moins vrai que son acte de prévoyance, tout inspiré qu'il soit par un véritable esprit d'épargne, lèse finalement les intérêts de la famille.

Cet inconvénient disparaîtrait dans la participation effective des membres de ces sociétés à une grande association mutuelle d'assurance. A côté de leur caisse mutuelle proprement dite, ils pourraient organiser une caisse des familles pour l'assurance en cas de décès des adhérents. Les capitaux constitués grâce à cette combinaison, serviraient à rembourser intégralement aux familles des décédés les sommes que ceux-ci auraient versées.

Supposons 500 personnes assurées à la caisse des familles dont nous parlons, pour une somme de 1.000 francs chacune; ce chiffre de participants produirait, au bout d'une période d'années quelconque, une dotation certaine de 500.000 francs; l'assurance de ces 500 personnes entraînerait, il est vrai, des versements multiples, mais il est utile de faire remarquer que les primes payées varieraient selon le montant du capital assuré et le nombre des personnes participant à l'opération.

Dès la première année, on aurait la certitude d'un résultat satisfaisant, examen fait des statistiques de mortalité applicables aux sociétés de secours mutuels.

Mais revenons à la question des retraites.

Il y a quelques années, le ministre de l'Intérieur, en plein Parlement, constatait que les sociétés de secours mutuels, au nombre alors de 2.871, n'avaient pu distribuer, chacune d'elles, en moyenne, que 6 pensions par an ! Le chiffre moyen également des pensions accordées n'était que de 69 fr. 70. Depuis, ce chiffre et ce nombre n'ont pas augmenté dans de bien grandes proportions. 11 pensions seulement de 600 francs, sur tout l'ensemble des sociétés, avaient été servies!

Ainsi, malgré les subventions de l'État, malgré les sacrifices faits par les adhérents de ces associations, on arrivait à ces pauvres et peu encourageants résultats. « Et pourquoi, demandait le ministre, une si maigre distribution de pensions? Parce que les sociétés s'obstinent en des errements peu profitables, parce que leurs opérations financières sont dirigées d'une façon peu intelligente ».

Voici, d'ailleurs, comment elles emploient leurs ressources : elles perçoivent une cotisation unique, et sur cette cotisation,sans règle fixe, elles prélèvent chaque année, après avoir fait face à certaines dépenses, un quantum qu'elles versent à la Caisse des dépôts et consignations, au fonds spécial des retraites. Le verse

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