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expliquer de la même façon l'échec de plusieurs « sociétés éphémères» notamment d'Haverstray Community.

De ce qui précède, il nous est permis de conclure que, pour réussir, une communauté doit se composer d'individus « habitués à exercer un métier manuel, de goûts simples, d'une instruction limitée, sobres, soigneux, laborieux, confiants les uns dans les autres et toujours prêts à s'entr'aider.»

Ce sont là bien des conditions à remplir. Mais ce ne sont pas les seules.

Un des facteurs du succès consiste dans la présence à la tête de la société d'un leader intelligent, absolument rompu aux affaires, doué d'un grand tact et d'une volonté à toute épreuve 1. On n'a pour s'en convaincre qu'à consulter l'historique d'Hopedale, Bishop Hill, Icaria, Aurora, Bethel, Social Reform Unity, Coxsackie Communauty, Leroysville Phalanx, Clarkson Association etc., etc. Plus l'autorité du leader est considérable, plus les chances de réussite augmentent; quand elle est complète, indiscutée, aussi contraire que possible à l'esprit du communisme, la communauté est sûre de marcher à grands pas dans la voie du progrès!

En dernier lieu, force nous est de constater qu'aucune société non religieuse ne figure parmi les communautés actuellement existantes. Bien plus, une seule, Icaria, apparaît dans notre nomenclature des « sociétés durables ». Et on sait ce qu'Icaria a eu à souffrir avant de mourir, on peut le dire, d'inanition.

C'est là un fait devant lequel il n'y a qu'à s'incliner. L'observation pure et simple des règles d'un culte donné ne suffit même pas. Il faut quelque chose de plus: une particularité religieuse quelconque, le mysticisme des Shakers, le piétisme d'Harmony ou de Zoar, l'« inspiration » d'Amana. Parmi les sociétés aujourd'hui éteintes, celles-là seules qui étaient animées d'un esprit religieux particulier ont pu vivre quelques années.

Quant au célibat, il ne parait pas être une des conditions sine qua non du communisme. Sans doute, trois des cinq sociétés actuellement en exercice proscrivent le mariage; mais l'une d'elles, Economy, était prospère avant d'avoir inscrit le célibat dans ses statuts. Amana et Zoar, les deux communautés non opposées au

1 Les Shakers ne font pas exception à la règle. On sait qu'ils forment une théocratie et obéissent aveuglément au chef de leur comité exécutif.

mariage, ne sont pas dans une situation inférieure par rapport aux trois autres.

Il est un point sur lequel nous devons attirer l'attention, car il touche à l'essence même du communisme. Aussitôt qu'une communauté prospère, son ardeur au travail diminue, et l'on a recours pour les gros ouvrages à des ouvriers salariés. On constate cet état de choses dans les sociétés d'origines les plus diverses, et tout aussi bien dans les phalanges fouriéristes que dans l'Icaria de Cabet et les communautés piétistes allemandes.

Pour ne citer que quelques exemples:

Dans la North American Phalanx, on admet Temploi d'ouvriers « pour augmenter la valeur du sol » (!).

A Aneida, dans les derniers temps surtout, presque tout le travail manuel est effectué par des ouvriers à gages.

A Bethel, on emploie des ouvriers pour couper du bois.

A Aurora, on les emploie dans les manufactures.

A Icaria, on les utilise de diverses façons.

A Amana, en 1874, on comptait près de deux cents ouvriers, vivant dans des maisons construites spécialement pour eux par la société.

A Zoar, on en compte environ cinquante.

A Economy, à un certain moment, le nombre des employés à gages est dix fois plus considérable que celui des communistes proprement dits.

Chez les Shakers, la plupart des gros ouvrages sont confiés à des serviteurs. Actuellement même, ce n'est plus qu'à ces derniers qu'on applique certaines règles génantes instituées jadis pour les communistes eux-mêmes l'obligation de se lever de très bonne heure, par exemple.

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On le voit, les membres d'une communauté, semblables en cela aux autres capitalistes, ne sont plus que les patrons et les directeurs du travail !

Remarquons en passant que c'est là un trait commun à toutes les sociétés du même genre. Les Touaregs du Sahara ont des esclaves; les Boers en ont eu jusqu'à l'abolition de l'esclavage par la colonie du Cap en 1834, et emploient aujourd'hui des Cafres comme ouvriers salariés.

Ceci nous amène tout naturellement à une remarque qui n'est pas faite pour rassurer les gens qui prônent la généralisation des expériences communistes: à savoir qu'une communauté ne semble pas pouvoir se passer du « monde extérieur».

C'est dans ce monde si méprisé par eux que les communistes puisent leurs aides, leurs sous-ordres, quand ils sont devenus assez riches pour entretenir des domestiques et des ouvriers.

C'est dans ce monde qu'ils trouvent à échanger leurs produits contre de beaux deniers comptants; c'est là qu'ils se procurent des fermiers pour leurs terres, des locataires pour leurs immeubles. Bien plus, c'est là que la société recrute ses membres eux-mêmes, et prend soin de les choisir de façon à assurer sa propre stabilité et à sauvegarder ses intérêts. Et cette sélection présente des difficultés si grandes que nulle des communautés actuellement en existence ne fait plus aujourd'hui d'efforts sérieux pour se procurer des adhérents.

Considérées dans leur ensemble, leurs rangs s'éclaircissent de jour en jour; et si, grâce à un recrutement tout particulier, au talent, à l'autorité de leurs leaders, elles ont prospéré et sont parvenues à l'opulence, il est facile de voir qu'elles n'ont pas d'avenir. GEORGE NESTLER TRICOCHE.

T. XXV.

MARS 1896.

23

LE NOUVEAU PROJET DE LOI

SUR

LA TENTATIVE DE CONCILIATION OBLIGATOIRE

ENTRE PATRONS ET OUVRIERS

Il faudrait appliquer à la législation du socialisme d'État le mot de Stendhal sur l'amour qu'il définissait, comme on sait, une «< cristallisation ». Une fois le travail législatif commencé, il allonge, il multiplie forcément et comme fatalement, ses rameaux. C'est là le principal péril de l'intervention de l'État dans les domaines qui devraient lui être interdits. Elle s'étend par une marche irrésistible, lente d'abord, bientôt rapide et envahissante. Nous avions, il y a plusieurs années déjà et avec beaucoup d'autres observateurs impartiaux, signalé ici même le danger d'une loi spéciale sur l'arbitrage industriel. A ceux qui, voulant l'arbitrage facultatif, acceptaient cependant l'ingérence du législateur, en disant : « Si une loi est inefficace, du moins elle ne fera pas de mal », nous répondions: «< Elle fera du mal, parce qu'elle répand des idées fausses sur le rôle des pouvoirs publics en matière de conflits industriels ». La loi de 1892 sur l'arbitrage a été volée, après avoir été allégée de toute la partie du projet qui concernait les comités permanents. Elle organisait, on le sait, l'intervention facultative du juge de paix pour provoquer l'arbitrage. Voilà plus de trois ans que cette loi fonctionne. Elle a, dans quelques différends industriels de petite échelle, produit de bons effets. On relève dans les documents publiés par « l'Office du travail » que sur 391 grèves qui ont éclaté en 1894, on a, pour 101, tenté un recours à la conciliation, et que sur ces 101 efforts de pacification, 38 ont abouti à une transaction et à la fin des hostilités mais on néglige souvent, dans ces documents, d'apprécier l'importance des conflits au point de vue du nombre d'ouvriers ou de l ordre des questions engagées. Dans le fait, sans nier l'heureuse influence, dans un certain nombre de cas, de l'intervention des arbitres officiels, il est de notoriété que les grandes grèves ont, depuis 1892, suivi à peu près le même cours que les

1 Voir le Journal des Économistes, 15 mars 1887; 15 janvier 1892.

grèves précédentes. Parfois les ouvriers ou leurs meneurs politiques ont feint de réclamer avec insistance l'arbitrage, lorsqu'ils savaient que les patrons, vu la nature des questions soulevées, ne pouvaient pas s'y soumettre. C'était un essai pour mettre l'opinion publique de leur côté. Dans d'autres circonstances bien connues, à Carmaux, ils ont demandé des arbitres, et ont ensuite refusé d'obéir à la sentence prononcée par un membre du Gouvernement, imprudemment engagé dans cette démarche.

A cet échec relatif de la loi de 1892, il y a des raisons générales qu'il était facile de prévoir. Pas plus en France qu'ailleurs, la conciliation ou l'arbitrage ne peuvent être des panacées. On a vu les interventions pacifiques échouer aussi bien en Angleterre, en Belgique, en Allemagne, en Amérique que chez nous, et des grèves désastreuses s'y prolonger des semaines ou des mois, avec leur cortège habituel de désordres et de misères. Certains dissentiments entre patrons et ouvriers ont pour cause des passions beaucoup trop profondes ou violentes, ou surexcitées par des meneurs trop intéressés à la continuation de la lutte, pour être apaisés par une entente amiable de quelque façon qu'elle soit provoquée. Il ne faut pas se faire d'illusions sur ce point. Dans ces derniers temps, notamment, on a vu certaines grèves revêtir un caractère nettement politique qui interdisait toute tentative de rapprochement basée sur des motifs professionnels. Dans ce cas, la grève est surtout le résultat de l'ingérence, dans les rapports des entreprises et de leur personnel, de personnages ambitieux, en quête d'une situation politique, ou jaloux de conserver, par un regain de popularité, celle qu'ils ont acquise et sentent menacée. Agissant sur des populations dociles, victimes de leur ignorance et de leur passivité séculaire, faciles à échauffer par leur masse même, les meneurs les entraînent au nom d'un syndicat plus ou moins irrégulièrement constitué et qui souvent ne représente qu'un nombre restreint de travailleurs, à des réclamations impossibles à satisfaire, quelquefois même à formuler; ils les leurrent d'espérances et de promesses chimériques, les contraignent à l'interruption du travail, et par suite des salaires, source plus tard de longs griefs contre le capital, que la prédication socialiste saura exploiter. Ces grèves-là, pour ne parler que des dernières, cela a été Carmaux (mines), plus récemment le Pas-de

1 Dans la grève du Pas-de-Calais M. Basly disait textuellement aux syndicats des mineurs : « Nommons des arbitres, pour embêter le gouvernement. » (Discours du ministre des Travaux publics à la Chambre, au Journal Officiel.)

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