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MOUVEMENT SCIENTIFIQUE ET INDUSTRIEL

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La photographie à travers les corps opaques. Les rayons cathodiques et les tubes de Crookes; les expériences de M. Lenard et les rayons X de M. Röntgen. Les applications du nouveau système de photographie. Les expériences de M. Lebon sur la lumière noire. L'augmentation de la vitesse des trains; l'accélération en France, sur les différents réseaux. Les luttes de vitesse entre compagnies anglaises, et les résultats obtenus sur les chemins de fer des États-Unis. Les progrès du matériel de la pèche maritime; les navires de pèche à vapeur, le développement de cette industrie en Allemagne et en France. La fabrication du beurre et ses difficultés; la baratte Chénais et Berland; l'appareil à fabrication directe de M. Salénius.

Il y a quelque temps, une grande émotion s'est produite dans la presse quotidienne et a naturellement gagné le gros public : un savant allemand, le professeur Wilhelm Conrad Röntgen, venait de mener à bien des expériences dont il pouvait présenter les résultats sous la forme la plus originale: il prenait la photographie d'une main où l'on apercevait tout le squelette, et l'on en concluait que, grâce à sa découverte, il devenait possible de photographier l'intérieur du corps humain à travers l'organisme. Nous verrons que la conclusion était quelque peu exagérée, mais la découverte n'en était pas moins intéressante, et le public qui ne suit pas les progrès scientifiques, devait à bon droit s'étonner de voir prendre, par exemple, la photographie d'une boussole à travers les parois d'une boîte dans laquelle elle se trouvait enfermée.

Mais il est bon de montrer comment des découvertes successives ont amené celle de M. Röntgen, et d'indiquer quelques-unes des applications dont elle est susceptible.

Les travaux de M.Röntgen ont des précédents d'une grande importance, et qui sont pourtant peu connus. Rappelons d'abord que les rayons lumineux que perçoivent nos yeux ne constituent qu'une partie des phénomènes de rayonnement nous ne percevons le monde extérieur que d'une façon toute relative, nos sens sont assez imparfaits, et bien des choses nous échappent qui n'en existent pas moins. Parmi les différents rayons émis simultanément par le soleil et qui forment dans leur ensemble la lumière solaire qui nous éclaire, en dehors des sept couleurs qui constituent le spectre vi

sible, il y a le spectre invisible, invisible pour nous, parce que nos organes y sont insensibles : dans ces rayons invisibles, il existe des rayons calorifiques, qui agissent sur le thermomètre, puis des rayons actiniques, auxquels les préparations dont sont revêtues les plaques photographiques sont particulièrement sensibles. On voit que, sans parler même de ce qu'on appelle les rayons électromagnétiques, les phénomènes du rayonnement échappent en grande partie à nos sens grossiers, et nous réservent bien des surprises.

Dès 1851. quand on découvrit la bobine de Ruhmkorff, aujourd'hui bien connue, on se mit à étudier le passage de l'étincelle électrique dans les gaz raréfiés, et c'est dans cet ordre d'idées que Geissler inventa les tubes qui portent son nom et servent aux expériences les plus courantes, et où l'étincelle, en traversant un vide partiel, prend les apparences les plus variées. Il y a une quinzaine d'années, Crookes étudia les décharges électriques à haute tension dans un tube du même genre, où le vide était poussé beaucoup plus loin, jusqu'à une pression qui ne dépassait point un millième de millimètre de mercure. Mais Crookes interprétait son expérience dans un sens tout spécial sur lequel nous ne pouvons aucunement insister en dépit de l'intérêt qu'il présente au point de vue physique. L'illustre physicien, d'ailleurs, ne se préoccupait guère des actions lumineuses qu'il obtenait.

Dans ces essais, les rayons lumineux s'échappent de la cathode, c'est-à-dire du côté du pôle négatif, de la tige métallique reliée au pôle négatif de la pile: c'est pour cela qu'on a nommé rayons cathodiques les manifestations lumineuses qui se produisent dans un tube de Crookes. En continuant les travaux de Crookes et pour en trouver une explication satisfaisante, on a voulu chercher dans quelles conditions ces rayons cathodiques se propagent. Hertz a constaté qu'ils traversent successivement plusieurs feuilles de métal absolument impénétrables à la lumière ordinaire, et qu'ils continuent de se propager en ligne droite; on comprend que cette constatation était déjà fort importante. M. Lenard, élève et préparateur de Hertz a, en 1894, repris la question et obtenu des résultats remarquables. Il installa un appareil produisant des rayons cathodiques qui venaient traverser une petite plaque d'aluminium de trois microns ou de 3 millièmes de millimètre d'épaisseur.

Il arrivait bientôt à cette conclusion que les rayons en question agissent sur la plaque photographique tout comme la lumière ordinaire; si l'on enferme complètement une plaque photographique

dans une boîte métallique dont la paroi a quelques microns d'épaisseur, et qu'on expose aux rayons cathodiques, on obtient une impression photographique. M. Lenard lançait de même ses rayons cathodiques sur une substance phosphorescente, autrement dit qui devient lumineuse après exposition à la lumière : cette substance était recouverte d'une feuille de métal, et cependant elle devenait phosphorescente après cette exposition. D'une façon générale,les corps solides se comportent d'une manière bien étrange vis-à-vis de ces rayons bizarres ceux-ci traversent sans difficulté, ainsi que nous l'avons vu, des feuilles minces de métal ou du papier peu épais, mais ils sont arrêtés par du carton, et, ce qui est bien plus extraordinaire, une lame de quartz d'un demimillimètre d'épaisseur les absorbe complètement. On sait pourtant que la lumière ordinaire traverserait aisément une lame de cette nature. On a bien mis en évidence ces étrangetés en faisant agir des rayons cathodiques sur une plaque photographique qui était recouverte mi-partie d'aluminium et mi-partie de quartz: la plaque est impressionnée là où on la croirait protégée par le métal, tandis qu'elle n'est nullement impressionnée sous son revêtement de quartz.

M. Lenard avait constaté qu'en général les corps arrêtent les rayons cathodiques suivant leur densité, et il avait noté que la main interposée sur leur passage les empêchait de continuer leur route. On voit que, par ces essais, il avait quelque peu frayé la route à M. Röntgen.

Le professeur de l'Académie de Wurtzbourg, voulant dernièrement étudier les rayons cathodiques de Lenard, avait enveloppé le tube où passait le courant électrique d'un papier noirci; mais quel ne fut pas son étonnement quand il vit le papier phosphorescent sur lequel il voulait faire des expériences, devenir lumineux même quand il n'était pas frappé par les rayons cathodiques, mais simplement par d'autres rayons quelconques et inconnus émanant du tube et traversant le papier noirci. Ces rayons inconnus, Röntgen les a appelés << rayons X », par suite du manque de notions précises qu'on possède sur eux, et aujourd'hui on les nomme volontiers rayons Röntgen.

Le fait est que ce qui constitue le véritable mérite de M. Röntgen, c'est qu'il a su tirer un meilleur parti de ses expériences que Lenard. D'une façon très méthodique, il a interposé entre le tube et la matière sensible sur laquelle il voulait agir, une série de matières opaques, papiers divers, bois, etc.; il a pu constater que seuls certains métaux ou certaines matières denses

peuvent intercepter les fameux rayons, et, tirant un parti logique de ces propriétés, il est arrivé à produire la photographie ou plutôt l'ombre portée de deux poids métalliques enfermés dans une boite en bois. Le mot photographie est parfaitement inexact : c'est qu'en effet les impressions qu'on obtient sur les plaques sensibles ne sont que les ombres d'objets de densité variable, ce sont des silhouettes que l'on enregistre ainsi, les parties sombres étant celles où les rayons X n'ont pu arriver que peu ou point. Si l'on interpose la main entre le tube d'où émanent les rayons et la - plaque, les os produisent des ombres noires, tandis que les tissus qui les entourent donnent des ombres plus légères, par suite de leur densité plus faible. C'est là l'explication de la photographie si curieuse qui a fait tout le tour de la presse ces temps derniers. Les chairs sont presque entièrement transparentes pour ces rayons merveilleux; de même ils agissent au travers d'un livre imprimé de 1.000 pages, à travers deux jeux de cartes, à travers des blocs de bois de 2 à 3 centimètres d'épaisseur; c'est à peine si une feuille d'étain interposée produit une légère ombre, Une feuille d'ébonite de plusieurs centimètres est transparente pour ces mêmes rayons, alors que le verre l'est peu et le cristal encore moins. On a déjà multiplié les expériences avec ces rayons X on obtient par exemple l'ombre radiographique du contenu d'un porte-monnaie, les pièces arrètant à peu près complètement les rayons, tandis qu'ils traversent aisément le cuir de la bourse.

Mais nous insistons sur ce point dont nous avons dit tout à l'heure deux mots : il n'y a pas en réalité photographie comme si les parois de bois ou de cuir, les enveloppes de chair n'existaient point on voit seulement des silhouettes, et on ne perçoit cette silhouette des objets intérieurs qu'à la condition que ces objets soient d'une substance plus dense que la substance enveloppante.

Bien entendu, et mème avec cette restriction, le nouveau procédé est susceptible de rendre de bien grands services on voit, sinon dans le corps humain, du moins à travers le corps humain, tout ce qui peut se manifester nettement par une silhouette, par une ombre. Un os brisé montrera ses esquilles, une balle, une aiguille au milieu des tissus se révéleront par une ombre épaisse. Dès maintenant, des expériences probantes ont été faites principalement en chirurgie c'est ainsi qu'un médecin viennois, Mosettig, a déterminé avant toute opération et avec précision la position d'une balle dans le bras d'un blessé; il a reconnu -de même la nature d'un accident au pied. I paraîtrait que des médecins à Londres auraient découvert, suivant le même

moyen, l'emplacement exact d'une pointe de couteau qui s'était cassée en se piquant entre deux vertèbres : le fait est assez douteux, car l'éclairage du dos parait bien difficile. Le Dr Lannelongue a fait trois applications fort bien comprises des rayons X: ila pu, notamment, trouver ainsi la nature exacte de la carie d'un fémur, n'étant nullement géné par l'épaisseur considérable des tissus de la cuisse. On comprend que cet emploi de la radiographie sera également précieux pour l'observation des tumeurs par exemple, toujours par transparence.

Il est certain que la découverte complète de cette nouvelle forme du rayonnement est des plus intéressantes, mais nous devons bien nous figurer que nous sommes entourés d'une foule de phénomènes que nous ne percevons pas; et c'est à ce titre que nous signalerons des recherches bien curieuses que poursuit depuis deux années M. le Dr G. Le Bon. Nous venons de voir que des corps qui nous semblent absolument opaques se laissent parfaitement traverser par les rayons Röntgen; or, le Dr Le Bon a constaté que l'opacité n'est qu'un phénomène tout relatif, n'existant que pour un œil aussi imparfait que le nôtre cet organe, construit un peu différemment, pourrait voir à travers les murailles, la lumière, ou au moins certaines radiations lumineuses, traversant les corps les plus opaques. M. Le Bon a mis un cliché en contact avec une glace photographique, dans un châssis, puis il a recouvert le tout d'une plaque de fer, en plaçant par endessous une plaque de plomb. Après une exposition à la lumière, prolongée bien entendu assez longtemps, il obtient sur la plaque sensible une reproduction du cliché, ce qui suppose forcément que la lumière a pénétré à travers le métal. Le carton, le cuivre. sont de même aisément traversés: il passe de la lumière, une lumière imperceptible pour nos yeux, et que le D' Le Bon a baptisée pour cela du nom curieux de lumière noire.

Il y a très probablement une parenté entre les rayons cathodiques, les rayons X et enfin ceux dont M. Le Bon constate le passage à travers bois, carton ou métal: en tout cas, dès maintenant, un domaine nouveau s'entr'ouvre pour la science. Avant de finir, nous signalerons des photographies de mains de tuberculeux. qui ont été prises par M. le professeur Puluj, de Prague, et où l'on aperçoit nettement les ravages de la maladie dans le système osseux; on comprend de quel secours peut être pareil procédé pour le diagnostic.

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