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nous est un sûr garant de notre sincérité. Mais nos mutualistes commettent une erreur capitale. Une distinction essentielle est à faire entre les sociétés par actions et les sociétés mutuelles; et c'est ici qu'apparait l'ignorance singulière des défenseurs du régime de 1852.

La mutualité, au contraire, a été une des premières étapes franchies dans la voie des réformes poursuivies en matière d'assurance, et la preuve en est dans ce qui se passe en ce moment parmi nos compagnies, qui voient leurs concurrentes, les sociétés mutuelles, leur disputer chaque jour avec succès le terrain de la production.

Malheureusement, combien de personnes ignorent la façon de procéder des compagnies en général, sont étrangères à l'histoire de l'assurance, intimement mêlée pourtant à celle de la mutualité, confondent les systèmes, sont peu aptes à se prononcer en faveur de celui-ci ou de celui-là. C'est toute une éducation à faire dans le public, et il n'y a pas lieu de s'étonner des hérésies commises par les uns, des jugements inconsidérés portés par les autres sur les méthodes appliquées.

Faut-il donc mettre sous les yeux des écrivains mutualistes, de ceux qui veulent quand même argumenter et s'improviser professeur ès-sciences sociales, toutes les appréciations formulées par des maîtres de la doctrine économique, par des hommes dont la compétence ne se discute plus et qui ont nettement déclaré que les lois qui ont présidé à l'élaboration du système de la mutualité, en matière d'assurance, donnent toute satisfaction aux intéressés et les laissent maîtres absolus de leur opération. Ce système a ses règles fixes et ses principes dont il ne convient pas de s'écarter, car c'est dans leur application stricte que réside la sûreté des engagements pris et la certitude des indemnités promises.

Faut-il leur expliquer que toutes ces autorités, sans exception, ont appelé l'assurance pratiquée d'après l'ancien système une opération lucrative et l'assurance basée sur la mutualité une opération de solidarité, la première poursuivant un bénéfice (aux dépens des assurés) la seconde n'en réalisant aucun?

Faut-il leur rappeler que ces spécialistes ont tous également considéré le système pratiqué par les compagnies à capital comme très coûteux, peu en rapport avec les charges établies, et celui que les sociétés mutuelles n'ont pas cessé d'améliorer comme le seul capable de leur faire réaliser des économies; qu'il représente non seulement la meilleure forme d'assurance, mais encore le procédé

le plus simple pour se procurer des ressources, la cotisation étant ici véritablement en rapport avec les obligations consenties.

Remontons, puisqu'il le faut, à la genèse des assurances et rappelons le rôle qu'elles furent appelées à jouer dès le principe.

Lorsque les premières sociétés s'organisèrent, c'est-à-dire au commencement du siècle, on ne savait pas encore ce que les assuranees produiraient en France, comme résultats financiers, car, bien entendu, les initiateurs de ce système de garantie comptaient faire, non de la prévoyance,mais une opération de profit pour euxmêmes. Il s'agissait d'aventurer des capitaux. On avait entendu parler de la réussite des assurances en Angleterre; on ignorait l'accueil que la population de notre pays leur réserverait, le cas échéant. C'était done une affaire à risquer.

On n'avait qu'une vague idée de la forme coopérative, qui ramène l'opération à ses règles les plus simples et ne réclame. aux associés que les versements absolument nécessaires à la garantie des risques courus. On était encore à la recherche des bases qui permettraient d'organiser une association mutuelle générale.

Par bonheur, la tentative réussit. L'assurance avait été accueillie sinon avec faveur, du moins sans trop d'hostilité de la part de la population, malgré les foudres lancées par quelques-uns de nos légistes.

Les résultats acquis depuis furent très brillants. On constitua bientôt de nouvelles sociétés qui participèrent de leur côté à la diffusion des idées de prévoyance et assurèrent de fructueux dividendes à leurs actionnaires.

Bien des années s'écoulèrent, et l'on se préoccupa enfin - surtout à l'étranger d'améliorer le système en usage dans les compagnies à capital. Des sociétés à base mutuelle se formèrent, qui associèrent directement les assurés à leurs opérations,au lieu d'en faire profiter les seuls actionnaires.

Vint ensuite le système coopératif qui fut comme le mec plus ultra de la prévoyance et de la participation mutuelle. L'adhérent ne deboursait plus que le strict nécessaire pour faire face aux charges: soit les frais d'administration, ramenés à un chiffre réduit, la contribution aux sinistres survenus au courant de Texercice, et toujours inférieure aux prévisions des tables de mortalité, s'il s'agissait d'assurances sur la vie, et enfin sa participation à la formation du fonds de reserve, calculé d'après des données rationnelles et en quelque sorte immuables.

Disons le, le tort des écrivains mutualistes, tort qu'on peut faci

lement leur pardonner, est de se prononcer sur ces questions de prévoyance sans les avoir suffisamment étudiées et d'avoir vu dans la mutualité (nous leur adresserons à notre tour ce reproche) autre chose que la participation de tous dans une garantie et un profit communs. Ils confondent l'assistance avec la coopération, qui ne se ressemblent pas du tout. Libre aux sociétés de secours mutuels de recevoir des dons, des subsides, des allocations qui iront grossir les ressources sociales, mais la coopération a ses règles dont il serait imprudent de s'écarter, nous y insistons, et qui d'ailleurs assurent des avantages réels et déterminés. Compter toujours sur des rentrées éventuelles, subordonner les services de pensions, les règlements d'indemnités, etc., à ces rentrées, sera peut-être faire de l'assistance, jamais de la mutualité.

En tous cas, ce que l'on peut constater, c'est que nos présidents de comités ne se font aucune idée des progrès réalisés par les sociétés de secours mutuels à l'étranger,(en Angleterre et en Amérique, notamment), qui ne sont après tout, sous d'autres noms, que des sociétés d'assurances, mais dont les opérations sont basées sur la mutualité pure; or, ces sociétés n'ont répandu tant de bienfaits que parce qu'elles n'employaient que des règles scientifiques; elles avaient eu soin de laisser de côté les procédés empiriques chers aux sociétés de secours mutuels françaises.

Nos mutualistes ignorent qu'il y a en ce moment, aux ÉtatsUnis, la terre classique des innovations heureuses en matière d'assistance, plus de 450 sociétés d'assurances mutuelles ou associations fraternelles qui comptent près de 5 millions d'adhérents, lesquels ont reçu, en indemnités de toutes sortes, plus de 2 milliards 50 millions de francs.

Savent-ils que le fonds de prévoyance de ces sociétés s'élève actuellement à plus de 250 millions (véritable propriété des assurés); que ces sociétés ont près de 36 milliards d'assurances en cours? Ce sont des institutions, faisons-le observer une fois de plus, qui ne visent aucun bénéfice, sont administrées par les adhérents eux-mêmes; elles font simplement œuvre de prévoyance, et le système qu'elles ont adopté est celui de la coopération pure.

Que nos mutualistes cessent donc d'établir une confusion voulue entre les compagnies dites de spéculation, constituées avec un capital, et les sociétés d'assurance mutuelle, qui n'en ont jamais eu.

M. P. de Lafitte, d'ailleurs (un mutualiste du genre savant et pratique : ils ne sont pas nombreux), dans son Essai d'une théorie rationnelle des sociétés de secours mutuels, voit la plus grande ana

logie entre les sociétés de secours mutuels et les compagnies d'assurances. « La compagnie d'assurances, dit-il (il sous-entend les compagnies avec but lucratif, selon la définition de M. Léon Say), a une existence propre, indépendante des clients qu'elle assure, et son but est de réaliser sur ceux-ci un bénéfice qui soit la rémunération des risques qu'elle court et des capitaux engagés dans l'entreprise; la société de secours mutuels, en tant qu'assurance, se confond avec les assurés eux-mêmes et n'a aucun bénéfice en vue (absolument comme les sociétés d'assurances de solidarité, c'est-à-dire mutuelles).

Dans son prospectus M. de Lafitte insère ces lignes : « Pour tout ce qui concerne l'emploi des fonds provenant des cotisations, les sociétés de secours mutuels sont des sociétés d'assurance mutuelle et doivent être administrées comme des compagnies d'assurances, en tenant compte des conditions particulières qu'introduit dans leur fonctionnement le principe même de la mutualité. »

Or, il est tenu compte de ce principe dans toute société d'assurance mutuelle quelle qu'elle soit.

D'accord, diront sans doute les mutualistes du genre empirique, mais nous, nous sommes sociétés de secours mutuels et non sociétés d'assurance mutuelle; nous pouvons nous affranchir des règles observées dans ces dernières sociétés.

Pure question de mots. Ecoutons encore M. P. de Laffite; il va nous faire connaître aussi son opinion en matière strictement opératoire, et son appréciation sera accablante pour le système pratiqué par les sociétés de secours mutuels, qui manquent d'un terrain suffisant pour évoluer, c'est-à-dire qui ne sauraient tabler que sur un nombre très restreint d'adhérents, alors que dans les sociétés d'assurance mutuelle ce nombre d'adhérents est des plus importants, ce qui les fait profiter de tous les avantages de la mutualité, qui n'a d'action que par la puissance du nombre.

« Les compagnies ne peuvent réussir, dit M. P. de Lafitte, qu'à condition d'avoir un nombre considérable d'assurés; les sociétés de secours mutuels doivent s'affranchir de cette condition qui, chez elles, n'est en quelque sorte jamais remplie; la grande majorité de ces sociétés n'ont pas deux cents participants, ce qui est un nombre infime en fait d'assurance. »

Et nous ajouterons (car c'est la conclusion à tirer de la citation): ce qui leur assure aussi des résultats infimes, puisqu'elles se sont bénévolement soustraites à la loi du nombre qui, seule, nous ne cesserons de le répéter, aurait pu les faire bénéficier de tous les avantages que cette loi comporte.

Au surplus, il y a longtemps que M. P. de Lafitte constatait (en 1878), à propos des pensions servies aux intéressés, que la plupart des sociétés de secours mutuels accusaient un déficit considérable.

Mais les mutualistes qui, pour combler ce déficit, font appel aux ressources du budget, triomphent quand même. Ils se glorifient de leur misère. Comme don César de Bazan, ils se drapent dans leurs haillons. Ils ont la consolation de pouvoir se dire : « Nous appartenons à des sociétés de secours mutuels et non à des sociétés d'assurance mutuelle; celles-ci nous feraient riches et indépendants; nous préférons rester pauvres et vivre des largesses du gouvernement. »

Singulier état d'esprit que celui de ces mutualistes qui refusent de se plier aux exigences de la « science mathématique », comme ils disent, pour ne vivre que de dons et d'aumônes.

« On veut, s'écrient-ils, que la science mathématique soit notre guide exclusif.Nos sociétés devront démontrer qu'elles fonctionnent avec toute la sécurité des sociétés d'assurances bien organisées ! » Et comment comptent-ils donc procéder?

Suivant nous, il vaut mieux s'assurer les avantages de la mutualité par soi-même, c'est-à-dire en pratiquant des règles justes, que de les demander à nous ne savons quelles ressources problématiques et aléatoires.

Concluons. Avant tout. pour les sociétés de secours mutuels comme pour les sociétés d'assurance mutuelle, il s'agit de procéder scientifiquement; et c'est parce que les associations coopératives d'assurances aux États-Unis (lesquelles sont administrées par leurs propres adhérents) ont suivi ce sage conseil qu'elles ont aujourd'hui près de cinq millions de participants et un fonds de prévoyance de plus de deux cent cinquante millions de francs.

Lorsque les mutualistes auront recruté un pareil chiffre de sociétaires et constitué de telles ressources en faveur de leurs membres, nous leur ferons amende honorable. Jusque-là, nous serons pour les procédés scientifiques contre les règlements surannés, qui conduisent à l'impuissance dans l'action et à la stérilité des résultats.

EUGÈNE ROCHETIN.

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