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MOUVEMENT COLONIAL

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SOMMAIRE: Résultats matériels de la colonisation française comparés à ceux obtenus par l'Angleterre. La cause de nos mécomptes en fait de colonisation. Les compagnies de colonisation. Comment on organisera l'administration de Madagascar. — Le protectorat. Système pour trouver des colons. Comment on agit en Angleterre et en Hollande. La situation en Tunisie. — La défaite des Italiens en Abyssinie. L'exploration du Mekong par le lieutenant de vaisseau Simon. — L'expédition anglaise contre les Ashantis.

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Les Anglais fondent des colonies pour ouvrir des débouchés à leur commerce. Nous autres Français nous en créons pour les peupler de fonctionnaires et de militaires. Les neuf millions de milles carrés de terres qui constituent l'empire colonial anglais ont importé en 1893-94 2 milliards 175 millions de francs de marchandises anglaises. De plus ces colonies n'imposent aucune charge à la métropole et suffisent à leurs dépenses avec leurs propres recettes y compris même les dépenses militaires. Cette exportation représente le tiers des débouchés du Royaume-Uni, ce qui prouve que la prospérité de l'Angleterre est étroitement liée au maintien de son commerce avec l'Inde et ses autres colonies. Les colonies de l'Angleterre ne lui coûtent rien et lui assurent le placement de plusieurs milliards de francs de produits.

Quels sont les débouchés que nous offrent nos colonies à nous? D'après l'examen de la situation commerciale des colonies fait par la commission du budget le commerce général de toutes les colonies françaises moins l'Algérie et la Tunisie s'est élevé en 1894 à la somme de 476 millions en chiffres ronds. Sur cette somme les affaires faites par l'étranger avec nos colonies représentent 259 millions. La France a donc eu avec ses colonies un mouveinent commercial de 213 millions soit 46 millions de moins que Tétranger. Nos colonies ont acheté au dehors pour 223 millions en 1894. Elles ont sur ce chiffre acheté pour 124 millions à l'étranger et à la France pour 95 millions soit pour 28 millions de moins. Nous ne plaçons donc dans nos colonies que 95 millions defranes de nos produits. Voilà nos débouchés coloniaux! Ils ne représentent que la vingt-deuxième partie des exploitations anglaises dans les siennes. Et, alors que l'Angleterre ne dépense pas un sou

pour ses colonies nous inscrivons au budget métropolitain pour dépenses coloniales 80 millions de francs par an. Il faut remarquer en outre que les 95 millions exportés sont surtout des produits destinés à nos soldats et à nos fonctionnaires et que ces derniers auraient tout aussi bien consommés en France.

L'objet de la colonisation est de développer le commerce national. Notre système développe le commerce de nos concurrents. On prend chaque année 80 millions de francs dans les poches des contribuables français pour ouvrir des débouchés au commerce anglais et allemand. La dépense est pour nous et le profit est pour

eux.

Si notre politique coloniale nous donne de gros mécomptes, c'est que nous n'avons pas su créer de grandes compagnies de colonisation qui forment l'instrument nécessaire de toute politique coloniale. Nous en avons la preuve dans la compagnie de l'Afrique du Sud organisée par sir Cecil Rhodes, qui a donné à l'Angleterre un immense empire sans lui demander pour accomplir cette œuvre, ni un homme ni un écu. Elle a tout fait avec ses ressources.

M. Lavertujon dans son intéressant rapport au Sénat,a expliqué quels sont les pouvoirs dont doit être investie une compagnie de colonisation. La région à coloniser est inculte, encombrée, peu abordable. Il faut s'occuper d'après un plan, arrêté à l'avance, de débroussailler, de tracer des chemins, d'ouvrir des canaux, de creuser des ports, de fonder des postes et des magasins d'approvisionnements, car il faut pouvoir circuler et s'alimenter avec commodité.

Enfin il faut que la compagnie soit chargée de pourvoir à toutes les formalités qui sont la sécurité de la vie civile des colons. Il faut qu'elle maintienne la tranquillité, réprime les délits, découvre et punisse les crimes, en un mot qu'elle garantisse le bon ordre intérieur.

L'ordre extérieur, lui aussi, exige qu'on le protège : il y a des précautions à prendre contre les hordes voisines, les mettre à la raison si elles sont agressives, les gagner et se les attacher si elles sont bienveillantes, en recourant aux coutumes en usage dans le pays.

Donc la compagnie de colonisation doit comprendre dans ses attributions, l'administration générale, l'état civil, la police avec ses agents armés, la justice, la guerre et la diplomatie; elle doit avoir le droit de lever des taxes et des impôts. Elle doit, en un mot, ètre munie de tous les organes essentiels de l'Etat.

En résumé, une grande compagnie de colonisation telle que la Compagnie anglaise du sud de l'Afrique, qui peut passer pour le modèle du genre, représente l'association du capital et du travail organisée comme un grand établissement commercial et non comme une administration, la Compagnie de colonisation n'impose pas aux colons les tracasseries et les lenteurs administratives, les paperasseries des bureaux et les subtilités juridiques qui découragent les initiatives individuelles et étouffent l'esprit d'entreprise.

Nous sommes certains qu'une compagnie ayant un gros capital et dirigée par un homme de valeur ferait de Madagascar un pays prospère où les colons français viendraient s'établir comme ils s'établissent en Egypte dans la République Argentine, au Mexique ou aux Etats-Unis. Car les Français sont beaucoup plus colonisateurs qu'on ne le croit. Ce qui les effraie, ce sont nos administrations coloniales.

Les plateaux du centre de Madagascar et les grandes plaines du Sud sont certainement propres à la colonisation européenne. Deux ou trois millions de colons pourraient y trouver, dans l'agriculture, l'élevage, le commerce, l'industrie, l'emploi de leurs facultés et de leurs bras. Madagascar semble destiné à être une colonie de peuplement en même temps que d'exploitation. Grâce à sa situation insulaire, elle ne subit aucune de ces influences de voisinage qui rendent souvent difficile et périlleux le gouvernement des territoires continentaux.

Ce sont de bonnes conditions pour faire l'expérience du système d'une compagnie.

On en tirerait de cette manière un bon parti. Sir Cecil Rhodes, en dirigeant la Compagnie de l'Afrique du Sud, a fait les affaires de son pays tout en faisant en même temps les siennes. Il a gagné une fortune colossale, ce que l'on trouve tout naturel en Angle

terre.

Comme nous n'avons aucun espoir que le gouvernement de la République adopte pour Madagascar le système d'une grande compagnie de colonisation, je me demande ce que l'on compte faire de cette île grande comme la France. Depuis le traité avec la Reine on a consenti à un protectorat mais, ceci ne nous dit rien, la Tunisie est également un protectorat où l'on a trouvé le moyen de caser déjà 3.000 fonctionnaires, nombre qui augmente toujours et gaspille les profits de cette colonie en ne laissant à la France que les frais de leurs attributions.

On continue toujours à favoriser le développement du fonctionnarisme, ce qui est la plaie de nos colonies. On crée une quantité de plaies aussi inutiles que bien rétribuées pour les protégés des hommes au pouvoir. Nous voyons déjà cette administration de Madagascar grever lourdement notre budget avant que la colonie puisse être mise en valeur. Toute la question est de savoir comment on organisera le protectorat.

Le protectorat n'est pas une chose nouvelle, il a été le principal instrument de la domination romaine.

Aux rois qu'elle acceptait pour alliés après leur avoir fait sentir le poids de sa puissance, Rome l'aissait les apparences de la souveraineté, mais elle plaçait et entretenait auprès d'eux un délégué qui les surveillait étroitement et qui avait la réalité du pouvoir. Ce délégué, qui portait le titre de procurateur, personnifiait l'autorité centrale et surveillait ou dirigeait le personnel administratif indigène. Aujourd'hui dans les pays de protectorat les résidents anglais auprès des radjahs indiens, les résidents hollandais auprès des chefs indigènes à Java et à Sumatra, ont les attributions qu'avaient les mandataires de Rome dans les pays compris dans les limites de l'empire qui n'étaient pas administrés directement. Le protectorat a donc été inventé il y a bien longtemps et a donné de très bons résultats quand il a été appliqué par des mains habiles et fermes.

Pour que le gouvernement hova se conforme aux volontés de notre résident, il suffit que celui-ci dispose d'un millier de baïonnettes et d'une batterie d'artillerie pour les faire respecter.

Il ne nous reste qu'à trouver des colons.

Les colons ne manqueront pas pour Madagascar surtout si on les accueille bien et qu'on les traite convenablement, ce qui est rarement le cas chez nous.

La colonisation de Madagascar demandera dans sa direction beaucoup de circonspection et de prudence de la part du gouvernement. Il faudra qu'il ait constamment à la pensée cet aphorisme qu'un colon qui réussit en entraîne cent autres, tandis qu'un colon qui échoue en détourne mille.

Il ne devra donc accepter, dans le commencement que des colons de choix, offrant toutes les garanties de moralité, de capacité et de persévérance. En un mot, il faut que les premiers colons réussissent.

Les terres propres, dès aujourd'hui,à recevoir des Européens et T. XXV. JANVIER 1896.

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à être cultivées par leurs bras se réduisent pour le moment aux plateaux d'Emyrne, de l'Antscianas, de Betsiléos et à une partie des coteaux du pays des Antankares. Ces terrains sont très considérables et suffiront pendant de bien nombreuses années à satisfaire les convoitises de nombreux émigrants.

On peut encore comprendre dans la quantité des terres cultivables par les Européens, les versants des chaînes de montagnes qui traversent l'île dans toute sa longueur du nord au sud.

Mais ces pays de plaines et de marais, comme le pays des Sakalaves, des Antavasts, des Bitaximenez, des Betsimsaras et autres ne peuvent être cultivés que par les indigènes, les noirs, les Indiens, les Tonkinois et les Chinois.

Les terres à haute altitude peuvent produire tous les produits de l'Europe sans exception: arbres fruitiers, vignes, céréales et légumes; elles peuvent aussi servir à l'élevage du bétail de toute espèce.

Les terres basses sont éminemment propres à la culture de tous les produits intertropicaux de toute nature.

Le gouvernement, après s'être réservé les mines, les forêts, les rivières, les lacs et les ports de mer, répartira une partie des terres de son domaine, en portions d'une étendue raisonnable entre les indigènes et disposera de la partie non distribuée envers les étrangers solvables qui voudront s'en rendre acquéreurs dans un but d'exploitation.

Toute concession devra être mise en exploitation dans un temps déterminé d'un commun accord entre l'acheteur et le gouvernement. Faute par l'acheteur de remplir cette clause dans le temps convenu, la concession retournera à l'administration et le capital déjà versé sera acquis à la caisse d'émigration.

L'émigration pourra être entreprise par des compagnies disposant de grands capitaux.

La topographie des espaces réservés aux émigrants sera faite par les soins du gouvernement. Ces espaces seront divisés en portions de différentes grandeurs, dont le plan cadastral sera levé avec une régularité suffisante pour que l'acheteur puisse à son inspection se rendre compte de la nature et de la valeur du terrain dont il désire faire l'acquisition. Ces plans seront mis à la disposition des émigrants dans les bureaux du gouvernement et dans les salles des mairies de chaque arrondissement.

Pour faciliter l'œuvre de la colonisation, le gouvernement cédera les grandes portions aux compagnies d'émigration sous condi

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