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sens intime, la conscience individuelle, le sentiment de l'histoire. nous avertissent de l'existence d'une fatalité, de lois organiques, de la grâce, de la nécessité, et en même temps du libre arbitre. La science n'a pas encore concilié, ni encore interprété d'une matière satisfaisante le mystère de ces deux forces suprêmes en présence. » M. Luzzatti développe cette thèse avec talent, et je regrette de ne pas pouvoir le suivre dans ses lumineuses démonstrations. D'autant plus que, moi aussi, je soutiens une thèse qui a quelque affinité avec la sienne, ou plutôt je constate un fait qui crève les yeux, que l'aveugle lui-même voit clairement, c'est qu'à côté de la volonté même la plus ferme, la plus instruite, la plus réfléchie, il y a la chance, le hasard. L'homme est l'artisan de sa fortune, en tant que la chance défavorable n'intervient pas. Tout le monde, sans exception, sait cela, mais il est de mise de ne pas vouloir en tenir compte. On ne se résigne plus à l'inévitable, on se révolte, mais on n'est pas plus heureux pour cela. Au contraire.

Storia della circolazione bancaria in Italia (Histoire de la circulation des banques en Italie) de 1860 à 1894, par Cam. Supino (Turin, frères Bocca, 1895). L'auteur divise cette assez longue. époque, un tiers de siècle, en périodes caractéristiques. D'abord celle de 1860-1865; puis les quatre premières années du cours forcé, 1866-69; ensuite l'expansion du cours forcé, 1870-74, et les préparatifs de son abolition, 1875-82. Suit une période de prospérité, 1883-85, puis la dépression économique avec le retour de l'agio, 1887-91, et un tableau raisonné du mouvement des années 1892 à 1894. Le récit des faits est suivi d'un chapitre étendu de réflexions dans lesquelles l'auteur expose les théories généralement admises de la circulation fiduciaire et montre que les banques italiennes ne les ont pas toujours suivies. La principale faute consistait dans un excédent d'émission. On a eu ainsi plus de billets qu'on n'en pouvait rembourser, ce qui amena le cours forcé; mais, ce qui est pire, on en avait sensiblement plus qu'il n'en fallait pour les affaires sérieuses, industrie et commerce. C'était créer des capitaux improductifs. On fut ainsi porté à commettre de ces excès de spéculation qui enrichissent quelques-uns et appauvrissent la plupart. Il semblerait donc que le moyen de remédier au mal dont on se plaint en Italie, le moyen de réduire la crise serait de restreindre très notablement la circulation fiduciaire.

T. XXV. - JANVIER 1896.

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Quelques mots encore sur deux petites publications de M. Riccardo della Volta. L'une Della Beneficenza nel presente momento storico (De la bienfaisance au point de vue de notre époque, Flo rence, D. Seeber, 1895) discute la théorie évolutionniste défavorable à la bienfaisance. Selon le darwinisme, l'humanité se perfectionne par la sélection: les faibles de corps et d'esprit sont voués par la nature à périr jeunes, afin que les forts de corps ou d'intelligence puissent prendre leur place. Si c'est là le vœu de la nature, et s'il tend à réaliser le bien de l'humanité, tout ce qui aide le faible, le malade, l'infirme, à prolonger sa triste vie — en un mot, la bienfaisance - nuirait à l'espèce humaine. Le savant professeur italien réfute cette manière de voir, et il me semble qu'il y a à peine lieu de s'y arrêter. Il me suffit que la bienfaisance fasse certainement du bien aujourd'hui aux malheureux qu'elle soulage, pour que je ne la sacrifie pas à un bien hypothétique qui se produira dans dix ou cent mille ans. Du reste soit dit en passant il y a ici un nouvel exemple de ce dualisme, qui est si fréquent dans la société humaine ici la raison et le sentiment ou le bien actuel en présence du bien futur; plus haut nous avons vu l'effort réfléchi et le hasard, plus haut encore, les lois naturelles et le libre arbitre, et je passe les autres. Ce sont des énigmes que les générations se transmettent.

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L'autre travail de M. Riccardo della Volta traite de la justice. sociale; voilà une étiquette qu'on place un peu arbitrairement sur les idées et les faits. On fait de ce mot plus d'abus que du tabac, de l'alcool et du musc, ce qui est beaucoup dire; on devrait égament l'imposer. Le droit pour un particulier d'orner une phrase des mots Justice sociale vaut bien une taxe de 100 francs, au profit de l'État; prononcée au Parlement, où ces mots peuvent nuire davantage, 200 francs. On les retiendrait sur l'indemnité des représentants.

La Estafeta, de Madrid, directeur, D. Rogelio de Madriaga. Le no du 6 octobre renferme un article sur la réorganisation de la loterie, qui, je crois, n'intéresse pas nos lecteurs; mais, en le parcourant, un détail m'a frappé. Il y est dit: on prévoit les recettes en or et on les perçoit en argent... Quoiqu'à l'intérieur le rapport des 1 à 15 1/2 p. 100 continue à être en vigueur, l'État doit y perdre. Combien? Ce serait à examiner. Cette question des métaux pénètre partout, et l'on s'est préoccupé, même en Espagne, de la

multiplication de l'or; on a même spéculé et je ne serais pas étonné que dans le grand krach d'octobre, Madrid aussi ait eu son petit craquement. Il ne fallait pas qu'il y aille, voilà ce que c'est d'être infidèle au métal blanc par amour du métal jaune. En lisant la Estafeta du 10 novembre, il me semble reconnaître qu'on espère boucher un trou du budget avec un impôt sur la rente; si j'ai bien interprété le passage, on a là une idée que je ne saurais qualifier d'heureuse. On a l'air de croire que, si l'on peut arracher quelque chose au rentier, c'est autant de gagné, mais celui qui tient aux œufs d'or doit ménager la poule qui les pond.

El Economista, également de Madrid, directeur D. J. Garcia Barcado, donne, dans son numéro du 31 août, un tableau comparatif des droits de douane sur les vins chez les principales nations européennes et américaines, tableau curieux, mais qui dépasse l'espace dont nous disposons. Partout le fisc cherche à tirer des boissons dites à tort hygiéniques le plus qu'il peut, et ce n'est pas toujours un droit protecteur qu'il perçoit, c'est le plus souvent un droit de consommation qu'il demande. — Le même numéro nous apprend qu'en Portugal la Compagnie du tabac a vendu en 1894-95 1.972.354 kilogr de tabac au prix de 7.421,855 milréis (environ 5 fr. 50 contre 1.892.474 kilogr.et 7.166.297 milréis en 1893-94 et 1.899.169 kilogr. et 7.402.196 milréis en 1893-92. Dans les colonies, où le prix de vente est moins élevé que dans la métropole, la consommation s'accroit le plus vite.

El Economista mexicano, éditeur M.Zapata Vera,à Mexico. Cette feuille a ouvert une polémique avec d'autres feuille du même pays sur ce point: le Mexique a-t-il ou n'a-t-il pas assez de bras pour l'agriculture? El Economista trouve qu'il n'en manque pas pour exécuter les travaux ruraux, et il ne veut pas entendre parler d'immigration, ou, au moins, d'efforts à faire pour attirer des travailleurs. D'autres journaux répondent, et El Economista, désirant que la lumière se fasse et éclaire le pays, et surtout les intéressés, reproduit les articles de ses contradicteurs et s'occupe de les réfuter. La thèse de l'Ei Economista est que les bras ne manquent pas, il ne s'agit que de les mieux répartir. Il faut les chercher là où ils ne sont pas suffisamment occupés et les amener et faire engager là où ils peuvent rendre des services. On ré

pond qu'on a essayé de ce procédé et qu'il n'a pas réussi. Ce n'est pas la faute du procédé, réplique El Economista mexicano, mais de la manière de l'appliquer. Traitez bien les engagés, réduisez la journée de travail, élevez les salaires, traitez les travailleurs comme des hommes et non comme du bétail, etc., et tout ira bien. Cela paraît vraisemblable.

Le même journal cite un exemple a priori » qu'il emprunte au Correo de la Tarde. Or, ledit Correo conseille à ses lecteurs de ne se montrer ni apathiques, ni méfiants en face du recensement qu'on était sur le point d'opérer (en octobre dernier). Cette opération, dit-il aux populations, n'a pour but, ni de vous inscrire sur les tableaux de la garde nationale, ni de vous porter sur les registres des impôts directs, ni de vous astreindre aux corvées sur les routes et aux fortifications; il s'agit seulement de constater le nombre des individus par maison, etc., etc. S'il s'agissait d'exiger des services des recensés, il est évident qu'on ne les en avertirait pas d'avance; ce n'est pas ainsi qu'on s'y prend dans l'administration... Et la feuille insiste sur l'utilité qu'il y a pour l'État et la ville de Matzatlan d'être bien renseignés.

M. Piernas Hurtado publie une Introduccion al estudio de la Ciencia economica (Madrid, Vict. Suarez, 1895) pour que nous attendions avec patience le grand traité d'économique qu'il nous annonce. Mais dans cette introduction il fait preuve de tant de savoir que son but est manqué : c'est avec impatience que nous attendons son traité désormais.

MAURICE BLOCK.

LA COLONISATION LIBRE

Dans sa chronique du Journal des Economistes du 15 novembre dernier, notre rédacteur en chef, M. de Molinari, reproduisait une correspondance adressée au Journal des Débats, d'après laquelle une colonie aurait été créée par l'initiative privée dans le nord de l'Inde et serait en pleine prospérité.

Il y a là de quoi renverser toutes les idées de nos colonisateurs modernes. Et pourtant, cette expérience de colonies fondées par des particuliers, n'est pas unique en son genre. Il a bien fallu commencer par là, dans les temps où il n'y avait pas encore d'État pour suppléer à l'initiative individuelle ou pour s'y substituer. C'est ainsi, notamment, que nos anciens Gaulois s'y prenaient pour faire leurs « plantations de peuples ».

Mais sans remonter aux temps anciens, il y a eu, au siècle dernier, une très curieuse expérience de colonisation libre, dans les mêmes contrées que celle dont parle Le Journal des Débats, et dont la relation nous a été transmise par le voyageur Pierre Poivre, dans ses VOYAGES D'UN PHILOSOPHE ou Observations sur les mœurs et les arts des peuples de l'Afrique, de l'Asie et de l'Amérique.

Personne ne connaissant ce fait, ou du moins chacun de nous agissant comme s'il l'ignorait, nous pensons qu'il ne sera pas hors de propos de reproduire le chapitre des Voyages d'un philosophe qui raconte l'Origine du royaume de Ponthiamas.

En quittant» dit Poivre, « les îles et les terres des Malais, on trouve au nord, un petit territoire nommé Cancar, et connu sur les cartes marines sous le nom de Ponthiamas. Il est enclavé dans le royaume de Siam, que le despotisme dépeuple sans cesse, entre celui de Cambodge, dont le gouvernement n'a aucune forme stable, et entre les terres de la domination des Malais, dont le génie, sans cesse agité par leurs lois féodales, ne peut souffrir la paix, ni au dedans, ni au dehors. Environné de tels voisins, ce beau pays était inculte, et presque sans habitants, il y a environ cinquante années.

« Un négociant chinois, maître d'un vaisseau qui servait à son commerce, fréquentait ces côtes avec ce génie réfléchi, et cette intelligence qui est naturelle à sa nation. Il vit avec douleur des terres immenses condamnées à la stérilité, quoiqu'elles fussent d'un sol naturellement plus fertile que celles qui faisaient la richesse de son pays; il forma le projet de les faire valoir. Dans ce dessein, il s'assura d'un certain nombre de cultivateurs de sa nation et des nations voisines; puis il

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