Imágenes de páginas
PDF
EPUB

SOUVENIRS DE LA CHINE

LE MARIAGE DE L'EMPEREUR

Dans la soirée du 26 février 1889 ou plutôt dans la nuit du 26 au 27 de ce mois, eut lieu le mariage de Sa Majesté l'empereur des Célestes. Les diverses légations en furent informées par une lettre de faire-part commençant en ces termes :

Le prince Ch'ing et les huit ministres du Tsung-Li-Yamen vous font une communication officielle. »

Quelques jours avant, elles avaient déjà reçu ampliation d'un décret de Sa Majesté l'impératrice-mère Tsou-Thou-Keng-Scha-Yon-Ch'uangCh'eng, disant :

« L'Empereur, ayant respectueusement succédé à la dignité de ses ancêtres, vient d'atteindre sa majorité. Dans ces conditions, il convient qu'une épouse vertueuse soit choisie pour assister Sa Majesté dans ses fonctions à l'intérieur du palais et lui prêter son concours dans l'accomplissement de ses devoirs impériaux, ainsi que la Terre prète son concours au Ciel. Dans ce but, nous avons choisi Teh-Ho-Na-La, fille du lieutement général Kouer-Hsiang, vierge modeste, vertueuse, réservée et bien élevée. Nous ordonnons qu'elle soit élevée au rang d'impératrice. >>

A la même époque, les légations reçurent une communication du conseil des cérémonies, annonçant que le jour bienheureux avait été fixé par Sa Majesté l'impératrice-mère au deuxième jour de la première lune.

Détail curieux : ces communications avaient été précédées d'une invitation générale aux étrangers, à..... rester chez eux afin de ne pas déranger la fête. La circulaire contenant cette gracieuse invitation, adressée aux ministres étrangers résidant à Pékin, disait :

« Celle-ci est pour vous faire savoir respectueusement que, obéissant à un communiqué du général commandant de la gendarmerie de Pékin, pendant la première lune de la présente année :

« Du 24 au 25, entre 5 et 7 heures, les présents destinés à la future

impératrice seront introduits respectueusement par la porte de Temgan. Le 27, entre 11 heures du soir et 1 heure du matin, l'Impératrice elle-même rentrera au palais par la porte de Ta-Ching. »

« Le 24,entre 5 et 7 heures du matin, les présents destinés aux deux concubines; et le 25, entre 3 et 5 heures du matin, les deux concubines elles-mêmes entreront respectueusement par la porte de TiAn-Et. »

<< Afin que les portes de Cheng-Tang, Temg-An et Ti-An aient un aspect respectable et tranquille pendant les journées des 24, 25, 26 et 27, je vous prie de faire en sorte que les étrangers de toutes nationalités évitent les dites portes ces jours-là. Veuillez donc en faire part à vos sujets, fonctionnaires ou marchands, afin qu'ils ne s'approchent point de ces portes. >>

Plusieurs jours avant les dates fixées pour les fêtes du mariage impérial, les rues par où devait passer le cortège furent assainies et débarrassées de la boue traditionnelle et des détritus dont elles sont généralement couvertes. La circulation y fut interdite aux voitures et aux chariots qui devaient faire des détours considérables par les petites voies adjacentes.

La population n'était guère enthousiaste; à peine si l'on s'entretenait de temps en temps des cérémonies qui allaient avoir lieu. Parmi les bruits qui couraient, il y en avait un qui jouissait d'un crédit général dans la foule; on disait que la future impératrice était indisposée par suite du chagrin que lui avait causé la conduite de son auguste fiancé. Il avait déclaré ouvertement son mécontentement au sujet du choix de l'impératrice-mère. L'étiquette chinoise veut que les deux intéressés ne soient pas consultés.

La décoration des maisons se bornait à des morceaux de soie ou de coton rouge, attachés au-dessus des portes. Point de drapeaux ni ornements de verdure.

Du 24 au 25, il tomba un peu de neige; on fut obligé de couvrir les présents en les portant au palais, ce qui empêcha les curieux et les indiscrets d'en rien voir; mais pendant la soirée et la nuit principales, celles de la cérémonie du mariage, le temps fut beau et sec.

Les rues à parcourir étaient brillamment éclairées au moyen de lanternes en papier blanc, placées à environ dix pieds de distance les unes des autres, et soutenues par des poteaux rouges de six à sept pieds de hauteur.

Le sol était couvert d'une légère couche de sable jaune, couleur impériale, et toutes les rues adjacentes étaient barrées au moyen de nattes et de rideaux bleus.

Des ordres avaient été donnés pour que les étages supérieurs de

toutes les maisons fussent fermés, ordonnance facile à remplir, attendu que les boutiques seules ont des portes et des fenêtres donnant sur la

rue.

Il fut enjoint au peuple de ne pas se montrer, et même de ne pas tenter de voir quoi que ce soit. Un morne silence régnait partout et, à l'exception de quelques agents de la police, pas un être vivant n'était visible. Les chiens même avaient disparu des rues...

Vers une heure du matin, la fiancée quitta la maison de la rue KonLang dans une chaise portée par seize hommes, marchant ou plutôt glissant régulièrement et majestueusement comme des limaçons; ces hommes avaient été exercés depuis plusieurs jours à ce travail en portant chaque fois pendant trois quarts d'heure ladite chaise contenant un baquet rempli d'eau, dont ils ne devaient pas renverser la moindre goutte.

Le cortège était précedé de quatre hommes à cheval et de la police à pied, pour éloigner au besoin les curieux et veiller à ce qu'aucun œil indiscret ne troublât la cérémonie.

Venait ensuite une troupe de soldats armés de... fouets, et enfin la procession composée comme suit :

1° Environ 40 soldats marchant deux à deux, armés de fouets;

2o 40 officiers à cheval appartenant tous au Luang-Ywon ou équipage impérial;

3o Des pavillons mobiles couverts de soie jaune et contenant des décrets impériaux, chaque pavillon porté par huit hommes;

4o Deux chaises jaunes occupées par les princesses impériales et portées par huit hommes chacune;

5o Des voitures jaunes conduisant des princesses. Ces voitures impériales diffèrent des voitures ordinaires en ce que les roues sont placées fort en arrière, au lieu d'être placées au milieu;

6° Quarante soldats à pied portant des perches surmontées d'images représentant des haches, des mains, etc. en or, emblèmes du pouvoir, de la puissance;

7° Quarante parapluies jaunes et vingt parapluies bleus, tous ornés de fil d'or;

8° Vingt paires de grands éventails ou écrans ornés, d'un côté, d'images de dragons et de phénix et, de l'autre, du soleil et de la lune. Le dragon et le soleil représentent ici Sa Majesté Céleste, tandis que le phénix et la lune représentent l'impératrice;

9° Vingt porteurs d'encens;

10° Vingt tasses et coupes dorées, et autres objets ;

11° Quarante-huit porteurs de lanternes en corne de grandeur moyenne, ornées d'images du dragon et du phénix peintes en or;

12o Le président du conseil des cérémonies portant ses lettres de crédit, notamment le décret impérial lui ordonnant de conduire la fiancée au palais ;

13o Le palanquin impérial, aux seize porteurs, couvert d'un baldaquin en or orné de soie jaune et de glands en or. Les vitres du baldaquin, peintes en or, représentent encore des dragons et des phénix. Les porteurs sont habillés de tuniques à ramages rouges. De chaque côté du palanquin, quatre hommes portant des lanternes ;

14° Une longue file de mandarins à cheval, à pied ou en voiture.

Le cortège s'avançait lentement vers les portes, qu'il atteignit au bout de trois heures de marche, ne faisant que trois kilomètres à l'heure.

Les portes du palais étaient toutes ornées de soie rouge; elles étaient peintes à neuf de la même couleur. Le rouge est l'emblème de la joie en Chine. Suivant l'antique usage, le couple dut s'incliner neuf fois devant le Ciel et la Terre, et devant l'impératrice-mère; et, après avoir bu dans des coupes simultanément de la même manière, la cérémonie était terminée, à l'exception toutefois de certains détails peu importants, quoique assez nombreux.

De bonne heure, dans la matinée du 27, le conseil des cérémonies fixa l'heure bienheureuse où il serait per mis au jeune empereur de pénétrer pour la première fois dans les appartements de sa femme. Ainsi que nous le disions plus haut, les deux concubines (désignées dans les documents officiels sous les noms de la Précieuse et de l'Eblouissante) avaient été introduites déjà la veille par la porte de derrière du palais.

Voici le décret de l'impératrice-mère :

<< Pendant la première lune de la présente année (février 1889, auront lieu les cérémonies habituelles pour le mariage de l'Empereur, et pendant la deuxième lune celles pour le transfert du pouvoir entre ses mains. Le monde entier se réjouit (littéralement, le ciel suit la terre en applaudissant et en bissant de joie). Nous croyons que cette joie est partagée aussi bien par d'autres nations que par la Chine. Depuis la conclusion des traités et l'établissement des relations amicales avec divers pays, les liens qui nous unissent à eux se sont resserrés de plus en plus. Les envoyés qui résident à Pékin se sont constamment montrés à la hauteur des affaires publiques, et ont tout fait pour arriver à un rapprochement plus intense. Qu'ils soient donc témoins de ces cérémonies solennelles. Ils n'est que juste qu'ils sentent les effets de notre bonheur. Quant à ceux qui se trouvent actuellement à Pékin, nous ordonnons au prince Ch'ung et aux autres membres du Tsung-Li-Yamen (ministère des affaires étrangères) de fixer

T. XXVI.

MAI 1896.

17

un jour de la deuxième lune de cette année où ils les convieront à une fête dans leur Yamen, à l'occasion de laquelle ils leur remettront un Sou-Set des pièces de sou. A Luca et Ferguson qui ne sont actuellement pas avec nous, nous ordonnons que des dons impériaux soient également envoyés. Nous voulons ainsi donner un témoignage de bienveillance de notre cour et montrer nos sentiments d'amitié à nos voisins. Le Yamen exécutera nos ordres.

Il est à remarquer que dans ce document les noms des ministres sont insérés sans être précédés d'aucun titre, soit Leurs Excellences ou Messieurs.

Dr MEYNERS D'ESTREY.

1

Un Sou-S est une espèce de sceptre que souvent on offre à une personne en guise de vœu, pour que ses désirs soient accomplis. Le mani des bouddhistes est supposé être une perle Sou-S.

« AnteriorContinuar »