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LA LIBERTÉ DU MARIAGE EN FRANCE, par M. MOULLART. 1 vol. in-8°, Amiens, Yvert et Tellier, 1896.

En France, le nombre des mariages diminue; et, comme conséquence, la population tend à diminuer aussi. Les causes en sont multiples. On s'est demandé s'il ne fallait pas voir la principale de ces causes dans les prescriptions même du Code civil de 1804, qui souvent sont trop formalistes et sans doute contraires ainsi aux instincts légitimes de l'homme.

La réforme de ce Code s'impose. Un projet de loi ayant pour objet de faciliter les mariages en supprimant les formalités inutiles a été discuté et voté par la Chambre des députés. M. Moullart regarde ce projet de réforme comme absolument insuffisant et il espère qu'il sera élargi par le Sénat. C'est dans ces conditions qu'il a cru devoir publier son livre.

Il interroge l'histoire, en commençant par celle de Rome.

La famille, à Rome, étant fondée sur la puissance absolue de son chef, nul mariage n'était possible sans l'assentiment de ce chef, qui jamais n'était la mère, mais le père, l'aïeul ou le bisaïeul, toujours un ancêtre paternel. L'État n'intervenait pas. Si, à l'origine, le mariage a été religieux, il est resté un acte privé; les cérémonies qui l'accompagnaient d'ordinaire n'avaient rien d'obligatoire et étaient le plus souvent célébrées au foyer domestique.

Ensuite, avec le christianisme devenu dominant, le mariage a été transformé en un sacrement et comme tel rendu indissoluble et sans divorce possible; mais, en réalité, il se concluait par le consentement des époux.

La royauté française alors est venue faire du mariage un contrat et elle proclamait, pour le pouvoir civil,le droit d'en règler les conditions de validité et de célébration, comme aussi d'en déterminer les effets; le curé avait été reconnu par elle pour l'officier chargé de l'application des ordonnances.

C'est, au contraire, sur la liberté que la Révolution française voulut fonder le mariage, pour en concilier les conditions avec les principes nouveaux de la Constitution de 1791. Et, dans la loi du 20 septembre 1792, elle se rapprocha du droit naturel, notamment en permettant au majeur de 21 ans, de l'un et de l'autre sexe, de se marier sans avoir besoin de l'autorisation de qui que ce soit. Cette loi de 1792 a, de plus, séparé l'Église de l'Etat en instituant un officier laïque pour recevoir le consentement des futurs et les déclarer mariés au nom de la loi; elle a établi le mariage civil.

La liberté du mariage, en France, a existé jusqu'en 1804. Et, dit M. Moullart, «< si elle a dû produire une influence sur la population, il

est certain que cette influence se prolongea même après la promulgation du Code; elle coïncidait avec la liberté du travail et avec le développement de l'industrie et du commerce qui suivit la suppression des corporations. On ne voit pas qu'aucune plainte se soit élevée contre ce régime de liberté qui dura plus de douze ans ».

Mais l'Empire, avec son Code civil de 1804, a marqué un retour en arrière; il a dénaturé les véritables bases du mariage considéré par lui, à l'exemple de l'ancienne royauté, comme un contrat et une institution du pouvoir public, il les a faussées en faisant revivre et en aggravant même bon nombre des dispositions que cette royauté avait introduites.

La France se trouve ainsi être aujourd'hui en retard, et ses lois du mariage forment comme une exception dans le monde civilisé. M.Moullart, dans un chapitre où il passe en revue les diverses législations des peuples étrangers, constate en effet que, «< chez ces peuples, la liberté du mariage est incomparablement plus grande que chez nous »; et, dit-il « il faut ajouter la remarque que les lois qui établissent cette liberté sont souvent récentes ». Le détail de ces lois montrerait aussi que la célébration du mariage est beaucoup plus facile parce qu'on a retranché des formalités qui, chez nous, ont pour objet d'assurer le respect des règles relatives au consentement des parents ou de porter à leur connaissance le projet de mariage.

Le Sénat donnera-t-il au projet de loi dont il est maintenant saisi après le vote de la Chambre des députés une extension suffisante? C'est une question qui se pose. Et M. Moullart croirait « sage de prendre comme minimum le retour plus ou moins complet à la loi de 1792 ». Pour se montrer plus précis, il formule lui-même, en appendice à la fin du volume, un projet d'ensemble en 4 chapitres comprenant 48 articles, tandis que le Code civil contient 74 articles dont 60 au titre du mariage et 14 à celui des actes de l'état civil.

M. Moullart est surtout un homme pratique, il est conseiller à la Cour d'appel d'Amiens. On n'a pas, en lui, un de ces théoriciens qui se laissent facilement aller aux illusions. « La réforme faite, conclut-il, il ne faut pas croire que les mours formées, développées, enracinées depuis si longtemps en France, s'adaptant, d'ailleurs, aux lentes méthodes de notre enseignement, au retard qui en est la conséquence pour l'entrée dans tant de carrières, vont s'améliorer du jour au lendemain. La loi modifiée ne fera que donner ou rendre à l'homme une plus grande liberté. Mais la loi s'arrête là: elle donne le droit de se marier, ce qui n'entraîne pas l'obligation de le faire sans prudence. C'est la morale du mariage et elle est la seule, en tout cas, qui purifiera nos mœurs et assainira nos idées dans la famille plus démocratique. »

LOUIS THEUREAU.

ESSAI SUR LES PROTECTORATS, ÉTUDE DE DROIT INTERNATIONAL,par M. FRANTZ DESPAGNET. Un vol. in-8°, Paris, L. Larose, 1896.

Il est naturel que les faibles recherchent l'appui des plus puissants. C'est ce qu'on a vu même pour les États; et la pratique de la protection de certains pays par d'autres a existé de vieille date dans les rapports internationaux. Mais, depuis une époque relativement récente, l'institution est ressortie avec le caractère nouveau que ce sont surtout les États les plus importants qui, au lieu d'être sollicités, sollicitent pour les unir à eux en les pénétrant de leur civilisation les pays encore arriérés ou même, à cette fin, leur font la guerre.

Sous cet aspect, le protectorat des États forts sur les faibles n'est plus le résultat d'une précaution prise par ceux-ci; il devient le procédé d'une politique d'expansion poursuivie par ceux-là et il apparaît comme une sorte de conquête morale précédant et justifiant par la suite la conquête matérielle, c'est-à-dire l'annexion à titre de colonie ou autre

ment.

Ce protectorat, soit qu'il y ait eu, soit qu'il n'y ait pas eu la guerre, repose sur un accord quelconque intervenu entre les deux pays; il ne comporte donc pas de formule absolue puisque les stipulations des parties contractantes varient à l'infini selon le but recherché et les circonstances, ce qui avait fait admettre qu'une théorie générale des protectorats ne saurait être trouvée. M. Frantz Despagnet a pensé, au contraire, « qu'il est possible de dégager de la variété des traités de protectorat certaines idées générales »; et ce sont ces idées qu'il a dégagées et qu'il expose, qu'il « met en relief » dans son livre, « en les appréciant, dit-il, au point de vue des principes du droit international ». Il s'était placé ainsi sur un terrain qui lui est familier, à lui qui est professeur de droit international à la Faculté de Bordeaux et associé de l'Institut de droit international.

Un État, en tant qu'État dans les conditions normales, possède pleinement la souveraineté intérieure; et quant à sa souveraineté externe ou indépendance, elle peut être soumise à des restrictions qui ne sont que celles qui résultent du droit international dans les relations extérieures. Mais un État qui accepte ou auquel est imposé le protectorat d'une autre puissance n'a plus que ce qu'on appelle aujourd'hui une « mi-souveraineté; » M. Frantz Despagnet en déduit la définition suivante :

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<< Le protectorat est le lien contractuel établi entre deux États, en vertu duquel l'un, tout en n'entendant tenir que de lui-même son existence comme puissance souveraine, cède à l'autre l'exercice de certains de ses droits de souveraineté interne ou d'indépendance exté

rieure, à la charge par l'autre de le défendre contre les attaques internes ou externes auxquelles il pourrait être en butte et de l'aider dans le développement de ses institutions et la sauvegarde de ses intérêts.»

Cette définition embrasse tous les résultats possibles du protectorat ou de la protection. Et, l'institution ayant fonctionné de bien des manières différentes selon les époques, M. Frantz Despagnet a été amené à en présenter l'évolution historique à partir du temps des Romains; il a soin, toutefois, de faire observer que le mot de protectorat, avec le sens qu'on lui donne en droit international, est moderne dans notre langue et dans celles d'autres pays.

Une occasion s'était offerte aux puissances pour s'entendre sur la nature et les conditions d'efficacité de l'établissement du protectora, en ce qui concerne les rapports internationaux : c'est la conférence dite Africaine ou du Congo, tenue à Berlin et qui a abouti à un acte en date du 26 février 1885. Des décisions y ont été adoptées; mais elles n'ont pas dissipé la confusion. L'Institut de droit international, dans ses diverses conférences, à Bruxelles en 1885, à Heildelberg en 1887, à Lausanne en 1888, n'est pas arrivé, non plus, à apporter beaucoup de lumière. Et enfin le traité qui a terminé l'expédition française à Madagascar et les débats parlementaires à ce sujet ne posent pas de principes; on ne sait pas s'il y a protectorat, prise de possession ou annexion, ce serait une sorte de régime mixte, protectorat à l'intérieur et souveraineté à l'extérieur. Bien des problèmes semblent ne guère pouvoir être résolus.

L'institution des protectorats n'en est pas moins appelée à jouer un grand rôle dans la vie internationale. A la conquête brutale, à la soumission sans ménagement d'un peuple, en effet, elle substitue utilement la tutelle bienveillante secourant la faiblesse, la direction dans la voie du progrès, la pénétration sans rudesse d'une civilisation plus avancée, la combinaison heureuse de bienfaits obtenus par le pays protégé avec les avantages politiques et économiques acquis en retour par l'État protecteur.

La réalité sans doute ne répond pas toujours pleinement à ce tableau. Mais, tout en reconnaissant les abus commis, M. Frantz Despagnet n'hésite pas à affirmer que, comparé aux anciens procédés d'annexion violente et sans ménagement des souverainetés vaincues, le protectorat constitue une des grandes manifestations de la civilisation moderne. »

En fait, c'est, de tous les grands États, la France qui a le plus largement et le plus régulièrement appliqué le système des protectorats. Est-ce à dire que, « réserve faite de ses imprescriptibles protesta

A

spoliations dont elle a été la victime, la France n'ait er pour objectif des accroissements en Europe » ; et que, Dien compris pouvant « lui permettre, grâce à la facilité ..on dont elle est douée, de faire des provinces lointaines de Darbares, ce rôle, grand en lui-même et sage au point de que, soit le seul peut-être qui lui reste possible à l'heure

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» qu'ainsi sa dernière ressource soit « de franciser des popuous indigènes par la progressive assimilation du protectorat », de anière à former, « dans une large mesure, une France nouvelle, cieux appui de l'avenir et réserve abondante de ressources et hommes pour le vieux sol national épuisé » ?

Cette conclusion est celle à laquelle M. Frantz Despagnet s'arrête à 'a in de son livre. Indubitablement, lorsqu'il y montre ainsi, en Europe, l'action de la France moindre à l'avenir, il rencontrera de ce chef plus d'un contradicteur. Mais, en même temps, et après tous les détails qu'il a su fournir, il a fait un livre qu'on lira et qui ne saurait aussi manquer de provoquer de bien salutaires réflexions.

LOUIS THEUREAU.

LETTRES INTIMES DE MARIA EDGEWORTH PENDANT SES VOYAGES EN BELGIQUE, EN FRANCE, EN SUISSE ET EN ANGLETERRE EN 1802, 1820 ET 1821; traduites de l'anglais par Mlle P. G. 1 vol. orné d'un portrait de miss Edgeworth (dessin de M. G. Profit). Préface de Mme W. O'BRIEN. Guillaumin et Cie, éditeurs. Paris, 1896.

On prête généralement et instinctivement une foule de défauts plus déplaisants les uns que les autres aux femmes écrivains. Bas-bleu est encore l'épithète la moins malsonnante que l'on accole à leur nom. Pourtant il y en eut il y en a même encore de charmantes : Maria Edgeworth est de celles-là. Suivant ses biographes, il semble que chez elle les qualités intellectuelles et morales se soient combinées pour former le plus agréable spécimen de femme de lettres qu'on puisse rencontrer. Pratique, sensée, désintéressée, simple et bonne avec sa nombreuse famille (son père se maria quatre fois); modeste malgré les succès mondains que lui valut sa grande réputation littéraire ; gracieuse avec ses amis; bienveillante dans les jugements qu'elle porte sur ses connaissances tant féminines que masculines: qui pourrait souhaiter un meilleur ensemble de dons heureux?

Sa correspondance qui fut toujours fort active pendant le cours de sa longue existence (née le 1er janvier 1767, elle mourut le 22 mai 1849) donne peut-être, dit-on, plus que ses romans une idée juste de son

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