Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Dans toutes ces mines la Chartered Company a un intérêt de participation.

Il faut ajouter à cette liste la Compagnie des mines d'or de Panhalanga, le syndicat de Sheatham, le syndicat de White, de Pertshire, de Tulloch, les champs d'or de Manica, le Rezende, etc.

Ce ne sont pas seulement des mines d'or que renferme la Rhodesia, mais des mines de houille, des carrières d'ardoises, des gisements divers dont l'énumération serait trop longue.

Le journal le Star, de Johannesburg, a publié dernièrement une conversation de Cecil Rhodes dans laquelle celui-ci faisait connaître son opinion sur l'avenir des mines du Matabeleland.

Cecil Rhodes ne mettait pas en doute les très grandes richesses minières de cette contrée et à l'appui de cette opinion il ajoutait :

((

« On observe presque partout la formation dioritique: aucune faille n'y a jamais fait perdre le reef. Il est certain seulement que les filons varient considérablement en étendue ainsi il n'est pas rare qu'un filon de 4 à 6 pieds à la surface, aille, à mesure qu'il s'approfondit, se rétrécissant, jusqu'à n'avoir plus que 6 inches; mais c'est presque toujours pour s'élargir à nouveau et retrouver plus bas sa largeur première. C'est ainsi que se présentent partout d'ailleurs « les veines de fissure »; elles ne font pas exception à la règle au Matabeleland. Nous avons recoupé bien des reefs et jusqu'ici nous n'en avons jamais perdu un seul ».

La région aurifère prospectée par les agents de M. Cecil Rhodes a environ 250 milles de longueur. Le capitaine Heancy a ouvert à Gwanda un filon de 120 pieds et d'une largeur de 12 pieds, d'une teneur de 18 à 20 dwts à la tonne.

C'est une nouvelle Sheba! concluait M. Cecil Rhodes. Mais il signalait une des causes qui arrêtent l'essor des exploitations minières, et l'aveu a d'autant plus de prix que M. Cecil Rhodes parlait ici contre ses intérêts personnels :

«50 p. 100 des bénéfices des compagnies organisées au Matabeleland sont acquis à la Chartered.

« Je n'hésite pas à dire que ç'a a été le seul obstacle à un développement plus rapide du Matabélé.

«Tout y est accaparé par des syndicats, qui ne se sont contitués que pour prendre position et attendre que ce droit abusif de 50 p. 100 sur toute affaire ait été aboli. Ce n'est qu'alors que commenceront les broyages et les rendements. »

Voilà ce qui expliquerait la disproportion que nous constations plus haut entre le nombre des claims et la production de l'or.

IV

On peut penser, comme nous le disions, que les richesses minières du Matabeleland et du Mashonaland seraient une merveilleuse amorce, que grâce à elles les colons se multiplieraient et que l'agriculture et l'industrie subiraient l'heureux contre-coup de cette colonisation hâtive.

Jusqu'à présent l'exode des commerçants et des industriels n'a pas été extrêmement rapide.

On en compte 72, dans le district de Salisbury et 200 dans celui de Bulawayo, 34 dans celui de Victoria, 17 dans le district de Manica et 55 dans celui de Tuli.

Parmi eux, ce sont les épiciers, les bouchers et les fabricants de billards qui prédominent.

Bulawayo est la ville la mieux dotée au point de vue industriel et commercial: il ne serait pas étonnant qu'elle devînt une ville importante et nombre de Rhodésiens pensent déjà à la doter de l'éclairage électrique, d'un service d'eau, d'un marché, d'une banque.

Voilà le bilan des ressources actuelles de la Rhodesia: une agriculture naissante, un commerce et une industrie restreints, et des « claims » pleins de promesses.

L'agriculture paye de petites redevances, l'industrie et le commerce payent des « licences » dont le chiffre est peu élevé,les «< claims »>, eux, sont assujettis à des droits énormes, 50 p. 100 de leurs bénéfices. Aussi on n'en exploite qu'un petit nombre.

Voilà pour les reveuus.

Passons aux dépenses.

V

L'administration a beau être simplifiée, elle est toujours coûteuse. A vrai dire, le personnel européen de Rhodesia est peu nombreux : il ne renferme que 130 fonctionnaires qui remplissent les emplois d'administrateurs, de conseillers légaux, de « prosecutor public » de commissaires des mines, de préposés à l'enregistrement des titres, d'inspecteurs du cadastre, etc.

Le Matabeleland a une haute Cour et par conséquent des juges et des greffiers. Il a des bureaux de poste et de télégraphe et par conséquent un directeur en chef des postes, un inspecteur du télégraphe, des agents, des sous-agents, des facteurs, des employés de tout rang. Mais ce n'est là que la petite part, le minimum de fonctionnarisme indispensable. Ce qui a préoccupé plus vivement les actionnaires de la Chartered Co, c'est l'armée que la Rhodesia s'était donnée. Dans

leur esprit cette armée devait être un simple corps de police, une sorte de gendarmerie fortement constituée, dont le rôle consistait surtout à protéger les colons 1.

Au lieu de cela, Jameson en fit un corps de flibustiers qu'il lança contre les Boers.

On sait comment finit cette équipée qui risqua de compromettre à tout jamais l'œuvre de la Chartered C° et qui restera au point du vue financier comme un très coûteux mécompte. Car il ne faut pas s'y tromper, à ne considérer que les intérêts matériels de la Chartered, la faute commise par Jameson a eu des conséquences très étendues. C'est lui qu'on peut rendre responsable du soulèvement des Matabélés, lui et une partie de ceux qui étaient à la tête de l'entreprise. S'il n'avait pas emmené ses troupes envahir le Transvaal, les Matabélés ne se seraient pas révoltés et la Chartered n'aurait pas à payer les frais d'une double guerre. Car si les troupes anglaises ont été envoyées au secours des soldats de la Chartered, il a été bien entendu que cette dernière supporterait tous les frais de l'expédition. M. Chamberlain le déclarait formellement à la Chambre des communes. Or l'on sait que dans ces cas-là la note des frais atteint généralement des proportions considérables.

Il est vrai que Jameson aurait trouvé pour son expédition d'autres subsides que ceux de la Chartered. Une somme de 370.000 livres sterling aurait été réunie pour en couvrir les frais, et elle proviendrait des caisses noires formées par certaines compagnies minières du Transvaal qui encourageaient Jameson de tout leur pouvoir.

C'est une fiche de consolation pour les actionnaires de la Chartered, mais elle est mince.

Tout porte à croire néanmoins que les événements dont cette Compagnie a été victime ne l'atteindront pas dans ses œuvres vives, qu'elle supportera les lourdes charges qu'ils entraîneront pour elle et qu'elle pourra se relever heureusement.

L'attitude même du ministre anglais vis-à-vis de M. Cecil Rhodes permet d'envisager cette hypothèse. Il est bien certain qu'en présence de la demande de M. Buxton réclamant la suspension au moins provisoire des directeurs compromis de la Chartered et de l'opinion exprimée

1 Grâce à l'enrôlement d'un corps considérable de volontaires montés, le pays a à sa disposition un effectif sur lequel il peut compter pour toutes les éventualités. Ces soldats ont un équipement dernier modèle; des rifles LeeMetford, 303 canons Maxim.

La police indigène du Matabeleland est exclusivement composée de Mata

bélés.

par M. Labouchère qui voulait que M. Cecil Rhodes prît devant le tribunal de Bow-Street la place de Jameson, un ministre ne plaide pas les circonstances atténuantes comme les a plaidées M. Chamberlain, s'il n'a pas la certitude que l'homme qui a failli compromettre l'œuvre qu'il avait créée est le plus capable de la relever.

Or, qu'a répondu le ministre à ceux qui lui disaient : « La Compagnie à Charte a organisé l'insurrection Jameson, cette Compagnie dépend entièrement du gouvernement anglais. Celui-ci fera-t-il œuvre de complicité en soutenant cette association ? »

Il s'est borné à convenir que les dépêches chiffrées publiées par le président de la République transvaalienne attestaient la complicité des directeurs africains de la Compagnie à Charte dans les évènements qui avaient eu lieu, mais qu'elles ne prouvaient pas que M. Rhodes ait approuvé au moment où elle se produisit l'invasion Jameson 1.

M. Cecil Rhodes, s'est écrié le ministre, à souffert de « la dernière infirmité des nobles natures », mais sa faute, pour blâmable qu'elle soit, ne doit pas faire oublier les services rendus. Sans des hommes comme celui-là, l'histoire de l'Angleterre serait moins brillante et les possessions britanniques seraient beaucoup moins vastes. Les Hollandais et les Anglais du Cap le regardent comme leur bienfaiteur et ils ne sont pas disposés à le traiter avec dureté. Les mesures que le gouvernement a prises mettent M.Cecil Rhodes dans l'impossibilité de se livrer

1 Cette thèse paraît difficile à soutenir après la publication des notes trouvées dans les vêtements du major White, notes prises cation au Dr Jameson ».

« pour communi

30 novembre. Dépêche du colonel Rhodes disant qu'il a reçu la coopération des riches capitalistes Phillips, Farrar, Bailey, etc... Tous les arrangements sont entièrement dans les mains de Cecil Rhodes. Il viendra à notre rencontre avec 1.020 hommes bien armés entre Krügersdorp et Mafeking, ou là où on aura le plus besoin de lui. Lettre reçue du colonel Rhodes dit que l'argent peut être tiré sur la Compagnie du Sud africain ou sur Cecil Rhodes.

18 décembre. Cecil Rhodes télégraphie que les hommes de B. P. qui nous auront joints à partir du 15 doivent figurer sur la liste de paye comme appartenant dès cette date au compte du Transvaal.

20 décembre. Reçu dépêche du colonel Rhodes disant qu'il enverra un télégramme chiffré quand il faudra se mettre en marche. Répondu que nous ne recevrons nos ordres que de Cecil Rhodes.

29 décembre.

Reçu dépêche de Cecil Rhodes disant de marcher imme

diatement sur Johannesburg.

Le carnet de notes du major White contient encore des cartes de la route à suivre, des indications sur les fournitures de la Compagnie à Charte, etc.

à l'avenir à des actes nuisibles. Pas un seul homme armé ne peut bouger sans la permission du gouvernement anglais.

Quant aux administrateurs de la Chartered Company, on n'a pas cru pouvoir leur donner des conseils sur les décisions qu'ils ont à prendre sous leur propre responsabilité. Cependant il n'est que juste. que, considérant les troubles qui règnent sur le territoire de la Chartered et l'impossibilité de connaître l'opinion des colons, un peu de temps soit accordé aux administrateurs pour étudier la question de la démission de M. Rhodes.

Que ce soit en qualité d'administrateur ou en qualité d'actionnaire, la place de M. Rhodes est en ce moment dans l'Afrique du Sud; c'est seulement là qu'il pourra le mieux expier sa conduite passée. Lorsque les procès actuels seront terminés, le gouvernement examinera la situation en se basant sur les informations obtenues.

On ne saurait imaginer, on le voit, un désaveu plus sympathique. L'hommage rendu aux grandes qualités de Cecil Rhodes est d'ailleurs absolument mérité.

Qu'il reste ou non officiellement à la tête de cette colossale entreprise, on peut croire que de toute façon il ne cessera pas de la diriger. Mais, au lieu de rêver de coups de mains grandioses, il serait heureux pour les actionnaires de la Chartered, fort nombreux en France, qu'il employât son activité et ses grandes facultés à faire de la Rhodesia une colonie riche et prospère.

Il convient de rendre justice aux débuts de l'œuvre : improviser une administration, construire des villes, établir sur une longueur de plus de 495 milles des lignes télégraphiques, tracer de nombreuses routes, créer des chemins de fer, organiser la propriété rurale, hater la colonisation par les concessions minières, ce sont là des mesures fécondes, des débuts pleins de promesses.

Peut-être serait-on trop optimiste en escomptant trop vite l'avenir. Mais il y aurait excès de pessimisme en ne tenant pas compte des résultats acquis et en s'inscrivant délibérément contre une tentative qui, parmi les incertitudes des commencements, a montré que toutes les espérances qu'on fondait sur elle n'étaient pas des illusions.

EMMANUEL RATOIN.

« AnteriorContinuar »