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coup débarrassé de la tutelle pesante de la police, des patrons et de leurs employés.

ARTHUR RAFFALOVICH.

ZUR GESCHICHTE DER GOLDWAHRUNG, par KARI. HELFFERICH. Berlin, 1896.

Si l'on écoute les bimétallistes, l'adoption de l'étalon d'or dans différents pays ne serait point le résultat d'une évolution toute naturelle, mais presque toujours l'effet d'un coup d'audace et d'habileté de la part de quelques hommes, qui auraient réussi à faire accepter une réforme monétaire en contradiction avec les données de l'histoire et de l'expérience.

Les choses se sont passées différemment dans la réalité. Au début du siècle, l'Angleterre remplace le cours forcé par le régime de l'étalon d'or; les États-Unis, qui avaient eu le double étalon, fondé sur le rapport de 1 à 13, rapport en contradiction avec le rapport commercial, et qui, par suite, n'avaient en circulation que de l'argent, modifient la relation, adoptent 1 à 16; la conséquence, c'est que l'argent s'écoule et qu'il ne reste que de l'or en circulation. Il n'en a été guère autrement en France; jusque vers le milieu du siècle, la France a surtout frappé de l'argent, puis, après les grandes découvertes de Californie et d'Australie, c'est l'or, comme le métal le meilleur marché, qui afflue vers les ateliers de la Monnaie. Successivement les principaux États de l'Europe, et même les petits États, passent au régime de l'or, et après l'Allemagne, les États scandinaves, la Roumanie, c'est le tour de la Russie. Il ne faut pas oublier qu'en 1893 les Indes anglaises ont suspendu la frappe et prononcé le divorce de l'argent.

Un jeune écrivain allemand, auquel nous sommes redevable de plusieurs études, les unes savantes, les autres populaires, sur la question de la monnaie, a entrepris de passer en revue les différents pays et de montrer comment, en réalité, l'adoption de la monnaie d'or s'y est faite. Chemin faisant, M. Helfferich réduit à leur juste valeur les assertions de bimétallistes comme Dana et Horton, qui ont soutenu que la politique monétaire de l'Angleterre aurait été faussée lors de la reprise des paiements en espèces par des arguments de lord Liverpool. Ce qui ressort d'une étude attentive de l'histoire de l'Angleterre, c'est que le régime de l'or y a existé de fait avant d'être sanctionné par la loi. Pendant plusieurs siècles l'argent y a prédominé; en 1663, on a frappé la guinée, qui devait valoir à peu près 20 shillings en argent; antérieurement, la valeur des pièces d'or avait été tarifée avec la conséquence de la disparition de la monnaie la plus précieuse. A partir de 1663, on

voulut laisser au commerce le soin de fixer la valeur des deux métaux. les caisses publiques furent autorisées à accepter la guinée au cours du jour. Les faits de l'histoire monétaire de l'Angleterre sont suffisamment connus pour que nous n'ayons pas besoin d'insister. pas plus que sur la détérioration croissante de la monnaie d'argent; peu à peu, par la force des choses, on en arrive à un système d'or avec la monnaie divisionnaire d'argent. En 1717, la valeur de la guinée fut fixée à 21 shillings, en même temps qu'on laisse la liberté de la frappe des deux métaux. La loi fixe le rapport à 13.2, mais le double étalon ne fonctionne point, c'est uniquement de l'or qu'on apporte à la Monnaie; les Anglais en sont satisfaits, ils ne se plaignent que d'une absence de petite monnaie. En 1798, lorsque le rapport commercial se rapproche du rapport légal, une proclamation royale interdit la frappe libre pour le compte des particuliers et le Parlement approuve aussitôt cette mesure. En 1816, l'étalon d'or est enfin introduit légalement. Lord Liverpool n'est pas l'inventeur du système, celui-ci est la conséquence naturelle et forcée des faits.

M. Helfferich, dans le cours du chapitre qu'il consacre à l'Angleterre, a eu l'occasion de dévoiler des procédés de polémique bimétallique, notamment la façon de faire les citations d'auteurs connus ; un exemple typique est le traitement d'Adam Smith par M. Horton. M. Arendt admet que l'étalon d'or existait en Angleterre avant son adoption légale, mais c'est faute de mieux, d'après lui, que les Anglais l'ont adopté, l'introduction de l'argent aurait imposé de trop gros sacrifices. M. Arendt, dans l'éloge qu'il fait du système bimétallique français, assure que le mérite d'avoir ouvert ses ateliers de la Monnaie à la frappe libre des deux métaux appartient avant tout autre à la France, en 1803, alors que l'Angleterre avait fait la même chose en 1666.

Les bimétallistes considèrent la date de 1803 comme indiquant le commencement d'une ère nouvelle ; d'après eux, l'histoire de la France prouverait que la législation est en mesure de consolider le rapport de valeur entre les deux métaux. L'observateur impartial est obligé de reconnaître que c'est à peine pendant quelques années, de toute la période 1803 à 1873, que le rapport légal et le rapport commercial ont été identiques : c'est une démonstration que M.Shaw a faite d'une façon irréfutable dans son histoire de la monnaie.

L'Union latine, en 1865, est née surtout de la nécessité de conserver la monnaie divisionnaire d'argent qui avait alors tendance à disparaître. A l'exception de la France, les Etats contractants étaient en faveur de l'étalon d'or, et même celui-ci comptait de nombreux partisans en France. La conférence internationale de 1867 déclara que seul l'or pouvait donner une monnaie internationale suffisante. En 1870, par 17

voix contre 6, une commission convoquée par M. Magne se prononça par une très grande majorité en faveur de l'étalon d'or; la guerre de 1870 empêcha tout progrès dans cette voie.

Lorsque l'Allemagne, victorieuse, fut en mesure de sortir du chaos et de l'anarchie monétaires, ce ne fut point d'une façon inconsciente qu'elle se décida à sortir du bimétallisme. Le gouvernement de l'empire voulait la réforme monétaire, mais il s'y engageait avec une certaine timidité; il fallut l'impulsion du Parlement pour mener rapidement à bonne fin l'œuvre dont M. Louis Bamberger, M. Delbruck, M. Soetbeer, ont été les principaux instruments.

On se trouve en présence de deux opinions contradictoires, lorsqu'il s'agit pour les bimétallistes d'expliquer comment la France et l'Union latine ont renoncé au double étalon: 1° la suspension de la frappe libre a été la conséquence nécessaire de la réforme monétaire allemande; 2o la France, qui aurait pu conserver son double étalon, a renoncé à la liberté de la frappe pour jouer un tour à l'Allemagne, qui passait à l'étalon d'or. La première explication permet de jeter la re:ponsabilité de la dépréciation de l'argent sur l'Allemagne, dont la conduite a obligé la France à fermer ses ateliers monétaires. Il faut en retenir cet aveu, c'est que, si l'action de l'Allemagne a exercé quelque influence, il n'est pas exact d'affirmer que le système du double étalon contient en lui-même la garantie de sa conservation, et par conséquent il arrive des circonstances où il est fatalement condamné à crouler..

La seconde explication, c'est que la réforme allemande ne mettai! pas en jeu le maintien du système français; la circulation latine aurai! pu absorber tout l'argent dont l'Allemagne voulait se défaire; le rapport fixe aurait pu être sauvegardé. Mais les patriotes français n'ont pas voulu subir l'invasion du thaler prussien, n'ont pas voulu faciliter la réforme allemande; tout au contraire, la suspension de la frappe a eu pour objet d'entraver celle-ci. On a voulu faire un acte d'hostilité el on a sacrifié un principe à un accès de chauvinisme. C'est la France qui est responsable de la dépréciation de l'argent.

Comment concilier ces deux avis extrêmes? Le second, c'est de la légende pure, d'autant plus que ce n'est pas le gouvernement français, mais le gouvernement belge qui a pris l'initiative de limiter la frappe. (décembre 1873) et, plus tard, c'est la Suisse qui a demandé de fixer la limitation de la frappe. Ni la Suisse ni la Belgique ne sont germanophobes. En 1865, ces deux États voulaient l'étalon d'or.

Parmi les facteurs qui ont amené la dépréciation de l'argent, c'est l'accroissement de la production, c'est le désir croissant des pays civilisés de se servir de l'or et des billets, au lieu des gros écus blancs, JUIN 1896.

T. XXVI.

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qui jouent un rôle primordial. Malgré la suspension de la frappe, le métal blanc a encore trouvé un emploi monétaire considérable et les statistiques de la frappe que donnent MM. Lexis, de Foville, Preston, sont bien instructives.

Chemin faisant, M. Helfferich fait justice d'une des plus audacieuses assertions des bimétallistes. Ceux-ci s'essaient à corriger l'histoire, complant sur la badauderie et l'ignorance: ils prétendent, par exemple, que l'étalon d'or a été adopté furtivement aux États-Unis en 1873, sans que personne ait su ce dont il s'agissait et sans que la mesure ait été discutée. Or aux États-Unis, dès 1867, des hommes d'État avaient déclaré ouvertement que le maintien du double étalon est une impossibilité, notamment M. Ruggles, qui avaient représenté les États-Unis en 1867 à la conférence de Paris, M. Sherman, et M. Kelley lui-même avaient proposé, en 1868, de prendre l'or comme base du système monétaire.

La loi votée en 1873,a été présentée en 1870, elle a été votée d'abord par le Sénat en 1871, puis en 1872, par 110 contre 13, par laChambre des représentants; en 1873, elle fut acceptée à l'unanimité par le Sénat. Cette loi limitait à cinq dollars la force libératoire de l'argent.

M. Helfferich complète son intéressante étude monétaire par un résumé de la réforme autrichienne et de la réforme russe. La théorie bimétallique n'a rien de scientifique, et de plus les faits lui ont toujours infligé les démentis les plus cruels. Toutes les tentatives artificielles de réhabiliter l'argent, auquel personne ne songe à refuser le rôle secondaire de monnaie d'appoint, semblent condamnées à l'échec.

ARTHUR RAFFALOVICH.

LES SCIENCES SOCIALES

EN ALLEMAGNE. LES MÉTHODES ACTUELLES, par C. BOUGLÉ, in-16. Félix Alcan, Paris, 1895.

Les Allemands attachent une importance capitale à la question de méthode dans les sciences sociales; ils en ont déjà imaginé - il serait peut-être plus exact de dire qu'ils ont cru en imaginer plusieurs, et l'on ne voit pas qu'il en soit sorti de doctrines nouvelles bien lumineuses; mais ils ne se découragent pas : ils renversent les méthodes qu'ils ont élevées au pinacle, en mettent d'autres à la place, les renversent encore, et ainsi de suite; c'est le massacre des innocents.

On a commencé par reprocher aux anciens économistes d'avoir employé la méthode déductive. Cela ne vaut rien, c'est la méthode inductive qui seule peut donner de bons résultats. Ensuite on s'est aperçu que la méthode inductive conduisait au matérialisme et que le matérialisme

engendrait beaucoup de maux sociaux. Arrière donc le matérialisme et l'historisme qui l'engendre par induction; il nous faut une nouvelle méthode et cette méthode doit être spirituelle ou plutôt spiritualiste, psychologique tout au moins.

C'est cette nouvelle méthode qui est à la mode aujourd'hui et c'est elle que M. Bouglé expose en analysant les ouvrages de ses quatre principaux champions: Lazarus pour la psychologie des peuples; Simmel pour la science de la morale, Wagner pour l'économie politique, et von Jhering pour la philosophie du droit. Après avoir donné le résumé des idées de ces auteurs, M. Bouglé, dans une conclusion, compare le mouvement sociologique d'Allemagne au mouvement français, qui s'inspire largement des méthodes germaniques, ce dont nous ne lui faisons pas compliment pour beaucoup de raisons.

D'abord, il est illusoire d'attacher une si grande importance à la méthode. La méthode n'est qu'un outil; or, le meilleur outil du monde ne fait jamais que de médiocre ouvrage dans la main d'un mauvais ouvrier. Ensuite, il est faux que les anciens économistes n'aient connu et pratiqué que la méthode déductive, qu'ils aient ignoré l'histoire, méprisé les faits. S'il fallait une preuve après tant d'autres de l'inanité de cette imputation,nous la trouverions dès le commencement du livre de M. Bouglé à la page 2, on reproche à Hegel le mépris des faits; et au bas de la page 3, on observe que « le système de Hegel ne fait souvent que transposer en formules métaphysiques ses connaissances historiques ».

L'école dite inductive ne s'est pas plus bornée à l'induction que son aînée à la déduction. On n'a jamais vu tant de déductions et d'hypothèses gratuites que dans les élucubrations de cette école, et qu'en estil sorti? du bruit.

La nouvelle méthode conduira-t-elle à de meilleurs résultats ? On trouve que les sciences sociales ont trop subi l'influence des sciences naturelles on veut rattacher les phénomènes sociaux, « non aux phénomènes biologiques, ce qui ne fournit que des analogies superficielles, mais aux phénomènes psychologiques, ce qui peut fournir des rapports de causalité ». Il faut, dit Lazarus, que la psychologie se transforme elle-même et, d'individuelle qu'elle restait, se fasse sociale. Il faut, si l'on veut éviter les erreurs du XVIIIe siècle et garder en même temps de la psychologie ce qui est nécessaire à l'histoire, « passer de la philosophie du moi à la philosophie du nous, et constituer une psychologie sociale dont les lois éclaireraient l'histoire des peuples, la biographie de l'humanité, comme les lois de la psychologie individuelle éclairent la biographie des individus ».

Mais pour constituer cette psychologie sociale, pour passer du mai

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