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COMPTES RENDUS

LA QUESTION DE L'ALCOOL: ALLÉGATIONS ET RÉALITÉS, par YVES-GUYOT', compte rendu traduit de l'Investor's Review, 27 octobre, dont le directeur est M. A.-J. Wilson.

De temps à autre des paragraphes paraissent dans les journaux annonçant au public que le gouvernement a presque terminé son projet d'acquisition des intérêts du commerce des boissons de la Grande-Bretagne. Il a toujours été allégué que le premier ministre actuel est un fervent partisan de l'antialcoolisme absolu (testotalism), et par conséquent, de la coercition en ce qui concerne la consommation des boissons alcooliques.

Lorsque, peu après le commencement de la guerre, le gouvernement russe décida le Tsar à émettre un décret retirant au peuple russe la liberté d'acquisition et de consommation de la vodka, cet acte fut présenté dans le monde comme une nécessité, comme une mésure de réforme purement philanthropique, et la plupart d'entre nous l'envisagions ainsi. En tout cas, les ravages causés par l'alcoolisme, en Russie, étaient, s'il faut croire ce que l'on en disait, effrayants et on désignait l'Etat comme l'agent principal grâce auquel le paysan et l'artisan russes trouvaient de quoi s'enivrer; il paraissait donc juste que l'Etat cherchât à remédier quelque peu aux maux dont il était responsable. Tout le monde trouva raisonnable une mesure ayant pour but, en un moment de crise, de mettre fin aux influences morales corrosives de la boisson excessive. Mais, tout en considérant comme méritoire, bien qu'exceptionnelle, la mesure prise en Russie, pareille action pouvait-elle obtenir le consentement cordial des hommes compétents comme mesure d'application universelle? La mesure en question paraît avoir été ainsi envisagée par nos extremistes antialcoolistes. L'action de la Russie donna donc une certaine

I. I volume in-18, prix 3 fr. 50 (librairie Félix Alcan).

<< poussée » aux antialcoolistes dans ce pays, et à leurs collègues de France et des États-Unis. Nous croyons que la grande majorité des habitants intelligents de ces pays est encore opposée à l'abstinence universelle et obligatoire de toute boisson alcoolique; mais la minorité active, avec ses statistiques étendues, qui ne supporteraient pas toujours ou même souvent un examen approfondi; avec ses tableaux poignants des ravages causés par la boisson parmi les pauvres, ont apparemment le dessus, ici au moins, et notre production de boisson va être possédée, allègue-t-on, et sa consommation réglementée par la bureaucratie. S'il en est ainsi, que Dieu nous aide, ainsi que la production!

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Avant de donner son adhésion à cette politique, il serait bon que les citoyens étudiassent les faits tels qu'ils sont exposés dans le petit volume susdit de M. Yves Guyot, avec sa méthode et sa lucidité habituelles. Il traite le sujet avec précision, examinant la nature de l'alcool, sa consommation et les effets qu'il produit, et en racontant les mesures qui ont été prises dans divers pays afin de restreindre ou de contrôler les ravages de l'ivrognerie, et en exposant les conséquences de ces mesures. Il arrive à la conclusion que l'intervention de l'Etat cause plus de mal que de bien, que les monopoles d'Etat produisent bien plutôt des effets funestes que de bons effets. Dans ce sens, son récit du système célèbre du monopole de Gothenburg offre un intérêt et une valeur réels, et mériterait à lui seul d'être reproduit en anglais. Les faits qui y sont exposés sont tirés surtout de sources anglaises. De même l'histoire de la prohibition aux Etats-Unis est brièvement envisagée et la conclusion tirée est que la cámpagne contre la boisson est basée sur de fausses données, et que les mesures inventées pour en contrôler la consommation ne produisent jamais les résultats attendus. Nous classerions M. Yves-Guyot, en vérité, parmi les Free Traders logiques et convaincus en matière de boissons comme pour les autres denrées, et c'est là, en somme l'attitude vers laquelle penche ce journal. Si les gens voulaient seulement examiner les faits et passer en revue les usages d'il y a un siècle par exemple, ils seraient peut-être à même de comprendre la vérité notoire que les habitudes de boissons excessives ont été abandonnées, non pas par obéissance à la loi ou à la police, mais par la volonté même des individus.

Quel fut l'usage social au temps du prince Régent, par exemple, et même on peut dire pendant les premières années du règne de la reine Victoria? Dans les classes supérieures de la société, on buvait librement et souvent avec excès. Rien de honteux, par exemple, pour un noble ou un gentleman, si on le ramassait ivre dans la rue, ou si on le voyait couramment ivre en société. Comme les classes supérieures en donnèrent l'exemple, les classes inférieures suivirent. Cependant

peu à peu, les choses changèrent, et au cours des trente dernières années les usages de la société à cet égard ont complètement changé sans aucune assistance des lois, nouvelles ou anciennes. Les habitudes changent actuellement parmi les classes ouvrières; elles ont été dans une phase changeante depuis plusieurs années. Un jour, il y a des années, avant la guerre mondiale, celui qui écrit ces lignes traversait le Saint James's Park, se dirigeant vers Pall Mall, avec Mr John Burns. Comme nous traversions devant le palais de Saint-James, Mr Burns me saisit par le bras et s'écria « Voyez donc! Auriez-vous vu pareille chose il y a vingt ans? » Ce que nous vîmes, c'étaient deux ouvriers rentrant chez eux après la journée du travail; chacun portait avec ses outils de travail,- un bouquet de fleurs à sa femme. Làdessus Burns entama un panégyrique juste et bien mérité sur l'artisan, sa propreté, sa sobriété, sa dignité personnelle agrandie, ses habitudes et son idéal plus élevés, son foyer amélioré et plus heureux. La leçon s'imposait et ne saurait être oubliée la vision probanted'une réforme effectuée par la volonté personnelle qui a sans aucun conteste pénétré à travers tous les grades de la société ouvrière. A mesure que les hommes reçoivent plus d'éducation, que leurs foyers deviennent plus confortables, ils s'attaquent d'eux mêmes à l'habitude excessive de la boisson et la contrôlent. Il y a des maux bien plus profondément enracinés à combattre que la consommation de l'alcool et de la bière. Ainsi que disait Mr Will Thorne, cité par M. Yves-Guyot : << Parmi les noms que j'ai trouvés dans la liste d'adhérents aux fonds prohibitionnistes, j'en ai noté plusieurs qui se sont farouchement opposés à tous les efforts faits pour relever le niveau de la vie des masses, et qui n'ont jamais eu d'autre point de contact avec les classes ouvrières, que celui de vivre de leur travail. » Ceci est vrai et mérite reflexion.

L'absorption du whisky a augmenté continuellement en Ecosse, surtout à Glasgow, ces denières années, et il est possible que des mesures drastiques aient été nécessaires pour empêcher en ce lieu la démoralisation des ouvriers; mais l'ouvrier des bords de la Clyde aime-t-il tant son whisky parce qu'il est par nature un être enclin au mal? N'est-ce pas plutôt parce que son entourage, les conditions dans lesquelles il doit travailler, la sévérité excessive de son ouvrage, les restrictions imposées contre tous les amusements innocents l'ont amené à l'ivrognerie. Nous aimerions que des questions de ce genre reçussent une réponse d'observateurs compétents et dignes de foi; et même en admettant qu'on ne puisse produire une réponse de nature satisfaisante, nous n'en restons pas moins convaincu qu'on ne gagnera rien, à la longue, en forçant la nation, ou des classes particulières de citoyens, à la sobriété, alors qu'en le faisant on les prive de leur

propre initiative morale, par laquelle seule hommes et nations peuvent s'élever et devenir forts. M. Yves-Guyot a rendu grand service par ce livre, qui montre du doigt la fausseté de beaucoup des raisonne ments surexcités et des statistiques invoquées, et qui avertit ses compatriotes d'avoir à éviter les idéals de déception.

THE GREAT PROBLEMS OF BRITISH STATESMANSHIP. Les Grands Problèmes de la politique anglaise (en anglais), par Ellis BARKER. I volume. (Londres, chez John Murray, 1917.)

Le fait d'avoir publié, depuis 1900, deux ou trois volumes sur l'Alle- . magne moderne, sur la Grande et la Plus Grande-Bretagne, d'avoir écrit d'innombrables articles sur des questions de politique étrangère et intérieure, d'avoir dénoncé l'ambition germanique, d'avoir protesté contre l'attitude d'isolement de l'Angleterre, conseillé le rapproche-. ment avec la France, la Russie, le Japon et les États-Unis, montre que M. Ellis Barker a suivi avec soin les événements survenus dans le monde et qu'il s'est livré à des études non seulement sur ce qui se, passait à l'étranger, mais encore sur le développement britannique lui-même. M. Barker est un protectionniste qui a été un collaborateur de M. Joseph Chamberlain, en même temps qu'un militariste qui se refère à Lord Roberts. On ne saurait dire qu'il pèche par un excès de modestie en parlant de soi-même et des solutions qu'il propose. C'est plutôt comme une réunion de données et de faits que l'on consultera son livre, formé pour la majeure partie de la réimpression d'articles. parus dans le XIXth Century.

L'idée fondamentale de l'auteur, c'est qu'étant donné que l'histoire, est un perpétuel devenir, un perpétuel recommencement, les solutions adoptées sont d'ordinaire d'une durée limitée; on peut difficilement envisager des solutions permanentes lorsque celles-ci ne reposent pas sur le respect des droits, de la liberté des nations. Dans une série de chapitres, M. Barker après avoir tracé le programme du futur congrès. de la paix, qui devra arrêter les lignes de la reconstitution des Etats, telle qu'elle sortira de la guerre, examine successivement le problème de Constantinople, qu'il donne à la Russie sous certaines réserves, en dépit de la renonciation temporaire des socialistes russes, celui de la Turquie d'Asie dont il fait ressortir l'importance stratégique, dont il souhaite la transformation en une sorte d'État neutralisé sous la tu-, telle de la Grande-Bretagne ; à défaut de cette neutralisation contraetuelle, il faudrait subir une division en zones d'influence, en concentrant les quelques millions de Turcs au centre de l'Asie Mineure, loin de la mer. On aboutirait vraisemblablement à un partage.

Pour l'Autriche-Hongrie, qui serait privée de ses sujets tchèques, slaves, italiens, roumains, polonais et qui serait agrandie par la réincorporation de la Silésie, elle sera détachée de l'Allemagne et formerait un Etat nouveau moins perfide et moins dangereux. La Pologne serait reconstituée, elle aurait accès à la mer par Dantzig. Elle serait reliée économiquement à la Russie.

Un chapitre curieux traite de la position de l'empereur Guillaume II. Celui-ci en déclarant, de par sa volonté, la guerre à la Russie et à la France sans avoir été attaqué par elles, a outrepassé ses pouvoirs constitutionnels. Une guerre offensive exige le concours du Conseil fédéral, représentant les États confédérés. L'empereur Guillaume II a rompu le pacte conclu entre lui, les souverains allemands, les villes hanséatiques, entre lui et la nation allemande. Il s'est mis en dehors de la loi écrite et M. Barker est d'avis que, si la guerre finit d'une façon désastreuse pour l'Alemagne, souverains et peuple germaniques lui demanderont compte de ses responsabilités.

Après cette revue des questions que la guerre a fait surgir en Europe, M. Barker examine les mesures financières prises en Angleterre pour couvrir les dépenses de la guerre, les emprunts, les impôts. Il recherche les précédents historiques: guerre napoléonienne, guerre de Crimée, guerre contre les Boers. Il compare non pas les chiffres absolus, mais les rapports existants à chacune de ces époques entre la richesse et les charges que les redevables ont à supporter du fait de la guerre. Il est optimiste, il croit que la surcharge stimulera l'activité des contribuables, les poussera à produire davantage. Il est persuadé qu'après la guerre l'Angleterre conservera une suprématie industrielle. Nous n'avons pas la même confiance que lui dans les effets d'un tarif protecteur de l'industrie et de l'agriculture. Tout au contraire. Les effets en seraient certainement désavantageux. M. Barker voudrait que le coût de la guerre fût réparti, en ce qui concerne la Grande-Bretagne et ses colonies autonomes, d'après un coefficient calculé d'après leur richesse; ce coefficient serait revisable à périodes fixes. Cette proposition demanderait l'établissement d'un inventaire impossible à dresser exactement.

Il est impossible d'examiner les problèmes de la politique financière, économique, étrangère sans arriver au point critique, l'organisation du pouvoir exécutif, les relations entre la représentation nationale et les ministres. On ne saurait dire que les parlements et les cabinets responsables devant eux sortent de la crise actuelle avec un prestige plus grand. Ils ont donné de tristes exemples d'incompétence, d'incohérence. Il est merveilleux que, néanmoins, on ait pu obtenir les résultats atteints on verra plus tard à quel prix, après quels tâtonnements. M. Barker est partisan d'une dictature, dont le titulaire serait

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