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rante. L'inflation monétaire à tous les degrés a des conséquences détestables. Elle substitue à une monnaie saine, élastique, une monnaie surabondante, qui encombre les canaux de la circulation intérieure. Elle développe un état de psychopathie, dont nous trouvons l'expression d'une part dans un goût très développé du jeu sous toutes ses formes, y compris à la Bourse (voyez ce qui arrive en Russie, en Autriche, en Hongrie), de l'autre dans l'élaboration de propositions qui vont jusqu'à prendre la forme de suggestions législatives, qui témoignent de plus de bonne volonté que de connaissances de la matière, par exemple la superposition de billets à intérêts du Trésor à côté des billets de la Banque de France, c'est le projet Butter de rembourser la dette publique aux Etats-Unis après la guerre de Sécession en émettant 10 milliards de francs de biliets; d'autres demandent des signes monétaires, gagés sur des hypothèques, d'autres veulent créer des billets internationaux, couverts par des marchandises ou des matières premières. Nous retrouvons l'état d'âme des inflationnistes de toutes les époques, des Greenbackers, des Silvérites qui n'ont jamais cru qu'il y avait assez de facilités de crédit et qui ont toujours réclamé plus de monnaie. Déjà en Angleterre, dans les milieux agricoles, on fait entendre au gouvernement que si le prix des produits agricoles baisse, il faudra émettre plus de Treasury notes. Les mêmes revendications se rencontrent dans la bouche des leaders ouvriers.

A notre avis, dès que cela sera possible, il vaut mieux traverser des périodes transitoires de malaise, dû à une contraction de crédit, que de jouer d'une surabondance qui finira par amener une crise. Comment assainir la situation créée par le cours forcé, par l'endettement de l'Etat envers la Banque d'émission, par la circulation de grandes quantités de signes représentatifs de la monnaie. Il y a une vingtaine d'années, j'ai fait à la Société d'économie politique une communication sur les méthodes employées au dix-neuvième siècle pour revenir à la bonne monnaie. Ces méthodes sont classiques : rétablissement de l'équilibre budgétaire avec des excédents de recettes, permettant de rembourser la dette de l'Etat à la Bourse ou de gager des emprunts en vue de permettre le remboursement de la dette et de détruire des billets (France, après 1870, Etats-Unis en 1879, Russie de 1881 à 1896, etc.).

Pendant la guerre actuelle, dans un pays domin' par l'Allemagne, en Turquie, où il y a eu une émission considérable de billets gagés sur des titres allemands, sur des prêts d'or conservé à Berlin, afin de faire rentrer des billets, on a offert aux banques et aux particuliers des bons du Trésor allemand. En Russie, on pourrait peut-être faire rentrer des billets, en offrant aux propriétaires de céder leurs terres aux paysans, par l'intermédiaire de l'État qui remettrait des titres

aux propriétaires et encaisserait des roubles chez les paysans qui en ont thésaurisé.

Il faut du courage et de la persévérance pour sortir de l'inflation, pour abandonner le papier-monnaie, aussitôt que possible. Plus le mal sera invétéré, plus on rencontrera d'opposition.

Au nombre des conditions préliminaires de la reprise des payements, il faut un change favorable au pays faisant la réforme. La substitution de la bonne à la mauvaise monnaie implique l'accumulation d'un stock monétaire espèces considérable 1, qu'il s'agira de défendre et d'accroître par une bonne politique d'escompte.

Les dépenses de l'Etat sont un des facteurs principaux de l'inflation. Il convient de rendre le contrôle sur ces dépenses aussi efficace que possible.

M. R.-Georges Lévy adhère aux conclusions de M. Raffalovich. mais peut-être semblerait-il résulter du début de l'exposé que l'inflation est fatale en temps de guerre. M. Raffalovich a semblé ranger dans une même catégorie toutes les nations belligérantes. Or, il y a des distinctions. Jusqu'ici les Etats-Unis n'ont pas versé dans l'inflation et sont restés fidèles à leurs principes financiers. L'Angleterre, elle aussi, n'a nullement versé dans l'inflation; elle a créé, c'est vrai, une circulation d'Etat, mais cette circulation a été contenue dans des limites raisonnables. Avec beaucoup d'énergie on peut résister à l'inflation.

L'orateur signale qu'il y a des pays, comme l'Italie, qui ont augmenté énergiquement leurs impôts, aussi l'inflation italienne a-t elle été réellement modérée. Il n'y a donc pas fatalité dans le phénomène de l'inflation. En augmentant les emprunts, on maintient le régime monétaire en assez bon état; les discours prononcés par M. Lloyd George en août 1914, par exemple, prouvent qu'en ayant toujours présentes à l'esprit les grandes vérités économiques on défend ce régime.

M. Raffalovich répond que l'un des pays où l'inflation s est le plus développée est l'Angleterre, étant donné l'organisation de ce pays. avant la guerre et on connaît l'augmention des Treasury notes.

M. R.-Georges Lévy dit s'en tenir pour argument au chiffre de

1. Les frappes de monnaie blanche en Angleterre, d'août 1914 à avril 1917 ont été (net) de 25906 123 liv. st., une plus-value mensuelle égale à trente-cinq fois celle des années antérieures. En France, de juillet 1914 à octobre 1917, elles ont été de 353 millions de francs, soit une augmentation de 686 p. 100 de la moyenne annuelle de 1904 à 1913.

7 milliards qui représente le montant de la circulation fiduciaire de nos alliés.

M. d'Eichthal demande à présenter une observation au sujet du débat qui vient de se produire entre M. Raffalovich et M. RaphaëlGeorges Lévy en ce qui concerne les différences d'inflation de l'Angleterre et de la France. Il voudrait rappeler que si l'Angleterre, malgré le quintuplement de sa circulation et le cours, sinon forcé légalement du moins contraint en fait, de billets de Banque et du Trésor, n'a pas vu fléchiren général la livre sterling et n'a pas atteint — loin de là — le niveau de notre propre circulation fiduciaire, nous devons toujours nous souvenir que l'Angleterre est restée énorme exportatrice, notamment de charbon et de fret et aussi d'objets d'armement et de guerre : le tout lui est payé à des prix considérables, ou la constitue créancière vis-à-vis du Continent pour des sommes énormes. Les bénéfices que font ses commerçants ont singulièrement élevé les dépôts dans ses banques et ont facilité les opérations de crédit de l'État. Les gros impôts qu'elle a établis et notamment l'impôt sur les bénéfices de guerre sont en partie payés réellement sous forme de renchérissement des prix, par les acheteurs de produits anglais, notamment par les Etats acquéreurs de ce qui leur est nécessaire pour la guerre, et que leur fournit la Grande-Bretagne restée en pleine possession de ses moyens de production. Ceci n'est pas pour diminuer le mérite des hommes d'Etat anglais et de leur courageuse politique financière, ni pour approuver sur tous les points notre propre politique d'emprunts et d'impôts insuffisants, et notre timidité en fait d'économie des billets de banque. L'orateur a voulu simplement demander que dans la comparaison entre les deux États on tînt toujours compte des faits, il pourrait dire, puisque l'expression a été déjà employée dans la présente discussion, des fatalités économiques.

M. Décamps dit que le différend qui existe entre M. Raffalovich et M. R.-G. Lévy provient d'une différence d'interprétation du mot inflation, et il observe qu'en Angleterre la circulation des billets a passé du simple au quintuple, ce qui est une proportion plus forte qu'en France. Mais si on considère la différence des procédés de payement employés dans les deux pays, on ne peut établir de comparaison. L'orateur montre combien la Banque de France a apporté à la Banque d'Angleterre un précieux appui pour maintenir son étalon d'or et faciliter le change des Alliés aux Etats-Unis. D'autre part, il ne croit pas qu'il soit exact, d'une manière absolue, que l'Angleterre ait maintenu l'étalon d'or.

Abordant la question de la hausse des prix, M. Décamps observe

qu'en réalité, la hausse des prix a été la conséquence de la façon soudaine et non coordonnée dont les achats nécessités par la guerre ont été faits au début des hostilités. Ce phénomène de la hausse des prix a entraîné celui de la hausse des salaires; mais depuis, c'est la hausse des salaires qui a fait la hausse des prix. En terminant, l'orateur dit que dans la période de liquidation on se trouvera en présence de deux tendances opposées, l'une pour la baisse des prix, l'autre pour le maintien des hauts salaires, et de l'existence de ces deux tendances contradictoires pourront résulter des difficultés.

M. Gavazzi, sénateur du royaume d'Italie, se félicite de ce qu'a dit M. R.-Georges Lévy de son pays; il reconnaît que les hommes de finances italiens ont eu l'énergie d'établir des impôts nouveaux; on a taxé tout, jusqu'au savon. On économise beaucoup en Italie; or, actuellement, on tient à économiser pour l'État.

M. Charles Georges-Picot émet l'avis que le chèque ne pouvait être considéré comme un signe monétaire contribuant à l'inflation. M. Raffalovich répond qu'il faut distinguer suivant que la provision existe en espèces ou existe en crédits.

M. René Pupin examine exclusivement l'inflation fiduciaire en France. Il distingue les causes légitimes, sinon normales, des causes illégitimes. Les premières, hausse des prix, versements d'or à la Banque, suppression des affaires à crédit, etc., peuvent justifier une circulation de 17 à 18 milliards. A coté de cela, la thésaurisation peut être responsable d'un excédent de 3 à 4 milliards.

Dans le premier trimestre de 1917, les sommes dépensées en un mois par l'Etat à l'intérieur du pays, mettaient trente-huit jours à rentrer dans ses caisses sous forme de prêts et d'impôts. La cause première de l'inflation a été l'invasion du début de la guerre, privant la France d'une faculté contributive de 10 milliards, en l'absence de laquelle, il a fallu recourir largement à la Banque.

A cette situation, on n'aperçoit pas de remède décisif, d'autant, que la «compensation », bien que largement pratiquée par l'Etat, depuis un an, demeure inopérante. Mais il doit y avoir des mesures capables d'atténuer les développements ultérieurs de l'inflation fiduciaire et l'on peut citer les suivantes: accroissement des impôts, propagande incessante contre la thésaurisation des billets, politique de stricte économie et emprunt semestriel, de préférence à l'emprunt annuel qui laisse s'échapper des capitaux frais.

M. Yves-Guyot.

La définition de l'inflation a été donnée par

M. Arthur Raffalovich. Il ne faut pas la confondre avec l'abondance et la puissance des moyens de payement. On ne dit pas qu'il y a inflation de traites ou d'effets de commerce les chèques ne créent pas de l'inflation si les clearing houses créaient de l'inflation, elle aurait écrasé la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. La puissance des moyens de liquidation des transactions sur les valeurs et les marchandises ne produit pas l'inflation. Il y a, au contraire, inflation des signes monétaires quand ils ne sont pas le résultat de transactions, quand ils sont émis sans les avoir pour base. Il peut même y avoir inflation d'or quand il se substitue aux échanges de marchandises et de valeurs, ce qui est arrivé pour les Etats Unis avant qu'ils ne soient entrés dans la guerre. Leurs économistes et financiers étaient inquiets de voir gonfler un trésor d'or inerte, comme ils auraient pu être inquiets de voir grossir un stock de matières premières inutiles ou de marchandises sans débouchés 1.

La question des signes monétaires obéit à la loi de la moindre consommation des capitaux circulants par le perfectionnement des moyens de production. La circulation d'un pays est d'autant plus perfectionnée que l'usage des signes monétaires y est plus restreint, relativement au chiffre des affaires.

M. Raphael-Georges Lévy s'est demandé si l'inflation était une conséquence de la guerre. C'est une question de fait. Les Etats-Unis ne sont pas au régime de l'inflation. L'inflation des divers pays belligérants n'est pas d'un niveau uniforme. Mais il y a de l'inflation dans le Royaume-Uni : toutefois elle est relativement faible. Le gouvernement anglais a évité d'emprunter à la Banque d'Angleterre en provoquant un afflux de banknotes. L'Angleterre a pu maintenir son change au pair avec les Etats-Unis et nous en faire profiter.

La multiplication des signes monétaires dont la valeur ne repoṣe que sur le crédit que fait le public à celui qui les émet, voilà la véritable inflation, et voilà le danger des emprunts de l'Etat aux banques d'émission. Il demande à leur crédit de soutenir le sien. Pour éviter ce procédé dangereux, l'état doit s'adresser au public par des emprunts directs.

Les dangers de l'inflation se feront sentir surtout au moment de la liquidation de la guerre. Quelque étroits que soient, en ce moment, les liens des Alliés entre eux, ils se relâcheront au lendemain de la paix. L'Angleterre ne continuera pas ses avances aux Al iés et ne maintiendra pas leur crédit au niveau du sien. En 1871, l'Etat remboursa sa dette à la Banque de la France en quatre ans. La Banque a

1. V. Journal des Economistes, les Lendemains de la paix, mai 1916. Citation de M. H. J. Davenport, p. 204.

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