Imágenes de páginas
PDF
EPUB

familiarisée avec cette harmonie, est sujette à s'en lasser. Pour soutenir l'attention de l'auditeur ou du lecteur, et conserver la force et la vivacité de la composition, il est indispensable de varier fréquemment sa marche ou sa mesure; et ceci n'est pas seulement relatif à la cadence d'une période, mais à la distribution de ses membres. On doit éviter de donner à plusieurs sentences qui se suivent immédiatement, la même construction ou des repos placés à des distances trop égales. Pour donner de l'action au discours, il faut l'entremêler de sentences de différentes longueurs; elles ne doivent pas être toutes également sonores; des dissonnances placées à propos, une cadence rompue et irrégulière, produisent quelquefois un très-bon effet. Les écrivains qui recherchent trop les constructions harmonieuses, sont sujets à tomber dans la monotonie. Avec une oreille médiocrement délicate, on saisira facilement une construction sonore ; mais si on suit cet arrangement pour toutes les phrases, il paroîtra bientôt excessivement fastidieux au lecteur. Pour varier convenablement les tours de phrases et leur harmonie, il faut avoir l'oreille fine et juste; aussi les auteurs qui possèdent ce talent sont-ils en très-petit nombre.

Quoiqu'on ne doive point négliger l'har

monie des sentences, il est important de n'en pas faire un objet principal, et de ne jamais sacrifier au son la clarté, la précision, ni la force. Tous les mots insignifians qui ne servent qu'à arrondir une période, et que Cicéron nomme complementa numerorum, sont des défauts dans toutes les compositions. Lorsque le sens d'une période est exprimé avec la clarté et la dignité qui conviennent au sujet, l'oreille est presque toujours satisfaite; il faut, du moins, fort peu d'attention pour donner à une période de cette espèce une cadence ou un son agréable, et le trop de soin ne tend quelquefois qu'à la rendre foible et languissante. Après avoir longuement disserté sur la cadence de la prose, Quintilien conclut, avec son bon sens ordinaire, de la manière suivante: In universum, si sit necesse, duram potius atque asperam compositionem malim esse, quam effeminatam ac enervem, qualis apud multos. Ideòque vincta quædam de industria sunt solvenda, ne laborata videantur; neque ullum idoneum aut aptum verbum prætermittamus gratiâ lenitatis (1) ». Lib. IX, c. 4.

(1) Tout considéré, j'aimerois mieux que le style

Parmi les anciens auteurs, Cicéron est, comme je l'ai déjà observé, un de ceux qui se sont le plus distingués par l'harmonie du style. Son goût, à cet égard, est toutefois un peu trop visible, et il arrive quelquefois que la pompe nuit à la force de son discours. Sa conclusion favorite, esse videatur, est répétée onze fois dans son oraison pro lege Manilid, et l'a fait justement censurer par les critiques de son temps. Mais il faut convenir que dans le style de ce grand orateur, l'harmonie a toujours l'air de l'aisance et de la facilité; et si il en faisoit une étude, il paroît au moins qu'elle n'exigeoit de lui que fort peu

d'attention.

Nos classiques anglais, en général, se sont médiocrement distingués par l'harmonie du style. Milton a composé en prose quelques ouvrages dont les périodes sont très-bien cons

d'une composition parût dur à l'oreille, que foible et énervé, comme celui de certains auteurs. Il conviendroit donc de construire plus simplement une `partie des phrases qu'on a travaillées avec tant d'attention pour leur mélodie. On doit principalement se garder de jamais sacrifier le mot propre à la douceur d'une période. Quintilien.

truites; mais les écrivains de son siècle portoient la licence des inversions à un point qui ne paroîtroit pas aujourd'hui compatible avec la pureté du style; et quoique cette méthode rendît quelquefois leurs sentences plus sonores et plus majestueuses, elles avoient le défaut de trop faire sentir l'imitation des constructions latines. Parmi nos écrivains plus modernes, le lord Shaftsbury a le style le plus correct. La délicatesse de son oreille lui a fait soigner l'harmonie de ses constructions, et il a eu l'art d'éviter la monotonie dans laquelle les écrivains sont sujets à tomber, lorsqu'ils sacrifient trop aux grâces du son. L'arrangement de ses périodes est diversifié avec beaucoup d'intelligence. Le style de M. Addisson n'est pas moins harmonieux; il est plus doux, plus facile, mais moins varié que celui du lord. Le chevalier Temple est, en général, agréable et coulant, L'archevêque Tillotson est trop sujet aux négligences, et fort inférieur à l'évêque Atterbury, pour l'harmonie des sentences. Swift, dans l'arrangement deses périodes, paroît avoir totalement dédaigné le soin de l'harmonie.

Jusqu'ici nous nous sommes occupés de la beauté des sons ou de l'harmonie en général, Il nous reste à traiter d'un genre de beauté su→

[ocr errors]

périeure, ou de la mélodie des sons adaptés à un sens. La sorte d'harmonie dont nous avons parlé n'est qu'un accompagnement qui flatte l'oreille. Celle-ci suppose une expression particulière donnée à la mélodie. On peut en distinguer deux différens degrés : le premier consiste dans une suite de sons adaptés à la teneur du discours; et l'autre, à produire la ressemblance d'un objet, au moyen des sons dont on se sert pour le décrire.

Je dis d'abord qu'on peut adopter une suite de sons à la teneur du discours. Les sons ont avec nos idées une correspondance fondée en partie sur la nature, et en partie sur l'association des idées. Toute espèce de modulation, ou de son suivi, donne au style un caractère et une expression de même espèce. Des sentences pleines et sonores, à la manière de Cicéron, présentent à l'imagination l'idée d'importance, de sagesse et de magnificence, parce que tel est le ton naturel à ces sentimens. Mais cette harmonie ne conviendroit point pour l'expression d'une passion violente, de vifs 'débats, ou d'une adresse familière. Il faut ici une cadence plus vive, plus simple, et souvent plus précipitée. C'est donc une règle essentielle dans l'art oratoire, d'enfier ou de diminuer,

« AnteriorContinuar »