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cer; de façon que par nécessité et par choix Jes tropes abondent dans leur parler. L'imagination des peuples sauvages est presque toujours agitée; chaque objet nouveau les frappe de terreur ou de surprise, et fait dans leur esprit une impression profonde. La raison n'exerce sur eux que foiblement son empire; c'est toujours l'imagination ou la passion qui les conduit, et leur génie doit imprimer fortement sur leur parler, son caractère. Aussi trouvons-nous cette empreinte dans le langage des Tribus de l'Amérique et des Indes. Il est rempli de métaphores et d'allusions à des qualités physiques, et aux objets dont ces peuples ont été plus frappés dans leur vie sauvage et solitaire. L'auteur européen qui compose un poëme épique, emploie moins de métaphores. et de moins hardies, qu'un chef indien pour haranguer sa tribu.

A mesure que le langage se perfectionne, on invente des noms pour distinguer tous les objets; on s'attache de plus en plus à la clarté et à la précision du discours. Mais par les raisons que je viens de présenter, les mots d'emprunt, que les rhétoriciens nomment des tropes, continuent à être d'un fréquent usage; et dans toutes les langues, il y en a un grand nombre,

dont l'application à certains objets, après avoir été long-temps considérée comme une figure, passe aujourd'hui pour le nom propre, au moyen de l'usage général. Par exemple, le mot chef, qui signifioit jadis la tête, a perdu presque totalement cette première acception, et dans le sens figuré, il est devenu le mot propre; un chef de parti, un chef de bureau, un chef de cuisine, un chef de ligne, etc. D'autres mots, sans perdre leur première acception, sont devenus des expressions littérales dans l'acception figurée ou secondaire; comme des cris perçans, une tête froide, un cœur dur, etc. D'autres sont restés, en quelque sorte, dans un état mitoyen; leur application, quoique figurée, ne le paroît plus au point de faire cette sensation dans le style ou dans le parler; telles sont ces phrases: saisir le sens d'un discours, entamer un sujet, suivre ou pousser un argument, élever une dispute, etc. On pourroit en citer une infinité d'autres.

Ces observations serviront à répandre la lumière sur la nature des langues en général, et à nous indiquer pourquoi les tropes et les figures contribuent aux grâces du style et à sa beauté. Ils enrichissent la langue en la rendant plus abondante. Ils multiplient les mots, les

phrases, et l'expression de toutes les idées. Ils servent à décrire les plus minutieuses différences, et les nuances de la pensée, qu'aucune langue ne pourroit exprimer sans le secours des trope/

Ils conservent aussi au style la dignité dont les mots d'un usage ordinaire avec lesquels notre oreille est trop familiarisée, tendent à le dépouiller. Il seroit difficile de donner au discours le ton convenable à un sujet élevé, si nous n'avions pas le secours des figures. Lorsqu'on les emploie à propos, elles produisent sur le style, l'effet d'une riche parure qui donne l'air de magnificence et fait respecter celui qui la porte. Cette ressource est souvent nécessaire à la prose; mais sans elle la poësie ne pourroit pas subsister. Dire que tous les hommes sont également sujets à la mort, est une idée triviale, parce qu'elle est universellement connue. Mais elle devient majestueuse sous les pinceaux d'Horace :

<< Pallida mors æquo pulsat pede pauperum tabernas » Regumque turres. »

On connoît la traduction française

La mort a des rigueurs à nulle autre pareille,
On a beau la prier,

La cruelle qu'elle est, se bouche les oreilles

Et nous laisse crier.

Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre,
Est sujet à ses lois;

Et la garde qui veille aux barrières du Louvre,
N'en défend pas nos rois.

Ou,

Omnes eodem cogimur; omnium,
Versatur urna, serius ocius.

Sors exitura, et nos in eternum
Exilium impositura cimbo.

Les figures nous procurent le plaisir de contempler, sans confusion, deux objets qui se présentent ensemble; la principale idée qui fait le sujet du discours, et l'expression figurée qui lui sert d'accessoire ou d'ornement. Nous les voyons, comme le dit Aristote, l'un dans l'autre, et cet apperçu flatte l'imagination; car rien ne lui plaît autant que la ressemblance des objets ou les comparaisons; et tous les tropes sont fondés sur une relation ou une analogie entre deux choses. Lorsque, par exemple, au lieu de dire la jeunesse, je dis le printemps de la vie, l'imagination frappée de la similitude des circonstances entre ces deux objets, conçoit au même instant l'idée d'une saison de l'année et

celle d'une portion de la vie, qu'elle compare sans embarras et sans confusion.

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Enfin, les figures ont encore l'avantage de rendre souvent le principal objet plus frappant qu'on auroit pu le faire avec des expressions communes et sans le secours de l'idée accessoire. C'est en quoi consiste, à la vérité, leur plus grand mérite, et ce qui a fait dire, avec raison, qu'elles rendent les objets plus saillans, ou qu'elles y répandent la lumière; elles peignent, en effet, sous des couleurs très-vives l'objet pour lequel on les emploie ; d'une conception abstraite, elles font, en quelque sorte, un objet sensible ;'elles y ajoutent des circonstances qui aident l'esprit à s'en saisir, et à en faire l'examen complet. Le passage suivant du docteur Young en offre un exemple.

...« Lorsque nous puisons trop profondément » dans le plaisir, nous retirons toujours une » partie du sédiment qui le rend impur et >> nuisible». Ou celui-ci : « Un cœur enflammé >> de passions violentes, exhale toujours des » fumées qui portent à la tête ». L'analogie des deux idées que cette image présente, donne à l'assertion de l'auteur, plus de force et d'évidence.

Soit que nous veuillions exciter le sentiment

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