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delà de l'Eubée, qui est, comme nous le savons, fort éloignée de nous. Quelques-uns de nós pilotes y ont déjà pénétré, et conduit Rhadamanthe, lorsqu'il alla visiter Titye, le fils de la Terre. Ils le menèrent, et, malgré cette longue distance, en revinrent le même jour.

venu, et si c'est de l'orient ou de l'occident; il nous conjure de lui fournir les secours et les moyens de retourner dans sa patrie. Ne nous démentons point en cette occasion: jamais nous n'avons fait soupirer longtemps après leur retour aucun de ceux qui ont abordé dans notre île. Qu'on mette donc en mer un de nos meilleurs vaisseaux, et choisissons promptement parmi le peuple cinquante-deux jeunes gens des plus habiles à manier la rame; qu'ils préparent tout, et qu'ils viennent ensuite dans mon palais pour

Vous connaîtrez vous-même de quelle bonté sont nos vaisseaux, et avec quelle adresse nos jeunes Phéaciens frappent la mer de leurs rames. Ainsi parla Alcinoüs. La joie se répandit dans le cœur d'Ulysse, et, s'adressant à Jupiter, il s'écria: Oy manger, et se disposer à partir : je fournirai toudieu! si Alcinous accomplit ce qu'il promet, sa gloire sera immortelle, et moi je reverrai ma patrie.

Vers la fin de ce doux et paisible entretien, Areté commanda à ses femmes de dresser un lit sous le beau portique du palais, de le garnir de belles étoffes de pourpre, d'étendre dessus et dessous des peaux et des couvertures très-fines. Elles sortent aussitôt, tenant à la main des flambeaux allumés; et quand tout fut arrangé, elles vinrent en avertir Ulysse. Il se retira, les suivit sous le superbe portique, où tout était préparé pour le recevoir.

Alcinous le quitte aussi, pour aller se reposer auprès d'Areté, dans l'appartement le plus reculé de son palais.

LIVRE VIII.

Lorsque l'aurore parut, Alcinoüs et Ulysse se levèrent, et tous deux ils sortirent pour se rendre au lieu de l'assemblée qu'on devait tenir devant les vaisseaux. Quand ils y furent arrivés avec les Phéaciens, on s'assit sur des siéges de pierre bien polie. Minerve prit alors la figure d'un des hérauts d'Alcinoüs; elle alla par la ville, et, pour disposer le retour d'Ulysse, s'approchant des principaux Phéaciens, elle leur disait : Hâtez-vous, venez au conseil, écoutez-y les prières de cet étranger qui arriva hier au palais du roi : il a longtemps erré sur les flots de la mer, et je trouve qu'il ressemble aux immortels. Par ces paroles, Minerve les excite, et leur inspire de la diligence et de l'intérêt. La place et les siéges sont bientôt remplis : tout le monde regarde avec étonnement le prudent fils de Laërte. Pallas lui avait donné une grâce toute divine: elle le faisait paraître plus grand et plus fort, afin que par sa taille et par son air il attirât l'estime et l'attention des Phéaciens, et pour qu'il réussît dans les jeux militaires qu'on devait lui proposer pour éprouver sa vigueur et son adresse.

Lorsque tout le monde fut placé, Alcinoüs prit la parole, et dit : Écoutez-moi, chefs des Phéaciens : Je ne connais point cet étranger; j'ignore d'où il est

tes les provisions nécessaires.

Pour vous, qui êtes les plus considérables des Phéaciens, venez m'aider à traiter honorablement ce nouvel hôte. Que personne ne s'en dispense, et qu'on appelle Démodocus, cet excellent musicien, qui a reçu du ciel une voix si mélodieuse, et qui charme tous ceux qui l'entendent. En finissant ces mots, le roi se lève, et marche le premier; les autres le suivent. Un héraut va prendre Démodocus. Les cinquante-deux hommes choisis se rendent aussitôt sur le rivage, lancent à l'eau un excellent vaisseau, dressent le mât, y attachent des voiles, rangent les rames, et les lient avec des nœuds de cuir. Quand tout fut prêt, ils se rendirent au palais d'Alcinoüs. Les portiques, les cours, les salles furent bientôt remplis. Le roi fit égorger deux moutons, huit cochons et deux bœufs. On les dépouilla, et le festin fut promptement préparé. Le héraut amène Démodocus : il était aveugle; mais les Muses, qui le chérissaient, lui avaient donné une voix délicieuse. Pontonous le place sur un siége d'argent, au milieu des conviés, et il l'appuie contre une colonne élevée, à laquelle il attache sa lyre au-dessus de sa tête, en lui montrant comment il la pourrait la prendre au besoin. Il met devant lui une table, couvre de viandes, et pose dessus une coupe remplie de vin, afin que Démodocus pût boire quand il voudrait. Les conviés profitent de la bonne chère; et quand ils furent rassasiés, les Muses inspirèrent à leur favori de chanter les aventures et la gloire des héros les plus célèbres. Il commença par un événement qui avait mérité l'attention des dieux mê-ˆ mes: c'est la querelle fameuse survenue entre Achille et Ulysse dans le festin d'un sacrifice sous le rempart de Troie. Agamemnon paraissait ravi que les chefs des Grecs fussent divisés. Apollon le lui avait prédit, lorsque, prévoyant les malheurs qui menaçaient la Grèce et les Troyens, il se rendit dans le superbe temple de Python, pour y consulter l'oracle.

Démodocus ravit de joie et d'admiration tous les assistants. Ulysse, attendri, prit son manteau, l'ap

Après ces premiers essais, Laodamas prit la parole, et leur dit : Mes amis, demandons à cet étranger s'il ne s'est point appliqué à quelques-uns de nos exercices. Il est très-bien fait; ses jambes, ses cuisses, ses mains, ses épaules marquent une grande vigueur. Il ne manque point de jeunesse, mais peutêtre est-il affaibli par les grandes fatigues qu'il a essuyées. Les travaux de la mer sont, à ce que je pense, ce qui épuise le plus un homme, quelque robuste qu'il puisse être.

Vous avez raison, répond Euryale à Laodamas; j'approuve fort la pensée qui vous est venue. Allez donc, provoquez vous-même votre hôte. A ces mots, le brave fils d'Alcinoüs s'élance au milieu de l'assemblée, et parle à Ulysse en ces termes : Venez, généreux étranger, et entrez en lice si vous savez quelques-uns de nos jeux, et vous paraissez les savoir tous. Pour moi, je ne vois rien de plus glorieux pour un homme que de réussir dans les exercices du corps. Venez donc vous éprouver contre nous. Éloignez la tristesse de votre esprit, vo

procha de son visage, et se cacha pour que les Phéaciens ne le vissent pas répandre des larmes. Dès que Démodocus cessait de chanter, Ulysse essuyait ses yeux, se découvrait le visage, prenait une coupe, et faisait des libations aux dieux immortels. Mais lorsque les Phéaciens, charmés d'entendre ce chantre divin, le pressaient de recommencer, Ulysse recommençait aussi à répandre des larmes, et s'efforçait de les cacher. Aucun des conviés ne les remarqua, à l'exception d'Alcinoüs, qui avait fait asseoir son hôte à côté de lui. Les soupirs qui lui échappaient l'avaient pénétré; et pour les faire cesser, s'adressant aux convives, il leur dit : Je crois, chers Phéaciens, que vous ne voulez plus manger, et que vous avez assez entendu de musique, qui est cependant l'accompagnement le plus agréable des festins. Sortons donc de table; montrons à cet étranger notre adresse dans les jeux et les exercices, afin que de retour dans sa patrie, il puisse raconter à ses amis combien nous surpassons les autres nations dans les combats du ceste, à la lutte, à la course et à la danse. Il se lève en même temps, il sort de son palaistre départ ne sera pas longtemps différé. On a déjà les Phéaciens le suivent. Pontonous suspend à une colonne la lyre de Démodocus, le prend par la main, le conduit hors de la salle du festin, et le mène par le chemin que tenaient les Phéaciens pour aller voir et admirer les exercices qu'on venait d'annoncer. Ils arrivèrent dans une place immense, une foule innombrable de peuple s'y était déjà rassemblée, Plusieurs jeunes gens alertes et très-bien faits se présentent pour disputer le prix.

lancé à l'eau le vaisseau qui doit vous porter, et vos rameurs sont tout prêts.

Le prudent Ulysse lui répondit: Laodamas, pourquoi vous moquez-vous de moi en me faisant cette proposition? Je suis bien plus occupé de mes maux que de vos combats. Quel souvenir amer et désolant que celui de tout ce que j'ai souffert! je ne parais ici que pour solliciter le secours dont j'ai besoin pour m'en retourner. Que le roi, que le peuple exauce mes vœux, et je n'ai plus rien à désirer.

Euryale réplique inconsidérément : Vous ne vous êtes donc pas formé à ces combats établis chez toutes les nations célèbres? N'auriez-vous passé votre vie qu'à courir les mers pour trafiquer ou pour piller? N'auriez-vous commandé qu'à des matelots, et

dises et de profits? Vous n'avez effectivement pas l'air et le ton d'un athlète ou d'un guerrier.

C'étaient Acronée, Euryale, Élatrée, Nautès, Prumnès, Anchiale, fils du constructeur Polynée, Cretmès, Pontès, Procès, Thoon, Anabesinès, Amphiale semblable au dieu terrible de la guerre, et Naubolide, qui, après le prince Laodomas, surpassait tous les Phéaciens en force et en beauté. Les trois fils d'Alcinoüs se présentèrent aussi, Laoda-songé qu'à tenir registre de provisions, de marchanmas, Halius et le divin Clytonée. Voilà ceux qui se levèrent pour la course. On leur désigna la carrière qu'il fallait parcourir. Ils partent tous en même temps, ils volent, et font lever en courant des nuages de poussière qui les dérobent presque aux yeux des spectateurs. Mais Clytonée, plus agile qu'eux, les devance, et les laisse tout aussi loin derrière lui que de fortes mules, traçant des sillons dans un champ, laissent derrière elles des bœufs pesants et tardifs.

Après la course, on vint au pénible exercice de la lutte. Euryale obtint la palm. Amphiale fit admirer à ses concurrents mêmes sa grâce et sa légèreté à la danse; Élatrée remporta le prix du disque, et Laodamas celui du ceste.

Ulysse, le regardant avec des yeux pleins d'indignation, lui dit: Jeune homme, vous vous oubliez : quel propos vous osez me tenir sans me connaître ! Nous ne le voyons que trop, les dieux partagent et divisent leurs faveurs. Il est rare qu'on trouve rassemblés dans un seul homme la bonne mine, le bon esprit et l'art de bien parler. L'un manque de beauté, mais les dieux l'en dédommagent par le talent de la parole; il se distingue et se fait admirer par son éloquence; il parle avec assurance; il ne lui échappe rien qui l'expose au repentir; il s'exprime avec une douceur et une modestie qui entraînent et persuadent la multitude; il est l'oracle des assemblées, et,

dès qu'il paraît, on ie suit comme une divinité. Un autre a la beauté des immortels, mais les grâces ne sont pas répandues sur ses lèvres. N'en êtes-vous pas une preuve ? Vous êtes parfaitement bien fait, et je ne vois pas ce que les dieux mêmes pourraient ajouter à vos avantages extérieurs. Mais vous manquez de discrétion, vous parlez légèrement, et je n'ai pu vous entendre sans colère. Non, je ne suis point ce que vous pensez, et les exercices que vous estimez tant ne me sont point étrangers. J'y excellais même dans ma jeunesse. L'âge et les revers, les fatigues de la mer et d'une longue guerre que j'ai soutenue, car il y a longtemps que le malheur me poursuit, ont épuisé mes forces. Cependant, quelque affaibli que je sois, je veux entrer en lice; vos reproches m'ont vivement piqué; ils ont réveillé mon courage. Il dit; et s'avançant brusquement, sans se débarrasser même de son manteau, il prend un disque beaucoup plus grand, plus épais et plus pesant que ceux dont se servaient les Phéaciens : après lui avoir fait faire plusieurs tours avec le bras, il le pousse d'une main si forte, que la pierre siffle en fendant les airs, et que plusieurs Phéaciens tombèrent, étonnés de l'effort avec lequel elle fut jetée. Le disque ainsi poussé passe de très-loin les marques de ses rivaux. Minerve, sous la figure d'un homme, désigne elle-même l'endroit où le disque s'arrête, et s'écrie avec admiration qu'un aveugle le distinguerait sans peine en tâtonnant, tant il est éloigné de tous les autres. Prenez courage, ajoute la déesse; personne ici n'ira aussi loin, personne ne pourra vous surpasser. Ulysse est étonné et ravi de trouver quelqu'un dans l'as-tez-moi, je vous en prie, afin qu'un jour, retiré semblée qui le favorise si hautement. Il se radoucit, et dit aux Phéaciens avec une modeste hardiesse Que les plus jeunes et les plus robustes d'entre vous atteignent ce disque, s'ils le peuvent; je vais en lancer un autre aussi pesant, et beaucoup plus loin, à ce que j'espère. Pour ce qui est des autres exercices, puisque vous m'avez défié, je consens à éprouver mes forces contre le premier qui osera me le disputer, soit au ceste, soit à la lutte ou à la course; je ne refuse personne, excepté Laodamas. Il est mon hôte; et qui voudrait combattre contre un prince dont il a été si humainement traité? il n'y a qu'un insensé, un homme dépourvu de tout sentiment, qui pût se permettre de disputer le prix des jeux, dans un pays étranger, à celui même qui l'a accueilli avec bonté : ce serait la méconnaître, et agir contre ses propres intérêts. Mais pour les autres braves Phéaciens, je ne refuse ni ne dédaigne aucun de ceux qui voudront

| éprouver mon adresse. Je puis dire que je n'en manque pas à ces sortes de jeux. Je sais aussi me servir de l'arc; j'ai souvent frappé au milieu de mes ennemis celui que je choisissais, quoiqu'il fût environné de compagnons d'armes tenant leur arc bandé contre moi. Le seul Philoctète me surpassait quand nous nous exercions sous les murs de Troie; mais je crois l'emporter sur tous les autres hommes qui sont aujourd'hui sur la terre, et qui se nourrissent des dons de Cérès. Je ne prétends pas, au reste, m'égaler aux héros qui existaient avant nous, tels qu'étaient Hercule et Eurytus d'OEchalie. Ils le cédaient à peine aux dieux mêmes. Eurytus fut puni de cette arrogante présomption, et ne parvint point à un âge avancé; car Apollon, irrité de ce qu'il avait eu l'audace de le défier, lui ôta la vie. Je lance une pique plus loin qu'un autre ne darde une flèche. Je craindrais seulement que quelqu'un de vous ne me surpassât à la course, car je n'ai plus de forces; je les ai consumées à lutter pendant plusieurs jours contre les flots et contre la faim, après que mon vaisseau a été brisé par la tempête.

Ainsi parla Ulysse : personne n'osa lui rien répliquer. Le seul Alcinoüs, prenant la parole, lui dit: Cher étranger, rien de plus convenable que ce que vous venez de dire. Nous ne vous blâmons point ni de la sensibilité que vous témoignez pour les reproches si déplacés d'Euryale, ni de la proposition que vous nous faites d'essayer vos forces et votre adresse contre nous. Peut-on, sans être injuste, méconnaître votre mérite et vos talents? Mais écou

dans vos États, et conversant à table avec votre femme, vos enfants, et les hôtes que vous y admettrez, vous puissiez leur raconter ce que vous avez vu chez les Phéaciens, la vie qu'ils mènent, leurs occupations, leurs amusements, et les exercices dans lesquels ils ont constamment excellé. Nous ne sommes pas les meilleurs lutteurs du monde, ni ceux qui se servent le mieux du ceste; mais nul peuple ne court ni n'entend la navigation comme nous. Nous aimons les festins, la musique et la danse nous prenons plaisir à changer souvent d'habits, à prendre le bain chaud; nous sommes jaloux de tout ce qui rend la vie agréable et commode.

Allons donc, jeunes Phéaciens, vous surtout qui vous distinguez dans la danse, montrez à cet illustre étranger tout ce que vous savez, afin qu'à son retour il apprenne aussi à ses amis combien nous surpassons les autres peuples à la course, à la

danse, dans la musique, et dans l'art de conduire | noüs : Vous aviez grande raison de me promettre d'excellents danseurs : vous tenez bien votre parole. Je ne puis vous exprimer le plaisir qu'ils me font et l'admiration qu'ils me causent.

des vaisseaux. Que quelqu'un aille promptement chercher la lyre de Démodocus, qu'on a laissée suspendue à une colonne dans mon palais.

Ainsi parla le divin Alcinoüs: un héraut se détache aussitôt pour aller prendre cet instrument. Neuf juges furent choisis au sort pour présider aux jeux et régler tout ce qui était nécessaire. Ils se pressent de faire aplanir le lieu où l'on devait danser. Le héraut arrive; il donne la lyre à Démodocus, qui se place dans le centre. Les jeunes gens se rangent autour de lui; ils commencent, ils frappent la terre de leur pied léger. Ulysse les regarde en applaudissant à l'agilité, à la justesse de leurs mouvements. Démodocus chantait sur sa lyre les amours de Mars et de Vénus, le début de cette intrigue, les présents que le dieu de la guerre fit à la déesse de la beauté, l'accueil qu'elle lui fit. Phébus en fut témoin, il en avertit Vulcain. A cette nouvelle le dieu vole dans son atelier; il redresse son enclume, et, pour se venger, il forge des filets qu'on ne pouvait ni rompre ni relâcher. Sa fureur contre Mars lui fait imaginer cette espèce de piége. Quand il l'eut mis en état de servir son ressentiment, il entre dans son appartement, il l'entoure de ces liens indissolubles : ils étaient comme des fils de toiles d'araignée; nul homme, nul dieu même ne pouvait les apercevoir, tant le travail en était fin et délicat. Vulcain, après avoir dressé le piége où devaient se prendre les deux amants, annonça qu'il partait pour Lemnos, qu'il préfère à toutes autres contrées où on l'honore. Mars, qui l'épiait, crut légèrement qu'il s'absentait, et court aussitôt chez la belle Cythérée.... Les mauvaises actions sont rarement impunies, s'écria un des dieux présents à cette honteuse scène. La lenteur a surpassé la vitesse : le tardif Vulcain a attrapé Mars, le plus léger de tous les dieux.... Démodocus chantait toutes ces aventures. Ulysse et les Phéaciens étaient ravis de l'entendre. Alcinous commanda à ses deux fils, Halius et Laodamas, de danser seuls; car nul autre n'osait se mesurer à ces deux princes. Pour montrer leur adresse, ils se saisissent d'abord d'un ballon couleur de pourpre, brodé par les mains habiles de Polybe. L'un d'eux, se pliant et se renversant en arrière, le pousse jusqu'aux nues; l'autre le reprend en sautant, et le repousse avant qu'il tombe à leurs pieds. Après s'être ainsi essayés, ils se mirent à danser avec une gråce et une justesse merveilleuse. Les jeunes gens qui étaient debout autour de l'enceinte battaient des mains, et tout retentissait de leurs applaudissements. Alors Ulysse dit à Alci

Alcinous parut touché de cet éloge; et, s'adressant aux Phéaciens, il leur dit : Cet étranger me semble un homme sage et d'une rare prudence; faisons-lui, selon l'usage pratiqué pour les hôtes d'un grand mérite, faisons-lui des présents convenables. Vous êtes ici douze princes de la nation, qui la gouvernez sous moi, qui suis le treizième. Que chacun de nous lui offre un manteau, une tunique bien lavée et un talent d'or. Apportons-les au plus vite afin que, touché de notre générosité, ce soir il se mette à table avec plus de joie. J'exhorte aussi Euryale à l'apaiser par des excuses et par des présents, car il a manqué à la justice et aux égards qu'il lui devait.

Il dit tous les princes approuvent Alcinous, et chacun d'eux commande aussitôt à son héraut d'aller prendre les présents. Euryale lui-même, s'adressant à Alcinoüs, promet de donner à Ulysse la satisfaction qu'on exige. Il lui présente une épée d'un acier très-fin, dont la poignée est d'argent, et le fourreau couvert d'un ivoire merveilleusement travaillé. J'espère, dit-il à Ulysse, que vous ne trouverez pas cette arme indigne de vous acceptez-la, ô mon père! et s'il m'est échappé quelques reproches que vous ne méritez pas, que les vents les emportent, et qu'ils sortent pour toujours de votre mémoire. Fassent les dieux que vous ayez bientôt la consolation de revoir votre femme et votre patrie! N'y a-t-il pas assez longtemps que le malheur vous persécute, et vous tient éloigné de tout ce qui vous aime? Cher Euryale, repartit Ulysse, je prie les dieux de vous combler de joie et de prospérité. Puissiez-vous ne sentir jamais le besoin de cette épée! Tout ce que vous m'avez dit est réparé par le don magnifique que vous me faites, et par les douces paroles qui l'accompagnent. En achevant ces mots, le roi d'Ithaque met à son côté cette riche épée. Le soleil allait se coucher: les autres présents arrivent, portés par des hérauts. On les dépose aux pieds d'Alcinous; ses enfants les prennent, et les portent eux-mêmes chez la reine. Le roi marchait à leur tête. Lorsqu'ils furent arrivés dans l'appartement d'Areté, et qu'on eut placé et fait asseoir les chefs des Phéaciens, Alcinous dit à la reine Ma femme, faites apporter ici la plus belle de mes cassettes, mettez-y un beau manteau et une tunique neuve. Ordonnez à vos esclaves de faire chauffer de l'eau; il faut faire baigner notre hôte, étaler ensuite et ranger pro

prement nos présents. J'espère que ce beau coup d'œil lui donnera une joie secrète, et le préparera à goûter mieux le plaisir de la table et de la musique. Pour moi, je le prie d'accepter une belle coupe d'or, afin qu'il se souvienne de moi, et qu'il fasse tous les jours des libations à Jupiter et aux autres dieux.

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raut, prend la meilleure partie du morceau qu'on lui avait servi par honneur, et le charge de le porter de sa part à Démodocus, et de lui dire que la tristesse qui flétrit son âme ne le rend point insensible à ses chants divins. Les chantres comme lui, ajoute Ulysse, doivent être chéris et honorés de tous les hommes. Ce sont les Muses qui les inspirent, et ils en sont

La reine commande aussitôt à ses femmes de les principaux favoris. mettre un trépied sur le feu elles obéissent, portent un grand vaisseau d'airain, le remplissent d'eau, mettent dessous beaucoup de bois. Dans un moment la flamme s'élève, et l'eau commence à frémir.

Cependant Areté se fait apporter une belle cassette pour Ulysse : elle y dépose les habits, l'or, tous les présents des Phéaciens; elle y ajoute pour ellemême une tunique et un manteau magnifique. Quand tout fut rangé avec beaucoup d'ordre, la reine lui dit : Considérez tout ce que cette cassette renferme, mettez-y votre sceau, afin que dans le voyage on n'en dérobe rien pendant que vous dormirez dans votre vaisseau.

Le fils de Laërte, après avoir admiré tous ces riches présents, après en avoir marqué sa reconnaissance, baisse le couvercle de la cassette, et la scelle d'un nœud merveilleux dont Circé lui avait donné le secret. On l'avertit ensuite d'entrer dans le bain; il le trouve chaud : il en paraît ravi, car il n'en avait point usé depuis qu'il était sorti de la grotte de Calypso. Alcinous ne lui laisse rien à désirer, et après que les femmes d'Areté l'ont fait baigner, après qu'elles lui ont prodigué les parfums les plus exquis, elles lui jettent de magnifiques habits. Ulysse quitte la salle des bains, et se rend dans celle des festins. Nausicaa, dont la beauté égalait celle des déesses mêmes, était à l'entrée de la salle. Dès qu'elle apercut Ulysse, elle fut frappée d'étonnement, et lui dit: Étranger, je vous salue. Quand vous serez arrivé dans votre patrie, ne m'oubliez pas; car je suis la première qui vous ai secouru, et c'est à moi que vous devez la vie.

Il dit, et le héraut s'acquitte de sa commission. Démodocus est touché de cette attention. Les convives se livrent au plaisir de la bonne chère; et quand | l'abondance eut chassé la faim, Ulysse adresse la parole à Démodocus. Il n'y a point d'hommes, lui dit-il, qui méritent plus de louanges que vous. Vous êtes instruit par les Muses, ou plutôt par Apollon luimême. Quand vous auriez été au siége de Troie, quand du moins quelques-uns de ceux qui s'y sont le plus distingués vous en auraient parlé, vous ne pourriez pas chanter d'une manière plus touchante les travaux des Grecs, et tout ce qu'ils y ont fait et souffert. Mais continuez, et racontez-nous, je vous prie, l'aventure du cheval de bois que construisit Épéus avec le secours de Minerve; de quelle manière Ulysse le fit conduire dans la citadelle, après l'avoir rempli des guerriers qui devaient saccager Ilion. Si vous réussissez à nous dépeindre ce merveilleux stratagème, je publierai partout que c'est Apollon qui vous a inspiré de si beaux chants.

Aussitôt Démodocus, saisi d'un divin enthousiasme, se met à chanter. Il commence au moment que les Grecs mirent le feu à leurs tentes, et firent semblant de se retirer sur leurs vaisseaux. Ulysse, avec plusieurs des principaux capitaines, était au milieu de la ville, caché dans les flancs du cheval de bois, et les Troyens ont l'imprudence de le traîner jusque dans la citadelle. Après l'y avoir placé, ils délibèrent autour de cette énorme machine, et il y eut trois avis les uns voulaient qu'on la mît en pièces, les autres conseillaient de la précipiter du haut des remparts dans les fossés, et les troisièmes de la conserver, et de la consacrer aux dieux pour les apaiser. Cet avis devait prévaloir. Le destin avait résolu la ruine de Troie, puisqu'il avait permis qu'on fit entrer dans son enceinte ce colosse immense, avec les guerriers qui allaient y porter la désolation et la mort. Il chante ensuite comment les Grecs, sortis des flancs de ce cheval comme d'une vaste caverne. Après ce remercîment fait à Nausicaa, Ulysse saccagèrent la ville; il représente leurs plus braves s'asseoit auprès d'Alcinoüs. On sert les viandes dé- héros portant partout le fer et la flamme. Il dépeint coupées, on mêle le vin dans les urnes un héraut Ulysse semblable au dieu Mars, et courant avec amène par la main Démodocus; il le place au milieu Ménélas au palais de Déiphobus; le combat furieux des convives, et contre une colonne qui lui servait et longtemps incertain qu'ils y soutinrent, et la vicd'appui. Alors le fils de Laërte, s'adressant au hé-toire qu'ils remportèrent par le secours de Minerve.

Ulysse lui répondit: Belle Nausicaa, fille du grand Alcinoüs, que Jupiter me conduise auprès de ma femme et de mes amis, et je vous promets de me souvenir sans cesse de vous, et de vous adresser tous les jours des vœux comme à une déesse tutélaire à qui je dois la vie et mon bonheur.

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