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La monarchie aristocratique est le modèle du gouvernement des plus fameux États. Avant que le pouvoir populaire prévalût en Grèce, à Carthage et à Rome, tout était gouverné par des rois et un sénat fixe. D'abord le peuple n'avait point voix délibérative. Les éphores, les suffètes et les tribuns n'étaient que les avocats du peuple. Tel était aussi le gouvernement de l'ancienne Égypte; le royaume était monarchique et héréditaire : un sénat, composé de trente juges tirés des principales villes, faisait le conseil souverain du prince. Tel était aussi le gouvernement de l'empire des Perses; les satrapes ou les grands du royaume composaient le conseil souverain du monarque, et on les appelait les yeux et les oreilles du prince. Tel est encore le gouvernement de la Chine; l'empereur, quoique absolu, fait serment qu'il n'établira jamais aucune loi sans le consentement de ses mandarins.

Telle était enfin la forme du gouvernement que les nations du Nord (dont le climat froid, stérile, en diminuant l'imagination, augmente le jugement) avaient porté dans tous les pays du monde où elles s'étaient établies après la destruction de l'empire romain, dont toutes les nations avaient senti la tyrannie et les oppressions. Les Saxons avaient établi la monarchie aristocratique en Angleterre, les Francs dans les Gaules, les Visigoths en Espagne; les Ostrogoths, et après eux les Lombards, en Italie. L'ancien parlement de la Grande-Bretagne était purement aristocratique. Tel était aussi le Champ de Mars en France, les cortès en Espagne ; le tiers état et les membres électifs n'y ont eu part que tard, et d'abord leur pouvoir ne regardait que la répartition des subsides.

sance suprême, pour exécuter promptement les bonnes lois; tous ceux qu'on trouve dans la multiplicité des conseillers pour faire les bonnes lois; et enfin tous ceux qu'on trouve dans le gouvernement populaire, par l'impuissance où est le roi d'accabler le peuple de subsides extraordinaires.

Mais, quels que soient les avantages de cette forme de gouvernement, elle a pourtant ses inconvénients comme les autres.

1o Le partage de la souveraineté entre le roi et les seigneurs cause infailliblement un combat de puissances contraires. Tôt ou tard le roi assujettit et abat le sénat, et devient absolu; ou les nobles deviennent autant de petits tyrans, qui anéantissent le pouvoir monarchique, comme autrefois à Athènes, à Rome, etc. et aujourd'hui à Venise et à Gênes.

2o D'un autre côté, dans les royaumes où le peuple n'a point de part au gouvernement, la hauteur des grands, leur avarice et leur ambition, leur font mépriser et fouler aux pieds ceux qui sont obligés de vivre par le travail. Les nobles oublient que lal simple naissance ne donne rien au-dessus des autres hommes, que l'occasion de faire plus de bien qu'eux; leur orgueil les pousse souvent à se révolter contre les princes, et leur dureté pousse le peuple à se révolter contre eux.

Tout bien considéré, il paraît que la monarchie doit être préférée au gouvernement mixte. Les autres formes de gouvernement sont exposées aux mêmes inconvénients qu'elle; mais elle a des avantages que les autres n'ont pas. L'unité, l'expédition, et l'équilibre entre les nobles et le peuple, sont des avantages propres à la monarchie seule; mais la tyrannie, les passions, et l'abus de l'autorité suprême, sont des malheurs communs à tous les gouvernements. Tandis que l'humanité sera faible, imparfaite et corrompue, toutes sortes de gouvernements porteront toujours au dedans d'eux-mêmes les semences d'une corruption inévitable, et de leur propre chute et ruine.

Voilà ce qui fait croire aux royalistes modérés que la forme du gouvernement sujette à moins d'inconvénients est la monarchie modérée par l'aristocratie. Les trois grands droits de la monarchie, disent-ils, savoir, le pouvoir militaire, le pouvoir législatif, et le pouvoir de lever des subsides, doivent être tellement réglés, qu'on ne puisse pas en abuser facilement. Il faut que la puissance miliJe suis donc bien éloigné de croire qu'il y ait autaire réside uniquement dans le roi, parce que de cun établissement humain qui n'ait pas ses inconl'unité d'une même volonté dépendent l'expédition, vénients, ou qu'il soit possible de remédier aux le secret, l'obéissance, l'ordre et l'union si néces- maux inévitables du grand corps politique, par ausaires dans la milice. Il faut que le roi partage cune forme de gouvernement particulière. L'abus avec un sénat fixe la puissance législative, parce de l'autorité souveraine, en quelques mains qu'elle qu'il ne peut pas juger de tout par lui-même. Il soit, entraînera tôt ou tard la ruine de toutes sorfaut enfin que le roi n'impose les subsides extraor- tes de gouvernements dont la forme est même la dinaires que par le consentement universel de tous meilleure. Les beaux plans servent à amuser les les ordres du royaume, afin que le peuple ne soit spéculatifs dans leurs cabinets; mais, dans la prapoint foulé. Cette sorte de gouvernement a toustique, nous voyons que la plus petite bévue cause les avantages qu'on trouve dans l'unité de la puis- le renversement des plus grands empires. C'est ici

où le grand corps politique ressemble au corps humain une fièvre, un rhume, le moindre petit accident emporte le corps le plus robuste et le mieux fait, aussi bien que le plus faible et le plus difforme; c'est même une expérience connue dans la médecine, que les personnes vigoureuses sont plus sujettes aux maladies subites et violentes, que les personnes plus languissantes.

« lois; que l'autorité suprême réside originairement << dans le peuple; et qu'il est toujours en droit de

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« juger, de déposer et de punir les magistrats suprêmes, quand ils violent ces lois. Le dessein de la première création et institution des souverains « n'a été que pour conserver l'ordre et la paix de la « société. Ils n'ont été choisis que par le consentement du plus grand nombre. Ceux qui donnent l'au<< torité peuvent toujours la reprendre. Le contrat originaire du peuple avec les princes a pour condition essentielle que les souverains seront les pè«res du peuple et les conservateurs des lois. Un seul « homme ou un petit nombre d'hommes peuvent se tromper, et se laisser entraîner par leurs passions; << mais la voix universelle de la multitude est la voix << de la pure nature; c'est le sens commun et la droite << raison, éloignés de subtilités artificieuses. Chaque « particulier, pris séparément, a ses erreurs et ses « passions; mais le tout, pris ensemble, fait un « mélange de qualités contraires qui se corrigent et « se modèrent réciproquement, comme les ingré<< dients d'une certaine médecine dont chacun est un « poison, mais la composition de tous fait un ex«cellent remède. »

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D'un côté, les meilleures formes de gouvernement peuvent dégénérer, par la corruption et les passions des hommes; d'un autre côté, les a gouvernements qui paraissent les moins parfaits peuvent convenir à certaines nations. Il est peut-être impossible de décider quelle est la meilleure forme de gouvernement, ou s'il y en a une qui convienne généralement à tous les pays. Les différents génies des, peuples, souvent opposés et contraires, semblent rendre la différence des formes opposées nécessaire et convenable. Il entre dans cette question une si grande multiplicité de rapports, qui varient si souvent, que l'esprit humain ne peut pas les embrasser tous, pour en porter un jugement ferme et décisif.

Les abus et les inconvénients auxquels toutes les différentes formes de gouvernement sont exposées doivent convaincre les hommes que le remède aux maux du grand corps politique ne se trouvera point en changeant et en bouleversant les formes déjà établies, pour en établir d'autres qui dans la théorie peuvent paraître plus parfaites, mais qui dans la pratique ont toujours des inconvénients inévitables. Les hommes ne trouveront jamais leur bonheur dans les établissements extérieurs, ni dans les beaux règlements que l'esprit humain peut inventer; mais dans ces principes de vertu qui nous font trouver au dedans de nous des ressources contre tous les maux de la vie, et qui nous font supporter, pour l'amour de l'ordre et la paix de la société, tous les abus auxquels les meilleurs gouvernements sont exposés.

CHAPITRE XVI.

Du gouvernement purement populaire.

Les amateurs de l'indépendance, voyant que toutes les formes de gouvernement sont exposées à des inconvénients inévitables, prétendent que l'autorité souveraine ne doit jamais être confiée à aucun homme, ni à aucune société d'hommes, d'une manière permanente.

« Cette stabilité de puissance, disent-ils, fait que << les souverains se l'attribuent comme un droit, « et par là deviennent tyrans. Le seul moyen de les << retenir est de leur faire sentir que les souverains « de tous les pays ne sont pas les exécuteurs des

N'est-ce pas méconnaître l'humanité, que de raisonner ainsi? Au lieu des idées claires, on nous repaît de fictions poétiques. Nous avons déjà démontré, 1o qu'il n'y a jamais eu un état de pure nature, où tous fussent indépendants, égaux et libres, pour faire ce contrat imaginaire 1; 2o que l'autorité souveraine ne dérive pas du peuple 2. 3o Supposé qu'elle en dérivât, cependant le peuple ayant une fois résigué son droit naturel, ne peut plus le reprendre 3.

Mais indépendamment de tout cela, il est faux, 1o que le plus grand nombre ait un droit inhérent et naturel de faire des lois, et de juger en dernier

ressort.

Le droit naturel est fondé sur la loi naturelle. La source de la loi naturelle est la souveraine raison et la parfaite justice. Or, la multitude ne possède point ces qualités, en tant qu'elle est le plus grand nombre. Il y a peu d'hommes qui consultent la raison avec attention, et qui la suivent malgré leurs intérêts et leurs passions. Le plus grand nombre a toujours été le plus ignorant et le plus corrompu. Si dans les assemblées civiles on se soumet à la décision de la pluralité, ce n'est pas parce qu'elle juge toujours selon la parfaite raison et justice, mais parce que sa décision est un moyen fixe et palpable pour terminer les disputes.

1 Chap. IV, ci-dessus, p. 357; et chap. vII, p. 360.
Chap. VI, p. 359.
Chap. x, p. 308.

pétuelles, et aux caprices bizarres de la multitude aveugle et inconstante.

Si l'on dit que les pères de la patrie, les chefs | ciété demandent, non-seulement qu'il y ait de bonnes des anciennes familles, les membres héréditaires ou lois, mais qu'il y ait une puissance suprême, fixe électifs d'un sénat sont les législateurs naturels dans et visible, qui fasse ces lois, qui les interprète, qui tous les lieux et dans tous les temps, on contredit les exécute, qui juge en dernier ressort, et contre ses propres principes; on établit une inégalité na- | laquelle il n'est point permis de se révolter, sans turelle parmi les hommes; on donne un droit inhé- perdre tout point fixe dans la politique, et sans rent à un petit nombre, à l'exclusion de la multi-exposer tous les gouvernements aux révolutions pertude; car les nobles et les gens choisis pour être les représentants de l'État, n'en sont que la moindre partie. Les patriciens de tous les pays sont souvent des gens peu instruits, faibles, sujets aux mêmes passions que les autres hommes. Les membres électifs sont souvent choisis par brigues, et corrompus par promesses. Ainsi la raison n'est pas plus probablement de leur côté, que du côté de ceux qui ne sont pas choisis, ils n'ont par conséquent aucun droit naturel et inhérent de décider souverainement; ils n'ont qu'un droit civil, fondé sur la nécessité qu'il y ait quelque juge suprême qui finisse les dissensions, et qui conserve par là l'ordre et la paix de la société.

C'est là le fondement de tout droit civil, de toute autorité et de toute propriété légitime. Ce n'est ni la raison absolue, ni la parfaite justice, ni le mérite personnel, mais la paix générale de la société, qui est la règle des lois civiles.

2o Il est faux qu'on suive jamais, dans les délibérations publiques et populaires, le sentiment naturel du plus grand nombre deux ou trois hommes gouvernent la multitude; les factions et les cabales prédominent; les promesses, les menaces, ou la fausse éloquence de quelques chefs hardis, remuent tout le peuple. Qu'on lise l'histoire de la république romaine, où le gouvernement populaire a prévalu, on verra que ce n'est jamais le peuple qui parle; c'est presque toujours quelque tribun ambitieux qui fait parler la multitude, et qui abuse de la crédulité. Les partisans de l'autorité populaire ne le sont que parce qu'ils espèrent gouverner le peuple à leur gré. On s'éblouit par les belles idées, parce qu'on n'envisage qu'un côté de la vérité, sans en regarder toutes les faces.

Il est vrai que le bien public doit être la règle immuable de toutes les lois; que les souverains doivent être les conservateurs de ces lois et les pères du peuple. Lorsqu'ils agissent autrement, ils renversent le dessein de leur institution, ils violent tous les droits de l'humanité, ils deviennent tyrans; mais ils ne peuvent être punis que par Dieu seul. Ce n'est pas qu'ils ne soient coupables, et qu'ils ne méritent une punition plus sévère que les autres hommes; mais c'est que l'ordre et la paix de la so1 Chap. ix, p. 363.

Tel est le triste état de l'humanité : il faut qu'il y ait une autorité suprême qui fasse, qui interprète, qui exécute les lois. Les législateurs, les interprètes et les exécuteurs de ces lois sont des hommes faibles, imparfaits, et sujets à mille passions. Ils manqueront comme ceux qui obéissent; ils se tromperont, ils seront injustes; mais il n'y a point de remède. Il faut obéir et souffrir, puisque entre deux maux inévitables on doit en choisir le moindre. Or, vaut-il mieux se soumettre à une force fixe et permanente, ou s'abandonner aux révolutions perpétuelles de l'anarchie? Faut-il se ranger sous un gouvernement réglé, où l'on peut trouver quelquefois de bons maîtres, et où les méchants princes ont toujours un intérêt puissant de ménager leurs sujets? ou faut-il se livrer aux fureurs de la multitude, pour devenir à tout moment le jouet du caprice, de l'inconstance et de l'aveugle passion de tous ceux qui n'ont aucun principe d'union, que l'amour de l'indépendance, et qui peuvent se diviser et se subdiviser à l'infini, comme les vagues de la mer, qui se brisent successivement? Il n'y a certainement aucun choix à faire entre ces deux extrémités.

CHAPITRE XVII.

Du gouvernement où les lois seules président.

Plusieurs philosophes croient que le seul moyen d'éviter les abus de l'autorité suprême est que chaque peuple ait des lois écrites, toujours constantes et sacrées; et que ceux qui gouvernent n'aient d'autorité que par elles, et autant qu'ils les exécutent. Voilà, disent ces philosophes, ce que les hommes établiraient unanimement pour leur félicité, s'ils n'étaient pas aveugles et ennemis d'eux-mêmes.

Oui sans doute; mais voilà ce que les hommes n'établiront jamais, parce qu'ils sont et seront toujours aveugles et ennemis d'eux-mêmes. Pour faire réussir ce plan, il faudrait changer la nature des hommes, et les rendre tous philosophes.

Dans l'état présent de l'humanité, toutes les lois écrites deviendraient inutiles, s'il n'y avait pas quelque puissance supérieure et vivante pour les

interpréter et les faire exécuter en voici les rai

sons.

1° Toute loi écrite est sujette aux équivoques. Les lois les plus simples et les plus courtes, qui paraissent claires dans la théorie générale, deviennent obcures dans l'explication particulière. Les premiers législateurs croyaient satisfaire à tous les besoins de la société, par leurs lois primitives; mais, dans la suite, il fallut accommoder les lois générales à une infinité de circonstances particulières qu'on ne prévoyait pas d'abord. De là est venue la multiplicité des lois, et tous les raffinements du droit civil: vice essentiel dans un État, mais inévitable pour prévenir l'artifice des fourbes.

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L'esprit humain est fertile en détours, en subtili-puissance souveraine qui fasse des lois, et qui en tés, en subterfuges; il répand l'obscurité sur les vé- punisse le violement par la mort. Cette puissance rités les plus claires, quand elles combattent ses pas- suprême dérive immédiatement de Dieu, qui a seul sions, ses préjugés et ses intérêts; il s'enveloppe de le droit, comme souverain étre et comme supréme nuages, pour se dérober à la lumière qui l'impor-raison, de régler sa créature, et d'en punir le dérétune. Que faire dans cet état? qui est-ce qui sera l'interprète des lois ainsi obscurcies et altérées? S'il n'y a point un juge suprême qui parle, chacun viendra, le livre des lois à la main, disputer de son sens; chacun voudra décider, et s'ériger en législateur. Les plus sensés et les plus raisonnables sont le plus petit nombre. On n'écoutera plus les lois; la force seule décidera de tout. L'on tombera dans l'anarchie la plus affreuse, où chacun appellera raison son opinion.

2o Les lois civiles ne sont pas d'une nature immuable et universelle. Ce qui paraît juste et convenable dans un temps ne l'est plus dans un autre. Il n'y a aucune règle faite par l'homme qui n'ait ses exceptions, parce que l'esprit humain ne peut pas prévoir toutes les circonstances qui rendent les meilleures lois plus ou moins utiles, selon les différents temps et lieux. C'est pour cela que le changement des lois anciennes, quand il se fait par la puissance souveraine d'un État, et non selon le caprice du peuple, est quelquefois nécessaire et avantageux.

Il faut donc qu'il y ait une autorité suprême qui juge quand il faut changer les lois, les étendre, les borner, les modifier, et les accommoder à toutes les situations différentes où les hommes se trouvent. Car, si le peuple en est le juge, le plus grand nombre l'emportera, la force seule dominera; nous voilà replongés dans l'anarchie.

glement. L'élection, la succession, la conquête juste, et tous les autres moyens de parvenir à la souveraineté, ne sont que les canaux par où elle coule, et nullement la source d'où elle découle. Ce ne sont que des lois civiles, pour régler la distribution d'un droit qui appartient originairement au souverain

étre.

3o Les formes de gouvernement sont arbitraires; mais quand l'autorité suprême est une fois fixée dans un seul ou dans plusieurs, d'une manière monarchique, aristocratique, populaire ou mixte, il n'est plus permis de se révolter contre ses décisions. Puisqu'on ne peut pas multiplier les puissances à l'infini, il faut nécessairement s'arrêter à quelque autorité supérieure à toutes les autres, qui juge en dernier ressort, et qui ne peut pas être jugée elle-même.

4o De là il suit que la puissance souveraine n'est point vague et indéterminée, mais une autorité fixe, vivante et visible, qu'on peut reconnaître dans tous les temps et lieux, et à qui tous peuvent avoir recours, comme à la source de l'unité politique et de l'ordre civil. Croire par conséquent qu'elle réside originairement dans le peuple, et qu'elle appartient toujours au plus grand nombre, est un principe qui tend à l'anéantissement de toute société. Deux ou trois chefs hardis peuvent en tout temps assembler le peuple dans un assez grand nombre pour s'appeler la majeure partie de l'État, pour tout entreprendre et pour tout exécuter par la pluralité et la force, sans ordre, sans règle et sans justice.

3o La vue claire de la vérité, la connaissance des meilleures lois n'est pas suffisante pour les faire exécuter. Le pur amour de la vertu, le plaisir délicat 5o Le bien public doit être la loi immuable et uniqu'elle donne est un ressort trop intellectuel pour la verselle de tous les souverains, et la règle de toutes plupart des hommes ; il faut les remuer par des mo- les lois qu'ils font. Quand ils violent cette grande loi, tifs plus grossiers, par des punitions et des récom-ils renversent le dessein de leur institution, et agis

sent contre toutes sortes de droits; mais ils ne sont comptables qu'à Dieu seul de l'abus de leur autorité. S'il était permis à chaque particulier, ou au peuple en général, de décider quand les souverains ont passé les bornes de leur pouvoir, de les juger et de les déposer, il n'y aurait plus de gouvernement fixe sur la terre. Les esprits ambitieux, rebelles et artificieux trouveraient toujours les plus spécieux prétextes pour séduire le peuple, et le révolter contre ses souverains.

6° Tandis que l'homme sera gouverné par l'homme, toutes les formes de gouvernement seront imparfaites, et exposées aux mêmes abus de l'autorité souveraine : mais la monarchie paraît la meilleure de toutes ces formes; car, quoiqu'elle ait les mêmes inconvénients que les autres, elle a pourtant des avantages que les autres n'ont pas.

CHAPITRE XVIII.

Des idées que l'Écriture sainte nous donne de la politique.

en

Comme l'on parle toujours, dans cet Essai, philosophe qui ne suppose aucune religion révélée, on a cru devoir montrer la conformité de nos principes avec les lumières des saintes Écritures, pour satisfaire à la piété de ceux qui sont capables de consulter ces oracles sacrés avec vénération et docilité. Ces livres divins nous représentent le genre humain comme un grande famille, dont Dieu est le père commun. Tous les hommes sont créés à son image et ressemblance; tous sont capables de la même perfection, tous sont destinés pour le même bonheur. Nous sommes donc tous liés les uns avec les autres par notre rapport au père commun des esprits, et obligés de nous aimer, de nous secourir, de chercher mutuellement notre bien commun, comme frères, comme enfants, comme images d'un même père. Aimer Dieu pour lui-même, et les hommes pour Dieu, est l'essentiel de la loi de Moïse, et de celle de notre grand législateur Jésus-Christ.

Nous sommes frères, non-seulement parce que nos esprits sortent tous d'une même origine, mais encore parce que nos corps sont descendus de la même tige. Dieu a fait sortir tous les hommes qui doivent couvrir la face de la terre, d'un seul. C'est là l'image de la paternité de Dieu. Ce qui se fait dans l'ordre des intelligences est vivement représenté par ce qui se fait dans l'ordre des corps. Tous viennent d'une même origine; tous sont membres d'une même famille; tous sont enfants d'un même père. Il n'est pas permis à l'homme de se regarder comme indépendant et détaché des autres. Il ne peut pas se faire la fin et le centre de son amour, sans renverser la loi

de sa création, de sa filiation, de sa fraternité. Il doit se rapporter tout entier à la grande famille, et non pas rapporter la famille entière à lui-même.

Si les hommes avaient suivi cette grande loi de la charité, on n'aurait pas eu besoin de lois positives ni de magistrats. Tous les biens de la terre auraient été communs. Dieu dit à tous les hommes: Croissez, multipliez, et remplissez la terre1. Il leur donne à tous indistinctement toutes les herbes et tous les bois qui y croissent.

Selon ce droit primitif de la nature, nul n'a droit particulier sur quoi que ce soit qu'autant qu'il est nécessaire pour sa subsistance. Mais le premier homme, s'étant séparé de Dieu, sema la division dans la famille. Il quitta la loi de la raison, s'abandonna à ses passions; et son amour-propre le rendit insociable. Il n'est plus occupé que de lui-même, et ne songe aux autres que pour son intérêt propre. Le langage de Caïn se répand partout. Est-ce à moi de garder mon frère? La philanthropie se perd; tout est en proie au plus fort.

Il semble que Dieu ait affecté de conserver parmi les hommes l'unité de leur origine, pour les engager à l'amour fraternel; car s'étant réduits par leurs passions à cet état dénaturé, où chacun veut être indépendant, Dieu détruisit tous les hommes, excepté Noé et sa famille, afin qu'une seconde fois ils pussent se regarder comme les enfants d'un même père. La famille de Noé, divisée en trois branches, s'est encore subdivisée en des nations innombrables. De celles-là, dit Moïse3, sont sorties les nations, chacune selon sa contrée et sa langue. C'est ainsi, selon le témoignage de l'histoire sacrée, que les sociétés civiles se sont formées d'abord par la multiplication d'un tronc en plusieurs branches, et non pas par la réunion de plusieurs membres indépendants et libres.

La première idée du commandement vient sans doute de l'autorité paternelle. Je ne dis pas qu'elle en soit la source, mais seulement le premier canal par où il a découlé. Les premiers hommes vivaient à la campagne dans la simplicité, ayant pour loi la volonté de leurs parents. Telle fut encore après le déluge la conduite de plusieurs familles, surtout parmi les enfants de Sem, où se conservèrent plus longtemps les anciennes traditions sur la religion, et sur la manière du gouvernement. Ainsi Abraham, Isaac et Jacob persistèrent dans l'observance d'une vie simple et pastorale; ils étaient avec leursfamilles, libres et indépendants. Ils traitaient d'égal avec les

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