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>> Il est temps de marquer nettement le but de la révolution, et le terme où nous voulons arriver; il est temps de nous rendre compte à nous-mêmes et des obstacles qui nous en éloignent encore, et des moyens que nous devons adopter pour l'atteindre idée simple et importante, qui semble n'avoir jamais été aperçue. Eh! comment un gouvernement lâche et corrompu aurait-i osé la réaliser? Uu roi, un sénat orgueilleux, un César, un Cromwell doivent avant tout couvrir leurs projets d'un voile religieux, transiger avec tous les vices, caresser tous les partis, écraser celui des gens de bien, opprimer ou tromper le peuple pour arriver au but de leur perfide ambition. Si nous n'avions pas eu une plus grande tâche à remplir, s'il n s'agissait ici que des intérêts d'une faction ou d'une aristocratie nouvelle, nous aurions pu croire, comme certains écrivains plus ignorans encore que pervers, que le plan de la révolution française était écrit en toutes lettres dans les livres de Tacite et de Machiavel, et chercher les devoirs des représentans du peuple dans l'histoire d'Auguste, de Tibère ou de Vespasien, ou même dans celle de certains législateurs français; car, à quelques nuances près de perfidie ou de cruauté, tous les tyrans se ressemblent.

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» Pour nous, nous venons aujourd'hui mettre l'univers dans la confidence de vos secrets politiques, afin que tous les amis de la patrie puissent se rallier à la voix de la raison et de l'intérêt public; afin que la nation française et ses représentans soient respectés dans tous les pays de l'univers où la connaissance de leurs véritables principes pourra parvenir; afin que les intrigans, qui cherchent toujours à remplacer d'autres intrigans, soient jugés par l'opinion publique sur des règles sûres et faciles.

» Il faut prendre de loin ses précautions pour remettre les destinées de la liberté dans les mains de la vérité, qui est éternelle, plus que dans celles des hommes, qui passent, de manière que si le gouvernement oublie les intérêts du peuple, ou qu'il retombe entre les mains des hommes corrompus, selon le cours naturel des choses, la lumière des principes reconnus éclaire ses trahisons, et que toute faction nouvelle trouve la mort dans la seule pensée du crime.

Heureux le peuple qui peut arriver à ce point! car, quel

ques nouveaux outrages qu'on lui prépare, quelles ressources ne présente pas un ordre de choses où la raison publique est la garantie de la liberté !

Quel est le but où nous tendons? La jouissance paisible de la liberté et de l'égalité, le règne de cette justice éternelle dont les lois ont été gravées non sur le marbre et sur la pierre, mais dans les cœurs de tous les hommes, même dans celui de l'esclave, qui les oublie, et du tyran, qui les nie.

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Nous voulons un ordre de choses où toutes les passions basses et cruelles soient enchaînées, toutes les passions bienfaisantes et généreuses éveillées par les lois; où l'ambition soit le désir de mériter la gloire et de servir la patrie; où les distinctions ne naissent que de l'égalité même; où le citoyen soit soumis au magistrat, le magistrat au peuple, et le peuple à la justice; où la patrie assure le bien-être de chaque individu, et où chaque individu jouisse avec orgueil de la prospérité et de la gloire de la patrie; où toutes les âmes s'agrandissent par la communication continuelle des sentimens républicains, et par le besoin de mériter l'estime d'un grand peuple; où les arts soient les décorations de la liberté, qui les ennoblit, le commerce la source de la richesse publique, et non pas seulement de l'opulence monstrueuse de quelques maisons.

» Nous voulons substituer dans notre pays la morale à l'égoïsme, la probité à l'honneur, les principes aux usages, les devoirs aux bienséances, l'empire de la raison à la tyrannie de la mode, le mépris du vice au mépris du malheur, la fierté à l'insolence, la grandeur d'âme à la vanité, l'amour de la gloire à l'amour de l'argent, les bonnes gens à la bonne compagnie, le mérite à l'intrigue, le génie au bel esprit, la vérité à l'éclat, le charme du bonheur aux ennuis de la volupté, la grandeur de l'homme à la petitesse des grands, un peuple magnanime, puissant, heureux, à un peuple aimable, frivole et misérable, c'est à dire toutes les vertus et tous les miracles de la République à tous les vices et à tous les ridicules de la monarchie.

» Nous voulons en un mot remplir les vœux de la nature, accomplir les destins de l'humanité, tenir les promesses de la philosophie, absoudre la providence du long règne du crime

et de la tyrannie. Que la France, jadis illustre parmi les pays esclaves, éclipsant la gloire de tous les peuples libres qui ont existé, devienne le modèle des nations, l'effroi des oppresseurs, la consolation des opprimés, l'ornement de l'univers, et qu'en scellant notre ouvrage de notre sang nous puissions voir au moins briller l'aurore de la félicité universelle!... Voilà notre ambition, voilà notre but.

» Quelle nature de gouvernement peut réaliser ces prodiges? Le seul gouvernement démocratique ou républicain: ces deux mots sont synonymes, malgré les abus du langage vulgaire ; car l'aristocratie n'est pas plus la république que la monarchie. La démocratie n'est pas un état où le peuple, continuellement assemblé, règle par lui-même toutes les affaires publiques; encore moins celui où cent mille fractions du peuple, par des mesures isolées, précipitées et contradictoires, décideraient du sort de la société entière: un tel gouvernement n'a jamais existé, et il ne pourrait exister que pour ramener le peuple au despotisme.

» La démocratie est un état où le peuple, souverain, guidé par des lois qui sont son ouvrage, fait par lui-même tout ce qu'il peut bien faire, et par des délégués tout ce qu'il ne peut faire lui-même.

» C'est donc dans les principes du gouvernement démocratique que vous devez chercher les règles de votre conduite politique.

» Mais pour fonder et pour consolider parmi nous la démocratie, pour arriver au règne paisible des lois constitutionnelles, il faut terminer la guerre de la liberté contre la tyrannie, et traverser heureusement les orages de la révolution : tel est le but du système révolutionnaire que vous avez organisé. Vous devez donc encore régler votre conduite sur les circonstances orageuses où se trouve la République, et le plan de votre administration doit être le résultat de l'esprit du gouvernement révolutionnaire combiné avec les principes généraux de

la démocratie.

» Or quel est le principe fondamental du gouvernement démocratique ou populaire, c'est à dire le ressort essentiel qui le soutient et qui le fait mouvoir? C'est la vertu : je parle

de la vertu publique, qui opéra tant de prodiges dans la Grèce et dans Rome, et qui doit en produire de bien plus étonnans dans la France républicaine; de cette vertu qui n'est autre chose que l'amour de la patrie et de ses lois.

» Mais comme l'essence de la république ou de la démocratie est l'égalité, il s'ensuit que l'amour de la patrie embrasse nécessairement l'amour de l'égalité.

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» Il est vrai encore que ce sentiment sublime suppose la préférence de l'intérêt public à tous les intérêts particuliers; d'où il résulte que l'amour de la patrie suppose encore ou produit toutes les vertus : car que sont-elles autre chose que orce de l'âme qui rend capable de ces sacrifices? et comment l'esclave de l'avarice ou de l'ambition, par exemple, pourrait-il immoler son idole à la patrie ?

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Non seulement la vertu est l'âme de la démocratie, elle ne peut exister que dans ce gouvernement. Dans la monarchie je ne connais qu'un individu qui peut aimer la patrie, et qui pour cela n'a pas même besoin de vertu ; c'est le monarque la raison en est que de tous les habitans de ses états le monarque est le seul qui ait une patrie. N'est-il pas le souverain au moins de fait ? N'est-il pas à la place du peuple? Et qu'est-ce que la patrie, si ce n'est le pays où l'on est citoyen et membre du souverain?

» Par une conséquence du même principe, dans les états aristocratiques le mot patrie ne signifie quelque chose que pour les familles patriciennes qui ont envahi la souveraineté.

» Il n'est que la démocratie où l'Etat est véritablement la patrie de tous les individus qui le composent, et peut compter autant de défenseurs intéressés à sa cause qu'il renferme de citoyens. Voilà la source de la supériorité des peuples libres sur tous les autres : si Athènes et Sparte ont triomphé des tyrans de l'Asie, et les Suisses des tyrans de l'Espagne et de l'Autriche, il n'en faut point chercher d'autre cause.

» Mais les Français sont le premier peuple du monde qui ait établi la véritable démocratie en appelant tous les hommes. à l'égalité et à la plénitude des droits du citoyen; et c'est là, à mon avis, la véritable raison pour laquelle tous les tyrans ligués contre la République seront vaincus.

» Il est dès ce moment de graudes conséquences à tirer des principes que nous venons d'exposer.

» Puisque l'âme de la République est la vertu, l'égalité, et que votre but est de fonder, de consolider la République, il s'ensuit que la première règle de votre condu te politique doit être de rapporter toutes vos opérations au maintien de l'égalité et au développement de la vertu; car le premier soin du législateur doit être de fortifier le principe du gouvernement. Ainsi tout ce qui tend à exciter l'amour de la patrie, à purifier les mœurs, à élever les âmes, à diriger les passions du cœur humain vers l'intérêt public, doit être adopté ou établi par vous; tout ce qui tend à les concentrer dans l'abjection du moi personnel, à réveiller l'engouement pour les petites choses et le mépris des grandes, doit être rejeté ou réprimé par vous. Dans le sytème de la révolution française ce qui est immoral est impolitique, ce qui est corrupteur est contrerévolutionnaire. La faiblesse, les vices, les préjugés sont le chemin de la royauté. Entraînés trop souvent peut-être par le poids de nos anciennes habitudes, autant que par la pente insensible de la faiblesse humaine, vers les idées fausses et vers les sentimens pusillanimes, nous avons bien moins à nous défendre des excès d'énergie que des excès de faiblesse : le plus grand écueil peut-être que nous ayons à éviter n'est pas la ferveur du zèle, mais plutôt la lassitude du bien, et la peur de notre propre courage. Remontez donc sans cesse le resort sacré du gouvernement républicain, au lieu de le laisser tomber. Je n'ai pas besoin de dire que je ne veux ici justifier aucun excès; on abuse des principes les plus sacrés : c'est à la sagesse du gouvernement à consulter les circonstances, à saisir les momens, à choisir les moyens ; car la manière de préparer les grandes choses est une partie essentielle du talent de les faire, conime la sagesse est elle-même une partie de la vertu.

» Nous ne prétendons pas jeter la République française dans le moule de celle de Sparte; nous ne voulons lui donner ni l'austérité ni la corruption des cloîtres. Nous venons de vous présenter dans toute sa pureté le principe moral et politique du gouvernement populaire. Vous avez donc une bous

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