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soulagement du malheur, conformément au décret rendu sur les fêtes nationales et décadaires. Là, en présence du peuple et des jeunes citoyens des écoles primaires, la justice nationale y inscrira le nom des vieillards indigens, des cultivateurs, des bergers et des artisans invalides, pour leur assigner des secours. » C'est l'objet du premier et du second titre du décret.

» Sur ce grand livre de la bienfaisance nationale seront aussi écrits les noms des mères et des veuves ayant des enfans, habitant la campagne; elles ont des droits aux secours de la République.

» C'est l'objet du troisième titre.

» Dans le quatrième on s'occupera des moyens d'organiser les secours à domicile : c'est là l'unique secret de la République, et c'est le moyen le plus assuré de faire disparaître dans peu de temps les établissemens qui appellent la mendicité au lieu de la détruire, et qui engloutissent l'humanité au lieu de la soulager.

>> Des hommes de bronze, des administrateurs avides imaginèrent d'organiser les hôpitaux fondés par la charité des moines et par l'orgueil des tyrans : le gouvernement républicain s'occupera sans relâche des moyens de diminuer, par l'aisance générale et par la distribution plus juste des fortunes particulières et de la fortune publique, la masse des malheureux forcés de se réfugier dans les hôpitaux.

» Mais en attendant les effets de cette opération rémunératrice et territoriale, portons les secours dans les lieux où ils sont nécessaires; que les malheureux ne reçoivent plus, en échange d'un secours momentané et mesquin, le supplice de la séparation de sa famille. C'est sous l'hunible toit où il est allé cacher sa misère, c'est à côté de sa femme, c'est en présence de ses enfans qu'il doit recevoir les bienfaits de la République : ils apprendront à l'aimer en la voyant pénétrer jusque dans la chaumière la plus reculée, jusque dans l'asile le plus ignoré.

» Accorder de pareils secours avec cette forme modeste c'est secourir deux fois, c'est soulager le cœur et le besoin; c'est répandre des moyens d'existence dans toute une famille, au lieu d'enrichir un économe ou un administrateur d'hôpital;

c'est respecter la dignité de l'homme, ménager le sentiment des familles, et rapprocher les citoyens.

» Le secours à domicile est réclamé depuis longtemps; il n'appartenait qu'à la Convention nationale de parvenir à l'organiser et à en faire jouir les citoyens malheureux.

>>

Quel changement admirable va s'opérer dans les fêtes des Français ! C'est le jour consacré par vous à honorer le malheur qui sera celui où la reconnaissance publique s'acquittera envers les vieillards et les mères, les infirmes, les non valides, les cultivateurs et les artisans. Cette fête vraiment nationale sera célébrée dans chaque chef-lieu de district : les mères et les vieillards ne doivent pas être exposés à des courses trop pénibles ou trop longues; les chefs-lieux de district sont assez près des habitations les plus reculées dans leur arrondissement, et il y a dans chaque district assez de population pour embellir cette fête simple, dédiée à la vieillesse et à la maternité.

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Quant aux citoyens à qui leurs infirmités ou leur âge avancé ne permettent pas de se rendre au chef-lieu de district pour la fête civique, ils en seront dispensés naturellement, et ils pourront se faire représenter pour la réception de leur semestre, avec les formalités établies par le décret. La bienfaisance ne doit pas être onéreuse à ceux qui en sont l'objet.

» Au milieu des émotions délicieuses que ce travail pour l'indigence vient de vous donner, je ne peux m'empêcher en terminant ce rapport de vous exprimer une dernière pensée qui vient involontairement affliger le cœur de tout homme qui jette ses regards sur l'état douloureux de cette partie de la société qui n'a d'autre dotation que le travail et la misère, d'autre espoir que l'emploi de ses forces et la mendicité, d'autre perspective que les fatigues du jour dans l'état de santé, et l'abandon, les hôpitaux ou les tombes publiques dans l'état de maladie! A ce spectacle on dirait que la moitié de la nation est née sous une constellation malheureuse, et doit aller s'engloutir dans des hôpitaux malsains, tandis que l'autre moitié épuise les délices de la vie dans des habitations brillantes.

» Si un tel abus pouvait être plus longtemps souffert, nous pourrions naturaliser parmi nous les préjugés des peuplades

barbares.

>> Une relation de voyageur nous montre à Madagascar un préjugé dépopulateur qui règne au milieu de ce peuple doux, mais crédule et superstitieux.

» Il compte presque autant de jours heureux que de malheureux, et il immole impitoyablement tous les enfans qui naissent dans les jours réputés malheureux.

» Benyowsky, le plus éclairé d'entre les hommes de Madagascar, sauva plusieurs de ces victimes du plus abominable préjugé, et les fit élever au fort appelé Dauphin, où ils vécurent, et devinrent des hommes utiles.

» Cet exemple fit un si grand effet sur ces peuplades ignorantes, que toutes les femmes de Madagascar prièrent l'épouse de Benyowsky, assassiné par le despotisme, de venir de l'île de France, où elle était retirée, pour qu'elles pussent prêter sous ses yeux le serment de ne plus distinguer les jours heureux et malheureux. L'épouse de Benyowsky parut, et aussitôt toutes les mères, en présence de la nature, tenant leurs enfans dans leurs bras élevés vers le ciel, jurèrent unanimement de les nourrir tous indistinctement et avec un égal intérêt.

» La cérémonie fut auguste et touchante, et le serment le plus pur qui se soit jamais élevé vers l'auteur de la nature est celui des femmes de Madagascar dans cette circonstance, digne d'être citée dans les annales de l'humanité.

» Combien plus touchante et plus auguste sera la cérémonie dans laquelle le malheur sera honoré, puisque les deux extrémités de la vie seront réunies avec le sexe qui en est la source! Vous y serez, vieillards agricoles, artisans invalides! et à côté d'eux vous y serez aussi, mères et veuves infortunées, chargées d'enfans! Ce spectacle est le plus beau que la politique puisse présenter à la nature, et que la terre fertilisée puisse offrir au ciel consolateur.

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Représentans du peuple français, voilà les premiers pas vers la destruction de la misère, et l'amélioration du sort de l'espèce humaine.

» Jurons, nous aussi, de ne plus reconnaître des classes d'hommes voués à l'infortune, ou abandonnés à l'indigence! Jurons l'abolition de cette mendicité honteuse qui blesse la dignité de l'homme, offense la nature et l'humanité, flétrit

XIV.

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l'âme des citoyens, déshonore toutes les administrations, et est incompatible avec le gouvernement républicain!

» Ce serment des représentans du peuple français sera aussi saint que celui des mères de Madagascar, et votre récompense sera dans les cœurs des habitans des campagnes et dans le bonheur du peuple!» (Dans la méme séance la Convention adopta à l'unanimité, et sans discussion, le projet de décret conforme à ce rapport.)

En même temps que le gouvernement révolutionnaire s'appuyait sur des institutions politiques et morales, et qu'il obtenait ainsi la reconnaissance d'un peuple jaloux de prendre enfin sa place à côté des grands peuples de l'antiquité, il acquérait encore de la force et de la gloire par les triomphes des armées, que l'on regardait comme les siens ; et en effet, c'était aux sages combinaisons, aux mesures énergiques, au génie de ses membres que le courage français avait dû de n'être plus enchaîné ou trahi. L'attitude de la République était devenue la honte et l'effroi de tous les ennemis de la révolution, l'espoir et l'admiration de tous les hommes libres.

La reconnaissance des peuples fut toujours ingénieuse à créer des idoles et des maîtres; elle s'est rendue complice de toutes les usurpations. C'est ainsi que le peuple français, au lieu de voir dans cette situation prospère l'ouvrage de la Convention nationale, n'y reconnut d'abord que celui du comité de salut public, et que bientôt, par un dangereux discernement, il se plut à ne l'attribuer qu'à l'influence de tel ou tel des personnages qui composaient ce comité. Mais Billaud-Varenne, Robert Lindet, Prieur (de la Marne), ne se plaçaient qu'au second rang; c'étaient d'excellens chefs de division: Collot-d'Herbois, ambitieux vulgaire, se prodiguait dans les clubs: Jambon Saint-André administrait la marine : Barrère, d'un esprit vif et délié, d'une imagination féconde, brillante, riche encore de vastes connaissances littéraires ; orateur permanent, toujours inépuisable et fleuri, habile à embellir les récits les plus funestes, à concilier les opinions les plus contradictoires; Barrère, l'indispensable rapporteur de

tous les comités dont il a été membre, n'avait pas un caràc tere politique décidé; né pour être un grand homme de cour, dans la République il était aimé, applaudi comme un grand acteur : Carnot et Prieur (de la Côte-d'Or), saváns illustres et modestes, ne pouvaient être jugés que par le petitnombre ; ils n'attachaient pas leurs noms à ces institutions durables, à ces triomphes immortels qu'ils préparaient dans le silence : Couthon, nouveau Lépide, ne recevait d'importance que par son intimité avec Robespierre et Saint-Just, les deux seuls membres que le peuple apercevait : c'est que tous deux, en rappelant les hommes aux principes naturels, leur avaient parlé le langage qu'ils savent si bien comprendre. Le jeune Saint-Just fondait sa popularité; on le regardait comme l'élève de Robespierre : il eût laissé loin le maître. Robespierre enfin, qui dans l'Assemblée constituante et depuis n'avait cessé de proclamer les principes démocrati ques, de soutenir la cause populaire, recevait le prix de son zèle persévérant. L'opinion l'adopta pour premier héritier de la révolution. Les destinées de la République semblaient dépendre de sa fortune; son nom était dans toutes les bouches on pouvait d'ailleurs louer son intégrité, son désintéressement, ses vertus privées, sans craindre la censure même de ses ennemis; ses erreurs politiques, loin d'être combattues, étaient chaque jour sanctionnées par tous ses collègues ; dans son caractère soupçonneux et vindicatif on ne voyait que l'austérité du républicanisme; que si quelque esprit ombrageux apercevait en lui un dictateur, on objectaït l'impossibilité où il était d'usurper un pouvoir confié à douze membres également dévoués à la chose publique, et révocables tous les mois par la Convention, qui certes saurait bien user de son droit si l'un d'eux cessait de mériter sa confiance...

Ce qui n'était chez le peuple que l'expression inconsidérée d'un sentiment de reconnaissance, reste de l'habitude contractée sous le despotisme d'un seul, formait aussi la tactique des ennemis de la révolution; vainçus par l'unanimité du gouvernement, ils cherchaient à le diviser, et à détruire l'un après l'autre les plus fermes soutiens de la République en les rendant odieux aux amis de la liberté, toujours inquiets et

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