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son exemple: sa vie privée est restée sans reproche. Relativement à un homme tel que lui les plus petits détails sont des faits intéressans: disons donc que dans le délire révolutionnaire qui porta tant de républicains à blesser les convenances et la pudeur même par leurs paroles et par leur costume, Robespierre se montra le sévère censeur de ses plus dévoués partisans: il les accusait autant par son maintien que par ses discours; sa coiffure et ses vêtemens n'ont cessé d'être soignés, mais sans recherche ; c'était l'élégance de la propreté.

Nous avons dénombré ses ennemis.

Cet impraticable projet de transformer en Spartiates un peuple aimable et poli, façonné aux molles habitudes que fait contracter un long despotisme, riche de tous les bienfaits de la civilisation comme infecté de tous les maux qu'elle a produits; ce projet fut accueilli sans examen : on eût dit que la Convention applaudissait à la lecture d'un livre de l'antiquité. Mais son exécution! Voilà la source de tant de violences et de larmes, de tant d'efforts et de tant de lâcheté. Robespierre présente des tableaux séduisans; on admire ; il réclame des lois terribles; on les accorde avec empressement. Leur premier résultat est la compression ou la mort d'un grand nombre de royalistes, de factieux, de traîtres, d'agens de l'étranger; c'est la force et la sûreté de la République : un appui constant est donné à celui qu'on regarde comme le président, comme l'âme du gouvernement révolutionnaire. Mais il veut arriver au second résultat ; c'est de frapper autour de lui, au milieu même de ses flatteurs, de ceux qui se sont constitués ses esclaves, parce qu'il y voit aussi des hommes qui sont un obstacle, un danger pour l'affermissement du nouvel ordre de choses. Ici on l'arrête; ses nombreux ennemis sortent de l'état de gêne où il les avait placés ; ils appellent à eux tous les partis, et Robespierre est renversé, et sa mémoire couverte de toutes les iniquités.

Robespierre a usurpe les pouvoirs de la représentation nationale... Mais pourquoi ses collègues les lui ont-ils laissé prendre? Pourquoi ont-ils donné à ses volontés tout le

poids de leur sanction? L'Assemblée n'était pas libre... Conçoit-on que plus de six cents hommes n'aient pas la force de trois? Quels étaient les moyens de Robespierre? Sans argent, sans troupes, sans relations, il n'avait que ses principes, ses discours et sa popularité. Ses principes, votre devoir était d'en calculer les conséquences; ses discours, il fallait les réfuter au lieu de les applaudir avec enthousiasme; sa popularité, vous aviez les mêmes voies que lui pour en acquérir; vous deviez éclairer le peuple, vous dévouer pour ses intérêts seuls, et ce que la calomnie a fait plus tard la bonne foi l'eût opéré plutôt. Dites plus franchement que vous avez cru bien faire; répétez avec un des vôtres qu'il y a eu des malheurs et non pas des torts et des fautes; convenez aussi que vous n'avez compris le système de Robespierre que lorsque le glaive a menacé vos têtes.

Tout ce que l'ère républicaine a produit de beau, de grand, d'immortel, a eu son germe ou sa naissance dans le second comité de salut public, ce comité douze fois réélu aux acclamations générales, et que Robespierre dominait comme toute la Convention. Vous dites que c'est à l'insu de cet homme stupide et barbare, de ce bourreau des sciences et de ceux qui les cultivent qu'ont été pensés et exécutés tant de prodiges... Mais Robespierre seul ne voyait donc pas ce que l'Europe admirait en frémissant? ou s'il le voyait, si son pouvoir était tel qu'on l'a fait après sa mort, qui l'empêchait d'ajouter à ses victimes les illustres membres dont les soins entretenaient le feu sacré, les Carnot, les Prieur de la Côte-d'or, les Guyton, les Fourcroy, les Grégoire, les Romme, les Lakanal, et tant d'autres qui ne s'enveloppaient point dans leur silence en attendant le retour de la liberté? Et cette réunion de savans, l'orgueil de la France, qui, réunis dans les bureaux des comités, s'offraient chaque jour à ses coups, ne les voyait-il pas? Et ces nombreux arrêtés du comité de salut public qui appelaient les artistes et les gens de lettres à des concours ouverts pour la proposition de monumens et d'inscriptions propres à perpétuer la magnificence, la gloire de la République, ces arrêtés sont tous revêtus de sa signature; est-ce Robespierre qui aurait approuvé, signé contre sa volonté ?...

Ah! lui aussi aimait les lettres, les sciences et les arts; il ne poursuivait que la foule mercenaire qui déshonore leur culte.

Au surplus, aucune des accusations portées contre Robespierre n'a été prouvée. Les papiers trouvés chez lui et écrits de sa main déposent qu'il ne comprenait pas le mot conspirateur, à moins que d'avoir tout le peuple pour complice. Les lettres qu'on lui adressa, monumens honteux de lâches adulations, de platitude et de folie, sont-elles des pièces contre lui? Les rapports du député Courtois, qui mit à contribution l'histoire de tous les peuples et toutes les mythologies, tous les pamphlets et tous les ouï-dire pour prouver que Robespierre avait été un tyran; ces rapports, fruit laborieux d'une année de travail, et dans lesquels la bonne foi n'est pas toujours respectée, auront-ils un grand poids devant le tribunal de la postérité? Lecointre, qui révéla prudemment après le 9 thermidor le courageux dessein que neuf membres de la Convention avaient formé depuis longtemps d'assassiner Robespierre en plein sénat; Lecointre, par ses éternelles dénonciations contre les anciens membres du comité de salut public, par la réimpression et le rapprochement des séances et des procès verbaux de cette époque, a fait sans le vouloir l'éloge des accusés, et la censure la plus amère de la majorité de ses collègues. La défense, les justifications que les prétendus complices de Robespierre ont publiées sont généralement grandes, généreuses l'homme y est sacrifié; c'est une faiblesse humaine, c'est un entraînement de l'opinion dominante, c'est une sorte de déférence que les thermidoriens se sont chargés de faire apprécier. Peu de jours d'ailleurs s'étaient écoulés, et déjà des républicains avaient reconnu le piège tendu à leur vertu. Nous pourrions en citer pour qui cet aveuglement est l'unique faute qu'ils se reprochent dans les derniers momens d'une vie honorable.

Robespierre a été un homme extraordinaire; il eût été un grand homme s'il eût mieux connu son siècle. Il n'a apporté dans sa carrière législative que l'étude de l'histoire ; il lui manquait celle du monde. S'il n'eût fait que des livres on l'admirerait encore; on le placerait au premier rang des publicistes. Mais il a donné la malheureuse expérience que

par un

le rêve politique d'un homme de bien mis en action homme puissant peut devenir une calamité publique. Du reste il a fait à lui seul une époque dans les annales de la France. Saint-Just était supérieur à Robespierre par l'éténdue de son instruction et par son génie ; mais il portait plus loin encore l'ignorance des hommes et du pays qu'ils voulaient instituer. Tous deux étaient des premiers Romains vivant dans la corruption de l'empire. Robespierre est mort à trente-cinq ans, et Saint-Just à vingt-six.

Le peuple applaudit au supplice de ces hommes longtemps ses idoles. Il avait vu en eux ses libérateurs et ses soutiens; sa haine égala son amour lorsqu'on l'eut convaincu qu'ils n'avaient été que ses tyrans et ses assassins. Le peuple s'était trompé, et on le trompa : on a vu que les bienfaits comme les crimes avaient eu pour auteurs et ces hommes et leurs collègues. Cette tactique de rejeter tour à tour sur tel ou tel parti les maux nécessaires ou inévitables de la tourmente révolutionnaire était celle de l'étranger et de l'aristocratie, qui espéraient ainsi de détruire la Convention par elle-même. Les intrigans et les fripons suivirent la même marche pour se soustraire à l'ignominie. Tous ces calculs égarèrent le peuple. Une imposture qui contribua beaucoup à l'abandon presque subit de Robespierre dans la journée du

thermidor est celle qui signala son parti aux citoyens comme un parti royaliste; jamais les harangues ni les dispositions militaires du général Barras et de ses adjoints n'auraient eu le succès de cette foudroyante révélation faite au peuple que les signes de l'esclavage avaient été arborés par la commune rien n'était plus faux cependant. Mais une force d'opinion pouvait seule renverser les dominateurs : on l'avait créée à l'avance par le concours de toutes les calomnies..

En effet, sans cette force d'opinion qu'auraient pu faire un Tallien, connu par ses excès révolutionnaires, poussé par le besoin d'échapper à un juste châtiment, invoquant la liberté publique pour n'obtenir que celle d'une femme, Tallien, déjà et depuis méprisé de tous les partis? Un

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Fréron, cet Orateur du peuple (1) ignoble doublure de Marat, qui, ne pouvant remplacer son père dans la carrière des lettres, embrassa la carrière des intrigues, et ne s'y distingua que par des crimes? Un Louchet (2), dont le nom frappait pour la première fois les oreilles de la multitude terroriste non par vues politiques, mais par faiblesse de caractère, homme inégal et sans capacité, cherchant à secouer sa nullité en se montrant à la fois l'admirateur de Marat et l'ennemi de Robespierre? Un Barras, dont la vie a été l'exemple de toutes les débauches et de toutes les perfidies, dont le nom semble n'être resté que pour exprimer la réunion des vices et des penchans qui dans un homme affligent toute la société? Qu'auraient pu faire enfin tant de thermidoriens, les uns ignorés, sans talent, sans considération, les autres le déshonneur du gouvernement révolutionnaire? Il a donc fallu qu'une force d'opinion factice prît un moment la place de l'opinion publique égarée. Ainsi le peuple a laissé tomber un parti dans lequel on ne lui montrait que des tyrans et des assassins; à la voix de leurs dignes compagnons, les dilapidateurs, les hommes adonnés au faste et à la volupté se sont empressés d'accourir; les ambitieux ont tout espéré avec les fauteurs de trouble et de désorganisation; les modérés et les égoïstes ont cru redevenir libres s'ils n'étaient plus forcés d'être patriotes; les girondins ont pensé aux réparations, à la vengeance; les hommes d'état, ou plutôt les constitutionistes, ont applaudi au retour d'un système qui leur promettait l'autorité ou tout au moins l'opposition. Les thermidoriens, qui presque tous avaient voté la mort du roi, ont encore trouvé un appui dans les royalistes, parce que ceux-ci, selon leur tactique, arrivaient par degré à la destruction de la République et de ses auteurs.

Mais les thermidoriens deviendront dominateurs à leur tour; ils garderont la République parce qu'elle leur offre une sécurité personnelle, mais ils voudront jouir seuls de

(1) Titre du journal de Fréron.

(2) Louchet remplit son rôle du 9 en se bornant à demander le décret d'arrestation contre Robespierre. On aurait pu l'avoir oublié.

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