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» Les besoins pressans et multipliés du commerce ont encore déterminé vos comités à vous soumettre plusieurs propositions dont ils demandent le renvoi à vos comités des finances et de commerce.

» Les mesures que vos comités vous proposent leur ont paru celles que les circonstances devaient faire adopter. Rendre la liberté à tous les hommes utiles, imprimer le sceau de l'humiliation sur l'oisiveté, rappeler les institutions à leur origine, les pouvoirs à leur centre, honorer le travail, encourager le commerce, répandre des lumières, établir de fréquentes communications entre le peuple et ses représentans, poser les bases de l'instruction publique, leur ont paru les seuls moyens qu'ils dussent vous proposer pour remplir vos vues, soutenir l'éclat de la nation française, et assurer sa gloire et sa prospérité.

A la suite de ce rapport, qui est couvert d'applaudissemens, Lindet fait adopter plusieurs décrets: 1° seront examinées sans délai les réclamations des pères et mères des défenseurs de la patrie, de tous les citoyens agriculteurs, artistes et commerçans mis en état d'arrestation; 2° les municipalités et comités de section qui refuseront des certificats de civisme seront tenus d'exprimer les motifs de leur refus; 3° dans le cours de chaque décade un cahier d'instruction civique et républicaine sera rédigé, publié, lu dans toutes les communes devant le peuple assemblé é; 4 des Ecoles normales (1) seront instituées ; 5o des mesures seront prises pour la prospérité des finances, du commerce, de l'agriculture, etc.

La situation militaire de la République se lisait chaque jour dans l'annonce d'une nouvelle victoire; toutefois la Convention nationale, après avoir applaudi au résultat d'une campagne si mémorable dans nos fastes, voulut connaître la marche des principales opérations: Carnot, qui les avait dirigées en partie, lui présenta le rapport suivant.

(1) Voyez à ce sujet la note de la page 402 du tome XV.

RAPPORT sur la situation militaire de la République, fait par Carnot au nom du comité de salut public. Du 1er vendémiaire an 3. (22 septembre 1794.)

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Citoyens, vous avez ordonné qu'il serait fait par votre comité de salut public un rapport sur les événemens qui ont précédé, accompagné et suivi la prise de Landrecies, du Quesnoy, de Valenciennes et de Condé. Les derniers renseignemens que nous attendions étant arrivés, nous nous empressons de satisfaire au devoir que vous nous avez prescrit. Je vais donc tracer devant vous, au nom du comité de salut public, l'époque la plus saillante d'une campagne qui ellemême offre la série d'événemens militaires la plus glorieuse pour la liberté dont il soit fait mention dans les annales des peuples.

>> La reprise des quatre forteresses envahies sur la frontière du nord n'est point une victoire par elle-même; mais elle est le résultat de trente victoires qui l'avaient précédée : le sang que devait coûter ces forteresses était répandu d'avance, et le bonheur des combinaisons militaires a été d'empêcher qu'il n'en fût versé de nouveau; ça été de préparer les choses de manière que ces redoutables boulevarts, qui pouvaient tant coûter encore, tombassent d'eux-mêmes, fussent enlevés comme une palme digne des guerriers intrépides qui avaient juré de ressaisir de leurs mains républicaines le sol de la liberté.

» Dès l'ouverture de la campagne le comité de salut public avait senti la nécessité de s'écarter dans le cours de cette guerre des routes usitées. Des places formidables à reprendre, appuyées d'un côté par la Sambre et la forêt de Mormalle, de l'autre par la Scarpe et les bois de Saint-Amand, soutenues par tout ce que l'ennemi avait pu concentrer sur ce point de forces animées par l'espoir de la contre-révolution et du pillage de la France; voilà les obstacles qu'il fallait vaincre avec des troupes presque toutes de nouvelle levée : ils étaient tels ces obstacles qu'en les attaquant de front deux ans d'une prospérité continue, une perte d'hommes incalculable,

une consommation de munitions de guerre excédant tout ce qui existait dans les magasins, pouvaient à peine en faire espérer le renversement.

» Le comité de salut public résolut donc, au lieu d'attaquer l'ennemi dans la trouée qui avait été faite, de se porter sur ses deux flancs, de le cerner, de lui couper ses communications, et de le réduire enfin à l'option ou d'abandonner le territoire envahi, ou d'y rester lui-même enfermé et d'y périr. C'est ce plan, suivi avec persévérance par le comité, exécuté avec autant d'énergie que de talent par les généraux, consommé enfin par la ténacité et le courage incomparable des soldats de la République, qui a fait crouler en un moment tout cet échafaudage de conquêtes formé par les brigands coalisés.

» Si l'ennemi a pénétré ce dessein il a cru sans doute qu'on n'aurait pas la hardiesse de l'exécuter, et qu'en se portant lui-même audacieusement en deçà de la frontière il ferait voler la terreur jusqu'à Paris ; il crut surtout, lorsque la trahison lui eut livré Landrecies, que la masse de nos forces allait abandonner ses postes avancés pour accourir à la défense de Cambrai; que nous allions disséminer les troupes dans des camps intermédiaires, et nous laisser battre en détail en défendant successivement les faibles barrières qui nous restaient encore. Il nous faisait charitablement suggérer ses mesures; il les faisait appuyer par ses affidés dans Paris, qui se disaient les patriotes par excellence, qui criaient à la trahison sur ce qu'on retirait les forces du point menacé au lieu d'y en amener de nouvelles, c'est à dire de ce qu'on n'exécutait pas le projet de l'empereur. Mais au milieu de ses brillantes espérances Cobourg nous vit lui-même tout à coup sur ses ailes, gagnant ses derrières, et il n'eut que le temps de se retirer honteusement au plus vite du labyrinthe où il s'était engagé.

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Rappelé à la défense de ses propres foyers, et néanmoins toujours maître de nos places, faisant agir ses moyens ordinaires d'insolence, de ravage et de corruption, il espérait au moins nous faire consumer le reste de la campagne sans événement décisif; et c'eût été nous vaincre en effet que de nous paralyser. Mais on lui préparait sur les bords de la

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Moselle un rassemblement de cinquante mille braves, qui, recevant tout à coup l'ordre de venir à travers les Ardennes prendre en flanc l'armée ennemie, et conduits avec autant de bonheur que de sagesse par Jourdan, rompirent bientôt l'équilibre, et fixèrent la victoire sur les bords de la Sambre et de la Meuse, pendant que Pichegru la fixait de son côté sur les bords de la Lys et de l'Escaut contre les satellites de Georges, par six batailles sanglantes et autant de villes prises.

» Ces succès répondirent tellement aux espérances du comité de salut public, que l'arrêté par lequel il avait déterminé le plan de la campagne au commencement a plutôt l'air d'une inspiration que d'un projet soumis aux hasards des combats.

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Immédiatement après la bataille de Fleurus, qui eut lieu le 8 messidor, les généraux reçurent l'ordre de couper sur le champ la communication des places envahies, et de les bloquer le plus exactement qu'il serait possible en attendant qu'on fût en mesure d'en faire l'attaque.

» Cette opération éprouva quelque lenteur, inséparable d'un mouvement général qui avait entraîné presque toutes nos troupes à la poursuite des ennemis fuyards. Ils en profitèrent pour s'approvisionner dans les places cernées en ravageant le plat pays, et faisant rentrer dans leurs murs tout ce qu'ils purent trouver dans les campagnes environnantes de bestiaux, de grains et de fourrage; ils parvinrent ainsi à se mettre en état de soutenir dans ces places, et particulièreinent dans Valenciennes et dans Condé, un siége de huit ou neuf mois.

» Nos avantages demeuraient donc précaires; un échec reçu par nous pouvait ramener l'Autrichien au point d'où nous l'avions chassé. Pour recouvrer nos places par des aitaques régulières il fallait détacher des armées des troupes considérables, ce qui les affaiblissait et les réduisait à une défense périlleuse; il fallait des munitions énormes, que nous n'avions pas; et en supposant enfin que ces places, très fortes, se fussent-rendues après une défense médiocre, elles nous revenaient démautelées; la frontière restait ouverte, et la campague entière était consumée à cette opération.

» Le comité, délibérant sur cette position délicate, vit qu'il fallait sortir des règles de la prudence, et enlever nos places pour ainsi dire révolutionnairement et sans effusion du sang républicain. C'était le problème; votre décret du 16 messidor l'a résolu. En voici le texte :

(1)« Toutes les troupes des tyrans coalisés renfermées » dans les places du territoire français envahies par l'ennemi » sur la frontière du nord, et qui ne se seront pas rendues » à discrétion vingt-quatre heures après la sommation qui leur » en sera faite par les généraux des armées de la République, » ne seront admises à aucune capitulation, et seront passées » au fil de l'épée.

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» Le but de ce décret était, en frappant l'ennemi de terreur, de l'obliger à se dessaisir sur le champ de nos possessions, où, vu l'éloignement et l'abandon de ses armées, il ne pouvait plus se regarder que comme un voleur détaché de sa bande et enveloppé; d'épargner les troupes, les travaux, le temps, les munitions, et de faire restituer à la vaillance et à la fierté républicaine ce que lui avaient enlevé l'infamie des esclaves et la lâcheté de leur maître.

» Cette loi néanmoins eût pu devenir une arme terrible contre nous-mêmes en des mains impures ou maladroites : maniée avec dextérité, elle devaient foudroyer les dernières espérances de l'ennemi; gauchement exécutée, elle pouvait le porter au désespoir et augmenter sa résistance.

» Mais la grande latitude que vous aviez laissée à votre comité sur le mode d'exécution des mesures militaires lui laissait la faculté de diriger l'effet de celle-ci. Il savait que ce n'était point un décret de carnage que vous aviez voulu rendre, mais un décret pour sauver la patrie; et sous ce

(1) C'est à l'occasion de ce décret, rendu à l'unanimité sur la proposition du comité de salut public, que le rapporteur Barrère prononça cette phrase, reçue alors aux cris de vive la République, et tant reprochée à son auteur quand la République eut cessé d'exister : « Transigez » aujourd'hui, ils vous attaqueront demain avec audace; endormez>> vous un instant sur vos lauriers, ils vous massacreront demain sans pitié. Non, non! que les ennemis périssent! Il n'y a que les morts » qui ne reviennent point.

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