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cipes, et qui marquent des qualités très différentes. C'est une subtilité scolastique, et qui marque un orateur très éloigné de bien connoître la nature, que de vouloir rapporter tout à une seule cause. Le vrai moyen de faire un portrait bien ressemblant est de peindre un homme tout entier; il faut le mettre devant les yeux des auditeurs, parlant et agissant. En décrivant le cours de sa vie, il faut appuyer principalement sur les endroits où son naturel et sa grace paroissent davantage; mais il faut un peu laisser remarquer ces choses à l'auditeur. Le meilleur moyen de louer le saint, c'est de raconter ses actions louables. Voilà ce qui donne du corps et de la force à un éloge; voilà ce qui instruit ; voilà ce qui touche. Souvent les auditeurs s'en retournent sans savoir la vie du saint dont ils ont entendu parler une heure; tout au plus ils ont entendu beaucoup de pensées sur un petit nombre de faits détachés et marqués sans suite. Il faudroit au contraire peindre le saint au naturel, le montrer tel qu'il a été dans tous les âges, dans toutes les conditions et dans les principales conjonctures où il a passé. Cela n'empêcheroit point qu'on ne remarquât son caractère; on le feroit même bien mieux remarquer par ses actions et par ses paroles, que par des pensées et des desseins d'imagination.

B. Vous voudriez donc faire l'histoire de la vie du saint, et non pas son panégyrique,

A. Pardonnez-moi, je ne ferois point une narration simple. Je me contenterois de faire un tissu des faits principaux mais je voudrois que ce fut un récit concis, pressé, vif, plein de mouvements; je voudrois que chaque mot donnât une haute idée des saints, et

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fut une instruction pour l'auditeur. A cela j'ajouterois toutes les réflexions morales que je croirois les plus convenables. Ne croyez-vous pas qu'un discours fait de cette manière auroit une noble et aimable simplicité? Ne croyez-vous pas que les vies des saints en seroient mieux connues, et les peuples plus édifiés ? Ne croyezvous pas même, selon les règles de l'éloquence que nous avons posées, qu'un tel discours seroit plus éloquent que tous ces panégyriques guindés qu'on voit d'ordinaire?

B. Je vois bien maintenant que ces sermons - là ne seroient ni moins instructifs, ni moins touchants, ni moins agréables que les autres. Je suis content, monsieur, en voilà assez; il est juste que vous alliez vous délasser. Pour moi, j'espère que votre peine ne sera pas inutile; car je suis résolu de quitter tous les recueils modernes et tous les pensieri italiens. Je veux étudier fort sérieusement toute la suite et tous les principes de la religion dans ses sources.

C. Adieu, monsieur pour tout remercîment, je vous assure que je vous croirai.

A. Bon soir, messieurs; je vous quitte avec ces paroles de saint Jérôme à Népotien: Quand vous enseignerez dans l'église, n'excitez point les applaudissements, mais les gémissements du peuple. Que les larmes de vos auditeurs soient vos louanges. Il faut que les discours d'un prêtre soient pleins de l'écriture sainte. Ne soyez pas un déclamateur, mais un vrai docteur des mystères de votre Dieu.

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LETTRE

ÉCRITE A L'ACADÉMIE FRANÇOISE, Sur l'éloquence, la poésie, l'histoire, etc.

Je suis honteux, monsieur (1), de vous devoir depuis si long-temps une réponse : mais ma mauvaise santé et mes embarras continuels ont causé ce retardement. Le choix que l'académie a fait de votre personne pour l'emploi de son secrétaire perpétuel est digne de la compagnie, et promet beaucoup au public pour les belles lettres. J'avoue que la demande que vous me faites au nom d'un corps auquel je dois tant m'embarrasse un peu mais je vais parler au hasard, puisqu'on l'exige. Je le ferai avec une grande défiance de mes pensées, et une sincère déférence pour ceux qui daignent me consulter.

I.

Projet d'achever le dictionnaire.

LE dictionnaire auquel l'académie travaille mérite sans doute qu'on l'achève. Il est vrai que l'usage, qui change souvent pour les langues vivantes, pourra changer ce que ce dictionnaire aura décidé.

Nedum sermonum stet honos et gratia vivax.
Multa renascentur quæ jam cecidere, cadeníque
Quæ nunc sunt in honore, vocabula, si volet usus
Quem penes arbitrium est et jus et norma loquendi.
HORAT. Art. poet. vers. 69.

(1) M. Dacier.

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Mais ce dictionnaire aura divers usages. Il servira aux étrangers, qui sont curieux de notre langue, et qui lisent avec fruit les livres excellents en plusieurs genres qui ont été faits en France. D'ailleurs les Français les plus polis peuvent avoir quelquefois besoin de recourir à ce dictionnaire par rapport à des termes sur lesquels ils doutent. Enfin, quand notre langue sera changée, il servira à faire entendre les livres dignes de la postérité qui sont écrits en notre temps. N'eston pas obligé d'expliquer maintenant le langage de Villehardouin et de Joinville? Nous "serions ravis d'avoir des dictionnaires grecs et latins faits par les anciens mêmes. La perfection des dictionnaires est même un point où il faut avouer que les modernes ont enchéri sur les anciens. Un jour on sentira la commodité d'avoir un dictionnaire qui serve de clef à tant de bons livres. Le prix de cet ouvrage ne peut manquer de croître à mesure qu'il vieillira.

I I.

IL seroit à désirer, ce me semble, qu'on joignît au dictionnaire une grammaire française: elle soulageroit beaucoup les étrangers, que nos phrases irrégulières embarrassent souvent. L'habitude de parler notre langue nous empêche de sentir ce qui cause leur embarras. La plupart même des Français auroient quelquefois besoin de consulter cette règle: ils n'ont appris leur langue que par le seul usage, et l'usage a quelques défauts en tous lieux. Chaque province a les siens; Paris n'en est pas exempt. La cour même se ressent un peu du langage de Paris, où les enfants de la plus haute condition sont d'ordinaire élevés. Les personnes les plus polies ont de la peine à se corriger sur certaines

façons de parler qu'elles ont prises pendant leur enfance en Gascogne, en Normandie, ou à Paris même, par le commerce des domestiques.

Les Grecs et les Romains ne se contentoient pas d'avoir appris leur langue naturelle par le simple usage; ils l'étudioient dans un âge mûr par la lecture des grammairiens, pour remarquer les règles, les exceptions, les étymologies, les sens figurés, l'artifice de toute la langue, et ses variations.

Un savant grammairien court risque de composer une grammaire trop curieuse et trop remplie de préceptes. Il me semble qu'il faut se borner à une méthode courte et facile. Ne donnez d'abord que les règles les plus générales; les exceptions viendront peu à peu. Le grand point est de mettre une personne le plus tôt qu'on peut dans l'application sensible des règles par un fréquent usage ensuite cette personne prend plaisir à remarquer le détail des règles qu'elle a suivies d'abord sans y prendre garde.

Cette grammaire ne pourroit pas fixer une langue vivante; mais elle diminueroit peut-être les changements capricieux par lesquels la mode règne sur les termes comme sur les habits. Ces changements de pure fantaisie peuvent embrouiller et altérer une langue au lieu de la perfectionner.

III.

OSERAI-JE hasarder ici, par un excès de zèle, une proposition que je soumets à une compagnie si éclairée? Notre langue manque d'un grand nombre de mots et de phrases: il me semble même qu'on l'a gênée et appauvrie depuis environ cent ans en voulant la puri

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