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fort près de la place. Trente autres Espagnols, habillés en paysans et en paysannes, les uns avec des hottes, les autres avec des paniers, s'avancent jusqu'à l'entrée. Ils conduisent trois chariots, dont l'un doit s'arrêter sous la porte, à l'endroit qui répond à la herse, pour la soutenir lorsqu'on l'abattra. Aussitôt que la porte est ouverte, deux des chariots entrent. Ceux qui conduisent le troisième, chargé de sacs de noix, s'arrêtent à l'endroit marqué. Un d'entr'eux ouvre à dessein un des sacs, et les noix se répandent devant le corps-de-garde. Tandis que les bourgeois qui composaient le corps-de-garde se font un amusement de les ramasser, ils sont tués ou mis en fuite par les soldats déguisés. Les cinq cents hommes cachés dans le voisinage accourent aussitôt et entrent sans opposition par la porte que la charrette a empêché de fermer.

20. Présence d'Esprit.-Les papiers publics de Vienne, de l'année 1776, marquent qu'on arrêta quatre soldats qui, ayant été convaincus du crime de désertion, furent condamnés par le conseil de guerre à tirer aux dés lequel d'entr'eux subirait la peine de mort. Il y en eut trois qui se conformèrent au jugement du conseil de guerre; mais le quatrième refusa constamment de tirer; il allégua pour motif de son refus la défense que l'empereur avait faite de jouer à aucun jeu de hasard. Sa majesté impériale ayant été informée de la présence d'esprit de ce malheureux dans un moment aussi critique, ordonna qu'on lui fît grâce, ainsi qu'à ses trois camarades.

Une

21. La Franchise déplacée. diligence anglaise, pleine de voyageurs, se rendait à une grande ville. On parla beaucoup de voleurs de grand chemin qui, sur cette route, arrêtaient et dépouillaient souvent les voyageurs; on se demanda comment on pouvait sauver de leurs mains son argent. Chacun se vanta d'avoir pris ses mesures et d'être en sûreté.

Une jeune femme imprudente, qui voulait sans doute faire admirer son adresse, et qui ne songeait pas que la franchise était là fort déplacée, dit: Quant à moi, je porte avec moi tout ce que je possède: c'est un billet de deux cents livres sterling (environ

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deux cent louis); je l'ai si bien caché que certainement les voleurs ne le trouveront pas : il est dans mon soulier, sous mon bas.'

Peu d'instants après survinrent des voleurs qui demandèrent aux voyageurs leur bourse: ils y trouvèrent si peu de chose qu'ils ne voulurent pas s'en contenter, et déclarèrent d'un ton menaçant qu'ils fouilleraient et maltraiteraient rudement les voyageurs, si on ne leur donnait pas sur-le-champ cent livres sterling. Ils paraissaient prêts à exécuter leur menace.

'Vous trouverez aisément le double de ce que vous demandez, leur dit un vieux homme assis dans le fond de la voiture et qui, pendant toute la route, n'avait rien dit ou n'avait parlé que par monosyllabes. Faites seulement quitter à madame ses bas et ses souliers.'

Les voleurs suivirent ce conseil, prirent le billet et partirent.

22. Suite. Quand la diligence arriva le soir dans la ville, le vieillard s'éloigna avant que personne eût pu lui faire sentir son mécontentement. La jeune femme passa une nuit affreuse. Quelle fut sa surprise lorsque, le lendemain matin, on vint lui remettre quatre cents livres sterling, un fort beau peigne, et la lettre que voici !

'Madame,-L'homme que vous détestiez hier avec raison, vous envoie la somme que vous avez perdue, des intérêts qui la doublent, et un peigne d'une valeur à peu près égale. Je suis désolé de la peine que j'ai été obligé de vous faire. Quelques mots vous expliqueront ma conduite. J'arrive des Indes, où j'ai passé dix années fort pénibles: ce que j'y ai gagné par mon travail se monte à trente mille livres sterling que j'avais hier en billets dans ma poche; si j'eusse été fouillé avec la sévérité dont on nous menaçait, je perdais tout. Que devais-je faire? Je ne pouvais m'exposer à être obligé de retourner aux Indes les mains vides. Votre franchise m'a fourni le moyen de me tirer d'embarras: aussi je vous prie de ne faire aucune attention à ce petit présent et de me croire à l'avenir votre tout dévoué.'

23. Frédéric le Grand.-Un jour que la duchesse de Brunswic était à Potsdam, ce roi fit présent au comte de

Schwerin, son grand-écuyer, d'une tabatière en or, dans le couvercle de laquelle était peint un âne. Le comte n'eut pas plutôt quitté le roi, qu'il envoya son valet de chambre à Berlin, fit ôter l'âne et mettre le portrait du roi à la place. Le lendemain à dîner le comte affecta de mettre sa boîte sur la table. Le roi, qui voulait amuser la duchesse aux dépens du grandécuyer, parle de la boîte qu'il a donnée à ce dernier. On la lui passe, elle l'ouvre, et s'écrie: Parfait, tout-àfait ressemblant! En vérité, mon frère, voilà un des meilleurs portraits que j'aie vu de vous.' Le roi était embarrassé, il trouvait la plaisanterie un peu forte. La duchesse passa la boîte à son voisin, qui fit les mêmes exclamations. La boîte fait ainsi le tour de la table, et chacun se récrie sur la ressemblance. Le roi ne savait que penser de cette scène. Lorsqu'enfin la boîte lui parvint, il reconnut le tour et ne put s'empêcher de rire.

24. Combat des Thermopyles.-Léonidas pressait sa marche: il voulait, par son exemple, retenir dans le devoir plusieurs villes prêtes à se déclarer pour les Perses; il passa par les terres des Thébains, dont la foi était suspecte, et qui lui donnèrent néanmoins quatre cents hommes avec lesquels il alla se camper aux Thermopyles.

Léonidas plaça son armée auprès du bourg d'Anthéla, rétablit le mur des Phocéens, et jeta en avant quelques troupes pour en défendre les approches. Mais il ne suffisait pas de garder le passage qui est au pied de la montagne; i existait sur la montagne même un sentier qui commençait à la plaine de Trachis, et qui, après différents détours, aboutissait auprès du bourg d'Alpénus. Léonidas en confia la défense aux mille Phocéens qu'il avait avec lui, et qui allèrent se placer sur les hauteurs du mont Eta.

Ces dispositions étaient à peine achevées, que l'on vit l'armée de Xercès se répandre dans la Trachinie, et couvrir la plaine d'un nombre infini de tentes. A cet aspect, les Grecs délibérèrent sur le parti qu'ils avaient à prendre. La plupart des chefs proposaient de se retirer à l'isthme; mais Léonidas ayant rejeté cet avis, on se contenta de faire partir des courriers pour presser le secours des villes alliées.

K

25. Suite.-Alors parut un cavalier perse, envoyé par Xercès pour reconnaître les ennemis. Le poste avancé des Grecs était, ce jour-là, composé des Spartiates: les uns s'exerçaient à la lutte; les autres peignaient leur chevelure; car leur premier soin, dans ces sortes de dangers, est de parer leurs têtes. Le cavalier eut tout le loisir d'en approcher, de les compter, de se retirer, sans qu'on daignât prendre garde à lui. Comme le mur lui dérobait la vue du reste de l'armée, il ne rendit compte à Xercès que des trois cents hommes qu'il avait vus à l'entrée du défilé.

Le roi, étonné de la tranquillité des Lacédémoniens, attendit quelques jours pour leur laisser le temps de la réflexion. Le cinquième, il écrivit à Léonidas: 'Si tu veux te soumettre, je te donnerai l'empire de la Grèce.' Léonidas répondit: J'aime mieux mourir pour ma patrie, que de l'asservir.' Une seconde lettre du roi ne contenait que ces mots: 'Rends-moi tes armes. Léonidas écrivit au-dessous: Viens les prendre.'

Les

26. Suite.-Xercès, outré de colère, fait marcher les Mèdes et les Cissiens, avec ordre de prendre ces hommes en vie, et de les lui amener sur-le-champ. Quelques soldats courent à Léonidas, et lui disent: Les Perses sont près de nous.' Il répond froidement: Dites plutôt que nous sommes près d'eux.' Aussitôt il sort du retranchement avec l'élite de ses troupes et donne le signal du combat. Les Mèdes s'avancent en fureur; leurs premiers rangs tombent percés de coups; ceux qui les remplacent éprouvent le même sort. Grecs, pressés les uns contre les autres, et couverts de grands boucliers, présentent un front hérissé de longues piques. De nouvelles troupes se succèdent vainement pour les rompre. Après plusieurs attaques infructueuses, la terreur s'empare des Mèdes; ils fuient, et sont relevés par le corps des dix mille Immortels que commandait Hydarnès. L'action devint alors plus meurtrière. La valeur était peut-être égale de part et d'autre; mais les Grecs avaient pour eux l'avantage des lieux et la supériorité des armes. Les piques des Perses étaient trop courtes, et leurs boucliers trop petits; ils perdirent beaucoup de monde, et Xercès, témoin de leur fuite, s'élança, dit-on,

plus d'une fois de son trône, et craignit pour son armée.

27. Suite.-Le lendemain le combat recommença, mais avec si peu de succès de la part des Perses, que Xercès désespérait de forcer le passage. L'inquiétude et la honte agitaient son âme orgueilleuse et pusillanime, lorsqu'un habitant de ces cantons, nommé Épialtès, vint lui découvrir le sentier fatal par lequel on pouvait tourner les Grecs. Xercès, transporté de joie, détacha aussitôt Hydarnès avec le corps des Immortels. Epialtès leur sert de guide: ils partent au commencement de la nuit; ils pénètrent dans le bois de chênes dont les flancs de ces montagnes sont couverts, et parviennent vers les lieux où Léonidas avait placé un détachement de son armée.

Hydarnès le prit pour un corps de Spartiates; mais, rassuré par Épialtès qui reconnut les Phocéens, il se préparait au combat, lorsqu'il vit ces derniers, après une légère défense, se réfugier sur les hauteurs voisines. Les Perses continuèrent leur route.

28. Suite.-Pendant la nuft, Léonidas avait été instruit de leur projet par des transfuges échappés du camp de Xercès; et, le lendemain matin, il le fut de leurs succès par des sentinelles accourues du haut de la montagne. A cette terrible nouvelle, les chefs des Grecs s'assemblèrent. Comme les uns étaient d'avis de s'éloigner des Thermopyles, les autres d'y rester, Léonidas les conjura de se réserver pour des temps plus heureux, et déclara que, quant à lui et à ses compagnons, il ne leur était pas permis de quitter un poste que Sparte leur avait confié. Les Thespiens protestèrent qu'ils n'abandonneraient point les Spartiates; les quatre cents Thébains, soit de gré, soit de force, prirent le même parti; le reste de l'armée eut le temps de sortir du défilé.

Cependant Léonidas se disposait à la plus hardie des entreprises: 'Ce n'est point ici,' dit-il à ses compagnons, que nous devons combattre; il faut marcher à la tente de Xercès, l'immoler, ou périr au milieu de son camp.' Les soldats ne répondirent que par un cri de joie. Il leur fait prendre un repas frugal, en ajoutant: Nous en prendrons bientôt un autre chez Pluton.' Toutes ses paroles laissaient une impression profonde dans les esprits. Près

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29. Suite.-Au milieu de la nuit, les Grecs, Léonidas à leur tête, sortent du défilé, avancent à pas redoublés dans la plaine, renversent les postes avancés, et pénètrent dans la tente de Xercès, qui avait déjà pris la fuite: ils entrent dans les tentes voisines, se répandent dans le camp, et se rassasient de carnage. La terreur qu'ils inspirent se reproduit à chaque pas, à chaque instant, avec des circonstances plus effrayantes. Des bruits sourds, des cris affreux, annoncent que les troupes d'Hydarnès sont détruites; que toute l'armée le sera bientôt par les forces réunies de la Grèce. Les plus courageux des Perses ne pouvant entendre la voix de leurs généraux, ne sachant où porter leurs pas, où diriger leurs coups, se jetaient au hasard dans la mêlée, et périssaient par les mains les uns des autres, lorsque les premiers rayons du soleil offrirent à leurs yeux le petit nombre des vainqueurs. Ils se forment aussitôt, et attaquent les Grecs de toutes parts. Léonidas tombe sous une grêle de traits. L'honneur d'enlever son corps engage un combat terrible entre ses compagnons et les troupes les plus aguerries de l'armée persane. Deux frères de Xercès, quantité de Perses, plusieurs Spartiates y perdirent la vie. A la fin, les Grecs, quoique épuisés et affaiblis par leurs pertes, enlèvent leur général, repoussent quatre fois l'ennemi dans leur retraite; et, après avoir gagné le défilé, franchissent le retranchement, et vont se placer sur la petite colline qui est auprès d'Anthéla: il s'y défendirent encore quelques moments, et contre les troupes qui les suivaient, et contre celles qu'Hydarnès amenait de l'autre côté du détroit.

Pardonnez, ombres généreuses, votre mémoire subsistera plus longtemps que l'empire des Perses, auquel vous avez résisté; et jusqu'à la fin des siècles, votre exemple produira dans les cœurs qui chérissent leur patrie le recueille

ment ou l'enthousiasme de l'admiration.

30. Le Prince Menzikoff-Le Prince Menzikoff vendait dans sa jeunesse des petits pâtés dans les rues de Moscou. Un jour il entre par hasard dans la cuisine d'un boyard, où le czar Pierre devait dîner. Le boyard y donnait quelques ordres et parlait à son cuisinier d'un plat que le prince aimait beaucoup. Le jeune Menzikoff vit qu'à l'insu du cuisinier le boyard y jetait une poudre en manière d'épices. Il remarque attentivement ce mets, pour pouvoir le reconnaître lorsqu'il sera servi, et il sort; il se promène devant la maison du boyard jusqu'à l'arrivée du prince. Aussitôt que Menzikoff le voit, il crie ses pâtés plus fort que de coutume; il chante, s'approche du prince et cherche à se mettre en évidence. Pierre frappé de sa bonne mine l'appelle, lui fait quelques questions, auxquelles le jeune homme répond d'une manière si heureuse que le prince lui dit: Je te retiens à mon service.' Menzikoff s'incline, accepte avec transport, et sans en recevoir l'ordre, lorsqu'on fut à table, il entre, s'avance, pénètre jusqu'à la salle et se place hardiment derrière le fauteuil du czar.

31. Suite.-Le plat paraît; Menzikoff se baisse, et glisse à l'oreille du prince de ne pas y toucher. Pierre se lève, et d'un air riant, sous un prétexte plausible, entraîne le jeune homme dans la pièce voisine. Là Menzikoff lui explique ce qui lui rend le plat suspect. Le czar rentre, et du même air dont il était sorti il se remet à table. Le boyard vante le mets poudré au prince, et l'assure qu'il sera de bon goût. Le prince lui ordonne de venir et de s'asseoir auprès de lui, prend de ce plat, en met sur une assiette et invite le boyard à en manger le premier, pour lui donner l'exemple et s'assurer de sa bonté. Le boyard change de couleur et d'un air embarrassé dit que comme sujet il n'ose manger ni avant le prince, ni dans une même assiette avec le prince. L'assiette est aussitôt présentée à un chien, qui avale gloutonnement ce qu'elle contenait. Mais quelques instants après ses yeux se troublent, il va, il vient, il tourne sur luimême, il chancelle et il meurt. Le chien fut ouvert, le poison constaté, le

boyard gardé à vue, et le lendemain il fut trouvé mort dans son lit. Menzikoff n'eut plus besoin dès-lors de vendre des petits pâtés; le premier pas de sa fortune rapide était fait.

32. Aventure Arrivée à l'Archevêque de Reims.-L'archevêque de Reims venait hier fort vite de Saint-Germain; c'était comme un tourbillon. Il croit bien être grand seigneur, mais ses gens le croient encore plus que lui. Ils passaient au travers de Nanterre, tra, tra, tra; ils rencontrent un homme à cheval, gare, gare: ce pauvre homme veut se ranger, son cheval ne veut pas ; et enfin le carrosse et les six chevaux renversent le pauvre homme et le cheval, et passent par-dessus, et si bien par-dessus que le carrosse en fut versé et renversé. En même temps l'homme et le cheval, au lieu de s'amuser à être roués et estropiés, se relèvent miraculeusemeut, remontent l'un sur l'autre, et s'enfuient et courent encore, pendant que les laquais de l'archevêque, et le cocher et l'archevêque même, se mettent à crier: 'Arrête, arrête ce coquin; qu'on lui donne cent coups.' L'archevêque, en racontant ceci, disait : 'Si j'avais tenu ce maraud-là, je lui aurais rompu les bras et les oreilles.'

33.-Il faut que je vous conte une petite historiette qui est très-vraie et qui vous divertira. Le roi se mêle depuis peu de faire des vers; MM. de St.-Agnan et Dangeau lui apprennent comment il faut s'y prendre.

Il fit l'autre jour un petit madrigal que lui-même ne trouva pas trop joli. Un matin il dit au maréchal de Grammont: M. le Maréchal, lisez, je vous prie, ce petit madrigal, et voyez si vous en avez vu un aussi impertinent: parcequ'on sait que depuis peu j'aime les vers, on m'en apporte de toutes les façons.' Le maréchal, après avoir lu, dit au roi: Sire, votre majesté juge divinement bien de toutes choses; il est vrai que voilà le plus sot et le plus ridicule madrigal que j'aie jamais lu.' Le roi se mit à rire, et lui dit: 'N'estil pas vrai que celui qui l'a fait est bien fat?' Sire, il n'y a pas moyen de lui donner un autre nom.' 'Oh bien!' dit le roi, je suis ravi que vous en ayez parlé si bonnement; c'est moi qui l'ai fait.' 'Ah! sire, quelle trahison! que votre majesté me le rende, je l'ai lu brusquement.' 'Non, M. le

Maréchal, les premiers sentiments sont toujours les plus naturels.'

Le roi a fort ri de cette folie, et tout le monde trouve que voilà la plus cruelle petite chose que l'on puisse faire à un vieux courtisan. Pour moi, qui aime toujours à faire des réflexions, je voudrais que le roi en fit là-dessus, et qu'il jugeât par là combien il est loin de connaître jamais la vérité.

On

34. Les Canards.-On appelle aujourd'hui canard un nouvelle plus ou moins absurde, à laquelle on donne cours en lui prêtant une forme vraisemblable, pour renchérir sur les nouvelles ridicules que les journaux nous apportent chaque matin. Voici, selon quelques amateurs d'antiquités, l'origine de ce nom. Cornelissen, savant naturaliste, avait fait annoncer dans les colonnes d'une feuille publique qu'on venait de faire une expérience intéressante, bien propre à constater l'étonnante voracité des canards. avait réuni vingt de ces volatiles; l'un d'eux avait été haché menu avec ses plumes et servi aux dix-neuf autres, qni en avaient avalé gloutonnement les débris; l'un de ces derniers, à son tour, avait servi immédiatement de pâture aux dix-huit suivants, et ainsi de suite jusqu'au dernier, qui se trouvait, par le fait, avoir dévoré ses dixneuf confrères dans un temps déterminé très-court. Tout cela, spirituellement raconté, obtint un succès que l'auteur était loin d'en attendre. Cette petite histoire fut répétée de proche en proche par tous les journaux et fit le tour de l'Europe. Elle était à peu près oubliée depuis une vingtaine d'années, lorsqu'elle nous revint d'Amérique avec tous les développements qu'elle n'avait point dans son origine, et avec une espèce de procès-verbal de l'autopsie du dernier survivant. On finit par rire de l'historie du canard, mais le mot resta.

35.-Le comte d'Alb

officier des gardes du corps, désirant aller de Versailles à Paris, entendit dans une société le marquis de M-, qu'il ne connaissait pas, dire qu'il comptait faire ce petit voyage ce même jour. Il l'aborde, et, avec cette gaîté de Gascon qu'il avait conservée aussi bien que l'accent national: Monsieur,' lui dit-il, vous allez aujourd'hui à Paris, sans doute dans votre voiture?' 'Oui,

monsieur; pourrais-je vous être bon à quelque chose?' Vous me feriez bien plaisir si vous vouliez y mettre ma redingote.' 'Très-volontiers; où la déposerai-je en arrivant?' 'Oh! ne vous inquiétez pas de cela: je serai dedans.'

36.-Zeuxis et Parrhasius, deux fameux peintres de l'antiquité,épris d'une noble émulation, entrèrent un jour en lice, et se disputèrent le prix proposé à leurs rares talents. Zeuxis parut le premier avec un tableau qui représentait un enfant portant une corbeille de raisins. Ces fruits étaient rendus avec tanti de vérité, que les oiseaux, s'y trompant, s'approchèrent pour les becqueter. Parrhasius vint ensuite. Il avait peint sur son tableau un rideau. Son rival, fier du suffrage des oiseaux, se flattait déjà de la victoire. Tirez votre rideau,' lui dit-il d'un ton qu'animait l'amour-propre; 'voyons votre ouvrage Tirez-le vous-même,' répond tranquillement Parrhasius, et jugez.' Zeuxis, s'approchant, porte la maine sur le tableau; mais quelle est sa surprise en ne trouvant, au lieu d'un rideau, que des couleurs! Il s'avoue vaincu; et, trouvant moins difficile de tromper les oiseaux que les yeux d'un peintre, il rend, le premier, hommage au triomphe de son antagoniste.

37. Dix Mille Livres de Rente.Quand j'avais dix-huit ans-je vous parle d'une époque bien éloignéej'allais, durant la belle saison, passer la journée du dimanche à Versailles, ville qu'habitait ma mère.

En sortant des barrières, j'étais toujours sûr de trouver un grand pauvre qui criait d'une voix glapissante: La charité, s'il vous plaît, mon bon Monsieur! De son côté, il était bien sûr d'entendre résonner dans son chapeau une grosse pièce de deux sous.

Un jour que je payais mon tribut à Antoine-c'était le nom de mon pensionnaire il vint à passer un petit monsieur poudré, sec, vif, et à qui Antoine adressa son mémento criard: La charité, s'il vous plaît, mon bon Monsieur! Le passant s'arrêta, et, après avoir considéré quelques moments le pauvre Vous me paraissez,' lui ditil, intelligent et en état de travailler : pourquoi faire un si vil métier? Je veux vous tirer de cette triste situation et vous donner dix mille livres de

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