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DISCUSSION. De l'influence de la civilisation sur l'accroissement de la popu

lation.

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OUVRAGES PRÉSENTÉS.

La séance est présidée par M. Frédéric Passy, membre de l'Institut. M. A. Courtois, secrétaire perpétuel, énumère les ouvrages présentés, dont on trouvera la liste plus loin. Parmi ces ouvrages, M. Courtois tient à signaler le volumineux rapport (440 pages) sur la mairie du Xe arrondissement publié par M. Georges Villain, conseiller municipal. C'est non seulement une œuvre administrative, mais aussi un travail archéologique fort intéressant sur le Xe arrondissement (jadis Ve) avec de nombreux plans dont un remontant à 1555 et des illustrations faisant connaître la nouvelle mairie récemment inaugurée. Ce travail rappelle le rapport fait, il y a plusieurs années, également par M. G. Villain, sur le quartier du Temple et ses vicissitudes à travers les âges.

Le secrétaire perpétuel rappelle ensuite aux membres présents le 8o Congrès du Crédit populaire et agricole qui s'ouvrira à Caen du 10 au 12 mai prochain, et il invite ses collègues à y prendre part. Il rappelle également que la séance générale annuelle de la Société française d'arbitrage se tiendra le 21 mars à la mairie du III arrondissement (du temple) et sera présidée par M. Frédéric Passy, membre de l'Institut, président de la Société. M. le président communique ensuite la question proposée par le secrétaire perpétuel et formulée par M.Paul Leroy-Beaulieu, membre de l'Institut. Cette question étant adoptée, la parole est à son

auteur.

DE L'INFLUENCE DE LA CIVILISATION SUR L'ACCROISSEMENT

DE LA POPULATION.

M. Paul Leroy-Beaulieu expose ainsi le sujet:

La question de la population a donné lieu, dit-il, à de nom

breuses polémiques. La doctrine de Malthus soulève encore aujourd'hui des discussions, bien que les économistes l'aient depuis longtemps déjà condamnée. Cependant on doit reconnaître que Malthus n'avait pas absolument tort, au moins au point de vue de l'état de la société à son époque. Aujourd'hui cette doctrine n'aurait plus de base sérieuse.

De notre temps, le plus grand danger que puisse engendrer le développement de la civilisation, c'est de déterminer une sorte de stérilité relative pour la race humaine. Les populations civilisées n'augmentent certainement pas en proportion de leur puissance de reproduction.

Mais d'abord il est utile de définir la civilisation; sans prétendre à une définition parfaite, M. Paul Leroy-Beaulieu pense que l'état de civilisation peut être caractérisé par les traits suivants :

1° Diversité des besoins; le sauvage en effet a très peu de besoins, le barbare aspire déjà à un plus grand nombre de jouissances plus variées, enfin l'homme civilisé voit croître ses besoins au fur et à mesure qu'augmentent les moyens de les satisfaire. 2o Accroissement du bien-être. -3° Développement de l'instruction. 4° Idéal plus élevé et plus varié. -5° Désir de s'élever pour soi-même et pour sa famille au-dessus du niveau où l'on s'est trouvé placé dans la société. -6° Désir de voir ses enfants gravir eux-mêmes de nouveaux degrés dans l'échelle sociale.

M. Leroy-Beaulieu développe ces différents points et montre que chacune de ces causes a pour effet de limiter la natalité. Il compare alors la France aux autres pays à ce point de vue. Notre pays représente, dit-il, certainement, la nation la plus civilisée. Cela ne veut pas dire que nous soyons plus riches que l'Angleterre, plus intelligents, plus vertueux, plus avancés au point de vue scientifique que tel ou tel peuple; mais les conditions de bien-être sont plus uniformément répandues dans la masse de notre population. que chez d'autres nations, et c'est chez nous que l'on observe plus communément qu'ailleurs les tendances et les aspirations vers un meilleur sort. C'est ce qui fait que les causes signalées tout à l'heure agissent dans notre pays avec plus d'intensité.

Il est certain que notre population s'accroît avec une lenteur désespérante. Ce n'est pas sur une augmentation de naissances que nous devons compter pour y remédier; c'est plutôt sur une diminution des décès. Ce phénomène est-il particulier à la France? Non, car les autres peuples entrés plus tard que nous dans la voie d'une civilisation intensive, arrivent peu à peu à une situation analogue à la nôtre.M.Leroy-Beaulieu cite alors la Belgique, la Suisse,

qui en sont à peu près, à cet égard, au point où nous en étions nous-mêmes il y a trente ou quarante ans ; l'Angleterre se trouve à peu près, au point de vue de la civilisation, au degré où nous nous trouvions il y a une cinquantaine d'années.

Utilisant les travaux de M. Bodio sur la population, M. LeroyBeaulieu compare le chiffre des naissances par rapport au chiffre de la population dans les différentes régions de l'Europe. Dans la région orientale, par exemple, on trouve une moyenne de 50 naissances pour 1.000 habitants. C'est le chiffre de la Russie; en Serbie, c'est de 40 à 45 pour 1.000; en Roumanie, 40 à 42; en France, la moyenne est descendue à 22; en Autriche, on trouve 38 à 39 naissances pour 1.000; en Allemagne, dans les premières années après la guerre, le chiffre des naissances était de 40 pour 1.000, puis il est descendu à 36 ou 37 pour 1.000 dans ces dernières années. Partout, remarque M. Leroy-Beaulieu, la proportion des naissances par 1.000 habitants diminue visiblement pendant la période des quinze dernières années. En Danemark, elle a baissé à 31 et 29 pour 1.000, en Norwège de 30 à 31, en Suède de 30 et 31 à 29, 28, 27 pour 1.000; en Angleterre et dans le pays de Galles, après avoir été de 35 à 36 dans la première période des quinze années antérieures à 1890, cette proportion est tombée en 1891 et 1892 à 31.

En Belgique, la moyenne, après avoir été de 32, 33, 31, a baissé jusqu'à 28 pour 1.000. Mais en Italie la moyenne est encore de 36 à 37; donc, conclut M. Leroy-Beaulieu, les peuples civilisés ont une réelle tendance à une diminution dans la natalité.

Quelle cause peut-on assigner à ce phénomène suivant les pays? Les uns accusent le régime successoral et invoquent la liberté de tester. D'autres accusent la rigueur du service militaire ou encore l'excès des impôts.

Aucune de ces causes n'est prépondérante et ne suffit pour don ner une explication satisfaisante: par exemple, la Belgique, qui n'a pas le service militaire obligatoire et qui paie le moins d'impôts, a une natalité relativement faible; l'Italie, au contraire, nation qui paie le plus d'impôts, accuse une forte proportion de naissances. C'est ailleurs qu'il faut chercher des causes prédominantes. Au début du siècle agissait une cause artificielle de la multiplicité des naissances c'était l'espèce de prime dont pouvaient profiter les parents en faisant travailler leurs enfants en bas âge; aujourd'hui cette prime a disparu, car l'instruction obligatoire recule jusqu'à 13, 14 ans, l'âge où les enfants deviennent par leur travail rémunérateurs pour leurs parents.

Ajoutez-y les exigences de notre état social, où il devient de plus en plus difficile de se créer une situation, ce qui rend les mariages plus tardifs. Par exemple, dans la plupart des professions libérales, les années les plus fécondes de l'âge adulte se consument dans des études acharnées, des concours, des examens, jusqu'à 30, 35, quelquefois 40 ans.

Pour les femmes, l'âge du mariage recule également; d'après Bodio, cet age, en Angleterre, depuis quelques années, aurait reculé d'un an ou deux; en Belgique, si l'on examine à part les provinces flamandes et les provinces wallonnes, on constate que la natalité est plus forte dans les premières où les traditions, les influences religieuses se sont mieux conservées.

On a invoqué aussi des influences physiologiques. M. LeroyBeaulieu n'y croit pas beaucoup. Il accorde plus de puissance aux influences psychologiques, au désir de s'élever sans cesse audessus de sa condition; à l'affection pour les enfants, à qui les parents veulent léguer une situation au moins égale à la leur. On a enfin voulu faire intervenir la baisse du taux de l'intérêt; cette baisse peut sans doute agir dans une certaine mesure, mais c'est là une conjecture sans portée sérieuse. Quoi qu'il en soit, le phénomène est constant dans notre pays et il ne laisse pas que d'être inquiétant. Cependant l'orateur ne croit pas que le taux des naissances puisse maintenant se relever sensiblement. Ce qui se passe ailleurs ne permet guère de l'espérer. Aux États-Unis, par exemple, où se trouvent rapprochés les éléments les plus prolifiques : Allemands, Irlandais, et depuis quelques années Italiens, la natalité diminue, le dernier Census le signalait particulièrement.

Tout en un mot concourt à prouver que le développement de la civilisation tend à diminuer le nombre des naissances. Pour la France une seule ressource semble effective, c'est la possibilité de réduire le taux de la mortalité de ce côté peut être pourrait-on gagner 100 ou 150.000 existences par an, mais on voit combien çette ressource est encore insuffisante.

M. Jacques Bertillon rappelle d'abord que son père, le D' Bertillon, dont les travaux statistiques sont encore aujourd'hui cités avec éloge, avait indiqué déjà, il y a trente ou quarante ans, les causes signalées par M. Leroy-Beaulieu.

M. Bertillon affirme que la France présente encore aujourd'hui le même phénomène qu'il y a trente ou quarante ans, c'est-àdire une décroissance régulière et continue de sa population.

Elle est le seul pays où ce fait soit constant, et, si l'on veut

s'en convaincre, il ne faut pas se contenter, comme M. P. LeroyBeaulieu et M. Bodio, de considérer une période d'une quinzaine d'années, il faut prendre une série d'années bien plus longue.

L'orateur cite alors quatorze pays d'Europe dont il expose la situation statistique par périodes décennales depuis soixante ans. Il montre par quels rapports sont liées la natalité et la mortalité, dont les courbes sont pour ainsi dire parallèles. L'Angleterre, la Suède, sont particulièrement démonstratives à cet égard.

En Allemagne, la natalité n'a pas baissé. En France, nous perdons un point par période décennale.

Un autre pays accuse un phénomène semblable: ce sont les colonies australiennes. On y comptait, de 1861 à 1865, 41 naissances par 1.000 habitants; cette moyenne est tombée à 32. Et pourtant, la fécondité par mariage y a augmenté; mais le nombre des mariages y a diminué.

En réalité, rien n'indique que les autres pays soient, comme le soutenait M. Leroy Beaulieu, aussi menacés que nous-mêmes. M. Bertillon n'est pas non plus du même avis au sujet des effets à attendre de la diminution des décès. Cette espérance est illusoire. On se figure pouvoir gagner une économie de 60.000 décès sur les maladies dites évitables: on n'obtiendra jamais un pareil chiffre. Certains pays, sans doute, comme l'Allemagne spécialement, sont arrivés à annihiler pour ainsi dire la variole grâce à la vaccination obligatoire. Mais il faudrait par an 400.000 décès de moins en France pour mettre notre pays sur le mème pied que l'Allemagne.

M. le Dr Bertillon se rallie du reste à l'opinion de M. LeroyBeaulieu pour souhaiter une législation sous l'empire de laquelle les enfants ne constituent plus une charge aussi onéreuse pour leurs parents.

M. E. Levasseur, membre de l'Institut, fait remarquer à M. Bertillon que ses appréciations pessimistes sur l'économie d'existences humaines réalisée dans ces derniers temps ne sont pas tout à fait justes, car la moyenne de la vie a certainement augmenté chez nous. Elle a augmenté surtout grâce à une diminution de la mortalité des petits enfants, et l'influence de l'augmentation se fait sentir sur tous les âges. L'hygiène, sérieusement améliorée, y est pour beaucoup, et, quoi qu'en dise M. Bertillon, ne parvint-on à sauver chaque année que 60.000 enfants, il faudrait encore avouer que ce n'est pas à dédaigner.

Le degré de richesse auquel est parvenu un peuple a certaine

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