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Le Comité fera sans doute paraître, dans un délai qui ne peut être actuellement fixé, d'autres tables plus développées, qui tiendront compte de l'âge auquel les têtes observées ont subi la sélection initiale de l'assurance.

Une première édition de ces tables a figuré en 1889 à l'exposition d'Économie sociale, section 7, et a valu un grand prix au Comité et une médaille d'or de collaborateur à chacun des actuaires des quatre compagnies, MM. Cosmao-Dumanou, Giueysse, Marie et Martin Dupray.

DU CONTRAT SOCIAL, par J.-J. ROUSSEAU, édition avec notes de M.DREYFUSBRISAC. Un vol. in-8°. Paris, Félix Alcan, 1896.

M. Dreyfus-Brisac est un admirateur déclaré de J.-J. Rousseau, qu'il voudrait voir plus connu qu'il ne l'est de notre époque. « Nos pères, dit-il, le connaissaient mieux. Comme lui, ils étaient déistes et n'en rougissaient pas. Comme lui, ils n'aimaient pas les prêtres et le disaient bien haut. Comme lui, ils détestaient l'ancien régime et ne croyaient pas en cela faire preuve d'intolérance ni méconnaître l'histoire. Le recueil complet des œuvres de Rousseau formait, avec celui de Voltaire, le noyau de la bibliothèque de tout homme instruit; c'étaient les classiques de la Révolution. Ces deux philosophes ennemis, la reconnaissance nationale les réconciliait dans un sentiment de piété et d'admiration. »

L'ouvrage de Rousseau sur lequel M. Dreyfus-Brisac a porté toute son attention est celui Du contrat social ou Principes du droit politique. Le problème à y résoudre avait été de « trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun, s'unissant à tous, n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant ». C'est le système d'une convention primitive, d'un contrat, qui fournit la solution.

Pacifique dans son but final, qui est de poser les principes du droit. politique et de fonder l'État sur sa base, ce système n'en était pas moins alors révolutionnaire dans ses moyens immédiats. Aussi, lorsque le livre eût paru, imprimé à Amsterdam en 1762, il fut condamné en France et, avec L'Emile du même auteur, condamné également dans la patrie de celui-ci, à Genève, les deux ouvrages, disent les juges de ce dernier pays, « comme téméraires, scandaleux, impies, tendant à détruire la religion chrétienne et tous les gouvernements »>.

Rousseau, pour conserver la liberté de sa personne, dut se réfugier en Hollande.

Mais la situation a bien changé. Et des questions traitées dans le livre du Contrat social, qui étaient prématurées à l'époque où ce livre a été publié, sont à présent d'une vivante actualité, par exemple celles de la souveraineté nationale et des rapports de l'Église et de l'État. Le livre n'a donc pas vieilli.

Il a eu d'assez nombreuses éditions, mais qui toutes assurément n'étaient pas parfaites. M. Dreyfus-Brisac donne un texte qu'il s'est appliqué à rendre correct; et, en outre, il a voulu l'éclairer, dans les détails et dans l'ensemble, par un groupement raisonné de tous les renseignements connus sur la composition de l'œuvre et par le rapprochement d'un certain nombre de passages empruntés surtout à l'auteur lui-même et aussi aux écrivains célèbres qui avaient traité avant lui les mêmes questions.

Rousseau a donc fait des emprunts à ses devanciers; on ne saurait le nier. Est-ce une raison pour refuser à son génie la puissance originale et créatrice? Non, dit M. Dreyfus-Brisac. Car « on n'invente pas les idées ni encore moins les sujets qui les font naître; mais il y a une façon de choisir ces idées, de les associer, de les exprimer, même, qui est une sorte de création; l'importance relative que l'on donne à chacune d'elles, l'ordre dans lequel on les présente, les conclusions que l'on tire de leur rapprochement, ce n'est pas seulement de l'art, c'est de l'invention. Et s'il est vrai que des idées du Contrat social se retrouvent ailleurs, il l'est aussi que « c'est Rousseau qui les a, pour la première fois lancées du Forum avec une éloquence incomparable, devant l'auditoire du monde entier; pour la première fois, dans son écrit immortel, le principe de la souveraineté nationale se dresse victorieusement en face du dogme vingt fois séculaire de la monarchie de droit divin; pour la première fois, le caractère universel de la loi et sa puissance infinie sont établis en termes indestructibles; pour la première fois, les différences du pouvoir délibérant et de l'exécutif sont marquées en traits si nets, si vifs et si fermes que cette image ne s'effacera plus de l'imagination populaire ».

L'œuvre de Rousseau, avant d'arriver à la forme définitive qu'il lui a donnée, n'avait pas été pourtant sans passer par des phases diverses. On a, à cet égard, des indices fournis notamment par des manuscrits autographes conservés dans les bibliothèques de Genève et de Neuchâtel. M. Dreyfus-Brisac y a pris tout ce qui lui a paru utile et ille reproduit à la fin de son volume en deux appendices, à la suite desquels d'autres appendices complètent un ensemble de documents recueillis dans de patientes recherches. Les érudits ne manqueront pas d'être

satisfaits. Et comme le livre a été imprimé avec un soin particulier, les bibliophiles aussi le rechercheront.

LOUIS THEUREAU.

ESSAI SUR L'ORGANISATION DE L'ARBITRAGE INTERNATIONAL (MÉMOIRE AUX PUISSANCES), par le chevalier DESCAMPS, sénateur de Belgique, président de l'Union interparlementaire, avec le projet d'institution d'une Cour permanente d'arbitrage, adopté par la conférence interparlementaire de Bruxelles, session de 1895.

J'ai donné ce titre tout au long parce qu'il indique par lui-même l'importance du document que je tiens à signaler dans cette Revue, comme je l'ai signalé déjà dans l'Indépendance Belge et à l'Académie des sciences morales et politiques. Ainsi que je l'ai dit à l'Académie, et que je le répète à dessein, si le mémoire de M. Descamps est, comme rédaction, une œuvre personnelle, qui lui fait le plus grand honneur, sa publication, en qualité de document adressé aux puissances, est un acte collectif et officiel, puisqu'elle est faite en vertų d'une résolution de l'assemblée, réunie à Bruxelles, au mois d'août dernier, c'est-à-dire au nom des membres des 15 parlements qui étaient représentés à cette assemblée. Je me borne, l'espace et le temps me manquant pour en faire une analyse quelconque, à constater que ce caractère a vivement frappé l'Académie, qui n'a pas cru devoir consacrer, aux observations échangées à ce propos entre ses membres, moins de la moitié d'une de ses séances. J'ajoute qu'une édition à bon marché, destinée à la propagande, se trouve dans les bureaux de l'Indépendance Belge; et je ne saurais trop engager à se la procurer et à la répandre toutes les personnes que préoccupe, à trop juste titre, le problème de la justice et de la sécurité internationale. FRÉDÉRIC PASSY.

TERRE NOIRE, par FRÉDÉRIC MARTY. 1 volume, grand in-8°, avec une préface de M. Sully Prud'homme.

C'est avec un véritable embarras, malgré le haut patronage sous lequel il se présente, que je tente d'apprécier ce livre.

Bien qu'il soit, évidemment, dominé par une préoccupation principale, qui explique son titre et se fait jour à travers ses parties les plus disparates, on ne peut pas dire tout à fait, comme paraît le faire M. Sully Prud'homme, que ce soit une épopée, l'épopée du noir

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travail de la mine. La description géologique et botanique des âges, primitifs, avec un luxe, peut-être un peu excessif, d'expressions scientifiques, y sert de prologue. Et une autre description, plus fantaisiste, celle du cataclysme final de notre globe, en forme l'épilogue.

Ces deux morceaux, malgré leur réelle valeur, sont quelque peu déparés le premier surtout par l'impossibilité de vaincre toutes les résistances qu'opposent, à la forme poétique, les noms rébarbatifs des animaux, des plantes et des phénomènes à décrire; et parfois M. Sully Prud'homme, lui-même, semble le sous-entendre - on est tenté de se dire que ce grandiose résumé des premières et dernières convulsions de notre planète serait plus clair et n'aurait pas moins d'intérêt en simple prose. On peut regretter également l'introduction trop fréquente, dans notre langue, de termes grecs, dont la signification ne peut être familière qu'à un bien petit nombre de lecteurs; et trouver forcée » la transformation des forêts carbon ifères, du temps, de la lumière et des autres agents du grand drame de la nature physique, en personnages animés et sensibles.

On ne voit pas très bien, d'ailleurs, en quoi ces deux grands épisodes, quelque intéressants qu'ils puissent être en eux-mêmes, se relient au corps du poème, qui est la description, sous ses différents aspects, de la vie dramatique des mineurs. Ici, il faut le reconnaître, tout se tient, malgré la grande différence des sujets et des tons, comme se tiennent, dans toute industrie ou toute existence, des opérations diverses et des jours qui ne se ressemblent pas.

Par-ci par-là, cependant, quelques pièces et ce ne sont pas les moins remarquables - viennent comme des hors-d'œuvres couper la trame des noirs récits. Telle est celle intitulée La folie: poignante peinture de la plus affreuse des misères humaines; ou Rayon de soleil, vrai chant de rossignol saluant le printemps.

Par-ci par-là également, se retrouve l'abus des termes techniques signalés plus haut. Et le récit de quelques-unes des grandes catastrophes dont Saint-Etienne a été le théâtre, prend, lui aussi, par un scrupule excessif d'exactitude, un faux air de procès-verbal. Mais, à d'autres moments, quelles envolées véritablement poétiques! Quels vers vigoureusement frappés! Quelle émotion pénétrante surtout, et quel sentiment vrai des dangers, des épreuves, et de l'héroïsme souvent, de la dure vie des mineurs ! La pièce intitulée Aux Poulies, dans laquelle on voit, avec une abnégation stoïque, descendre, les unes après les autres, dans la fosse envahie par le grisou, des escouades de sauveteurs, qui ne sauveront personne! ou celle appelée La reprise du travail, qui nous montre le fils d'un des morts son tour, affronter le péril pour donner du pain à sa mère,

dont il reçoit avant de disparaître dans l'abîme le baiser tremblant et peut être suprême, sont des morceaux qui font frissonner.

Il y en a bien d'autres. Il y a aussi, sous le nom de Pastel ou pour les victimes, appel à une heureuse du jour ou à une marquise dans son salon bleu, deux ravissantes et touchantes petites pièces, qui sont un commentaire trop vrai de la parole adressée, jadis, sur le bord d'une fosse, par un vieux mineur, au grand Georges Stephenson, occupé à chercher un préservatif contre les explosions. Dépêche-loi, car c'est avec la vie des hommes que s'achèle le charbon! » Très élevée aussi, et très belle, la pièce adressée à de jeunes élèves de l'École des Mineurs. Très dignes d'être lues, méditées encore, mais non sans certaines réserves, les réflexions sur l'Antinomie sociale, sur «<les Temps des Prophètes », sur « Le problème du pain » et sur le Nivellement. Partout, dans ces divers morceaux, on sent une compassion profonde pour les souffrances humaines, un désir ardent d'amélioration et de réconciliation, un effort généreux pour faire pénétrer, dans l'âme des heureux de ce monde, plus de pitié, de justice et de préoccupation de leurs responsabilités.

Assurément, ces appels, s'ils pouvaient n'être entendus que de ceux à qui ils sont adressés, malgré leur forme parfois un peu rude, ne pourraient produire que du bien. Ils sont une protestation énergique contre l'égoïsme, sinon contre l'envie; et ce n'est pas à tort que l'auteur, dans un de ses vers lapidaires, demande, pour résoudre la question sociale, moins d'esprit et plus de cœur ! Le cœur n'y suffit pas toutefois, autant qu'il paraît le croire ; et si l'esprit n'y a guère à faire, l'intelligence et la connaissance des lois économiques y sont de première nécessité. Je ne suis pas bien sûr que M. Marty n'ait pas, à cet égard, quelques préventions et quelques illusions à dissiper, quelques études à complèter. Aussi faut-il bien le dire, mis en d'autres mains et sous d'autres yeux, ces même appels, par l'âpreté de leur forme, pourraient, à certaines heures, produire un effet contraire à des intentions excellentes ; et aigrir, au lieu de les apaiser, les douleurs sur lesquelles il s'apitoie. Or, on peut se demander si ceux qui auraient besoin d'être secoués pas de véhémentes apostrophes, dans l'oisiveté, dans le gaspillage ou dans l'emploi coupable de leur vie, tourneront jamais les feuillets de ce volume, ou, s'ils l'ouvrent, ne se håteront pas de le refermer avec irritation. Et l'on peut craindre, d'autre part, qu'il ne soit trop avidement dévoré, s'il arrive à leur connaissance, par ceux sur lesquels il veut appeler la bienveillance et l'équité; et que, perfidement commenté par les faux amis qui ont intérêt à exploiter leurs douleurs et leurs erreurs, il ne contribue, pour le malheur de tous, à accroître les unes et à envenimer les autres.

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