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570 LES FEMMES SAVANTES. Ces deux hommes étaient pour leur malheur enmis de Molière; ils avaient voulu perfuader au duc de Montaufier, que le Mifantrope était fait contre lui; quelque tems après ils avaient eu chez Mademoifelle, fille de Gafton de France, la fcène que Molière a fi bien rendue dans les Femmes favantes. Le malheureux Cottin écrivait également contre Ménage, contre Molière & contre Defpréaux; les fatyres de Defpréaux l'avaient déja couvert de honte, mais Molière l'accabla. Trissotin était appellé aux premières représentations Tricottin. L'acteur qui le représentoit avait affecté, autant qu'il avait pu, de reffembler à l'original par la voix & par le gefte. Enfin, pour comble de ridicule, les vers de Trifotin, facrifiés fur le théâtre à la rifée publique, étaient de l'abbé Cottin même. S'ils avaient été bons, & fi leur auteur avait valu quelque chofe, la critique fanglante de Molière & celle de Defpréaux ne lui euffent pas ôté fa répution. Molière lui-même avait été joué auffi cruellement fur le théâtre de l'hôtel de Bourgogne, & n'en fut pas moins eftimé: le vrai mérite réfifte à la fatyre. Mais Cottin était bien loin de pouvoir fe foutenir contre de telles attaques; on dit qu'il fut fi accablé de ce dernier coup, qu'il tomba dans une mélancolie qui le conduifit au tombeau. Les fatyres de Defpréaux coûtèrent auffi la vie à l'abbé Callaigne: trifte effet d'une liberté plus dangereufe qu'utile, & qui flatte plus la malignité humaine, qu'elle n'infpire le bon goût.

La meilleure fatyre qu'on puiffe faire des mauvais poëtes, c'eft de donner d'excellens ouvrages; Molière & Defpréaux n'avaient pas befoin d'y ajouter des injures.

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LES AMANS MAGNIFIQUES, Comédie-ballet en profe & en cinq actes, repréfentée devant le roi à St. Germain, au mois de Février 1670.

LOUIS

OUIS XIV lui-même donna le fujet de cette pièce à Molière. Il voulut qu'on représentât deux princes qui fe difputeraient une maîtreffe, en lui donnant des fêtes magnifiques & galantes. Molière fervit le roi avec précipitation. Il mit dans cet ouvrage deux perfonnages qu'il n'avait point encor fait paroître fur fon théâtre, un aftrologue, & un fou de cour. Le monde n'était point alors défabufé de l'aftrologie judiciaire; on y croyait d'autant plus, qu'on connaiffait moins la véritable aftronomie. Il eft rapporté dans Vittorio Siri, qu'on n'avait pas manqué, à la naiffance de Louis XIV, de faire tenir un aftrologue dans un cabinet voifin de celui où la reine accouchait. C'eft dans les cours que cette fuperftition régne davantage parce que c'eft là qu'on a plus d'inquiétude fur l'avenir.

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Les fous y étaient auffi à la mode; chaque prince & chaque grand feigneur même avait fon fou; & les hommes n'ont quitté ce refte de barbarie, qu'à mesure qu'ils ont plus connu les plaifirs de la fociété & ceux que donnent les beaux-arts. Le fou qui eft représenté dans Molière, n'eft point un fou ridicule, tel que le Moron de la Princesse d'Elide; mais un homme adroit, & qui ayant la liberté de tout dire, s'en fert avec habileté & avec fineffe. La mufique eft de Lulli. Cette piéce ne fut jouée qu'à la cour, & ne pouvait guères réuffir que par le mérite du divertiffement, & par celui de l'à-propos.

On ne doit pas omettre, que dans les divertiffemens des Amans magnifiques, il fe trouve une traduction de l'ode d'Horace:

Donec gratus eram tibi.

572 LACOMTESSE D'ES CARBAGNAS.

LA COMPTESSE D'ESCARBAGNAS, Petite comédie en un acte, & en profe, représentée devant le roi à St. Germain, en Février 1672, & à Paris fur le théâtre du palais-royal le 8 Juillet de la même année.

C'Eft une farce, mais toute de caractères, qui

eft une peinture naïve, peut-être en quelques endroits trop fimple, des ridicules de la province; ridicules dont on s'eft beaucoup corrigé à mefure que le goût de la fociété, & la politeffe aitée qui règne en France, fe font répandus de proche en proche.

LE MALADE

IMAGINAIRE,

En trois actes, avec des intermèdes, fut représentée fur le théâtre du palais-royal le 10 Février 1673.

C'EA

'Eft une de ces farces de Molière dans laquelle on trouve beaucoup de fcènes dignes de la haute comédie. La naïveté, peut-être pouffée trop loin, en fait le principal caractère. Ses farces ont le défaut d'être quelquefois un peu trop baffes, & fes comédies de n'être pas toujours affez intéreffantes. Mais avec tous ces défauts-là, il fera toujours le premier de tous les poetes comiques. Depuis lui, le théâtre français s'eft fou& même a été affervi à des loix de décence plus rigoureufes que du tems de Molière. On n'oferait aujourd'hui hazarder la fcène où le Tartuffe preffe la femme de fon hôte; on n'oferait fe fervir des termes de Fils de putain, de Carogne, & même de Cocu; la plus exacte bienféance règne dans les piéces modernes. Il est

tenu,

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étrange que tant de régularité n'ait pu lever encor cette tache, qu'un préjugé très injufte attache à la profeffion de comédien. Ils étaient honorés dans Athènes où ils repréfentaient de moins bons ouvrages. Il y a de la cruauté à vouloir avilir des hommes néceffaires à un état bien policé, qui exercent, fous les yeux des magiftrats, un talent très difficile & très eftimable. Mais c'eft le fort de tous ceux qui n'ont que leur talent pour appui, de travailler pour un public ingrat.

On demande pourquoi Molière ayant autant de réputation que Racine, le fpectacle cependant eft défert quand on joue fes comédies, & qu'il ne va prefque plus perfonne à ce même Tartuffe qui attirait autrefois tout Paris, tandis qu'on court encor avec empreffement aux tragédies de Racine lorfqu'elles font bien repréfentées? C'est que la peinture de nos paffions nous touche encor davantage que le portrait de nos ridicules, c'eft que l'efprit fe laffe des plaifanteries, & que le coeur eft inépuifable. L'oreille eft auffi plus flattée de l'harmonie des beaux vers tragiques & de la magie étonnante du ftile de Racine, qu'elle ne peut l'être du langage propre à la comédie; ce langage peut plaire, mais il ne peut jamais émouvoir, & l'on ne vient au fpectacle que pour être ému.

Il faut encor convenir que Molière, tout admirable qu'il eft dans fon genre, n'a ni, des intrigues affez attachantes, ni des dénouemens affez heureux, tant l'art dramatique est difficile.

Fin du tome premier.

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