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LE SOCIALISME MUNICIPAL EN ANGLETERRE

Ce n'est pas évidemment au Journal des Economistes qu'on pourrait trouver des partisans du socialisme municipal; tout récemment encore, M. de Molinari, dans une de ses chroniques mensuelles, en faisait ressortir les inconvénients. Mais, partisan ou non, on ne saurait ignorer ce qui se passe actuellement dans cet ordre d'idées, surtout en Angleterre, où la municipalisation des services divers semble prendre une extension croissante. Un article paru cette année 1 donne à cet égard tous les renseignements désirables.

Toutefois, il ne faut pas oublier que l'organisation anglaise est notablement différente de la nôtre, que l'État n'est pas comme chez nous l'unique dispensateur de tout, que des comités nombreux dirigent des services locaux qui, en France, sont du ressort de l'administration supérieure ou de ses délégués, et qu'il y a donc un terrain mieux préparé pour le rôle que jouent en ce moment nombre de municipalités anglaises, en même temps que l'habitude que les membres des comités ont de discuter l'emploi des fonds qui leur sont dévolus, les critiques qui ne leur sont pas épargnées quand leurs agissements laissent à désirer, forment des administrateurs peu enclins au gaspillage trop souvent élevé chez nous à la hauteur d'une institution. Et même en admettant que l'expérience tentée maintenant sur divers points en Angleterre eût un résultat favorable, cela ne serait pas une raison pour admettre ipso facto qu'il en serait de même en France.

Au 3 mars 1893, l'ensemble des emprunts contractés par les autorités locales de l'Angleterre proprement dite et du pays de Galles, et non remboursés, atteignait le chiffre de 215.343.545 livres sterling, et en y ajoutant les montants remboursés déjà, ou pris sur des capitaux appartenant aux municipalités, le total dépensé ne devait pas être inférieur à 300 millions de livres (7.500 millions de francs); il y aurait à y ajouter encore les dépenses de même genre faites en Ecosse et en Irlande. Mais et comme suite à la différence d'organisation des deux pays on y trouve, pour des chiffres élevés, des dépenses pour des travaux qui, totalement ou partiellement, appartiennent aux villes, aux départements, ou à certaines administrations locales ports, jetées, docks, quais, pour 32 millions de livres ; écoles, 20 millions; marchés, 5 millions 1/2; ponts et bacs, 4 millions; cimetières, 2 millions, 6;

1 Some facts and considerations about municipal socialism, par M. Sydney Webb (Annual of the Co-operative Society 1896).

drainage, talus, digues, etc., 3 millions; parcs, jardins publics, 4 mil-
lions 1/2; bibliothèques publiques, postes de police, etc., 6,3 millions;
hôpitaux, asiles d'aliénés, infirmeries, etc., 11 millions 1/2; chemins,
rues, 29 millions. Tandis que chez nous ces diverses dépenses sont
faites conformément à des lois et règlements s'appliquant à tous, elles
sont facultatives en Angleterre. C'est ainsi que M. Sydney Webb peut
citer 30 bourgs municipaux ou de comtés n'ayant fait en 1892-1893
aucune dépense relative aux marchés et foires, 18 bourgs impor-
tants n'ayant rien dépensé pour les hôpitaux, 20 ayant fait de méme
pour ce qui touche les bibliothèques, musées, écoles de science ou
d'art, ou éducation technique. Il en résulte que les municipalités qui
se chargent de fournir les fonds nécessaires en les prélevant sur les
ressources à leur disposition, accomplissent ainsi un véritable service
public pour le compte de leurs administrés.

Seulement là ne se bornent pas les entreprises des municipalités
anglaises. Le maximum de dépenses a lieu pour la délivrance de l'eau
potable, 41 millions de livres, plus de 1 milliard de francs, y étant
employés. L'utilité de telles dépenses, au point de vue hygiénique,
n'est pas discutable; d'autre part, il est certain que les entreprises
privées ont réalisé de beaux bénéfices; mais les résultats obtenus par
les municipalités ne sont pas indiqués, de sorte qu'on ne saurait dire
si l'avantage du moindre coût est apparent ou réel. Le gaz et la
lumière électrique tiennent une place moins large, puisqu'une
somme un peu inférieure à 16 millions de livres figure pour le reliquat
restant dù fin de l'année 1893; mais là le mouvement se dessine
avec une remarquable intensité, comme le montre le tableau
suivant :

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Les résultats totaux de 1893-94 ne sont pas fournis, ce qui se comprend sans peine; on les donne uniquement pour 10 villes importantes Birmingham, Manchester, Leeds, Edinburgh et Leith, Glasgow, Nottingham, Leicester, Salford, Bradford, Bolton, On a les chiffres ciaprès :

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La répartition du bénéfice est ici fort variable. Il atteint, proportionnellement au capital, plus de 5 p. 100 à Bolton, à peu près 3 p. 100 à Glasgow et à Leicester, pour arriver à un chiffre insignifiant à Bradford, et même à une perte légère à Leeds. Mais cela résulte principalement des vues différentes des municipalités, dont les unes vendent le gaz à peu près au prix des autres compagnies, employant le bénéfice réalisé à d'autres usages, tandis que d'autres, au contraire, cherchent uniquement à couvrir le montant de leurs frais et dépenses. Les entreprises de lumière électrique, bien moins nombreuses, conduiraient à des résultats analogues.

La construction et l'exploitation des lignes de tramways rentrent aussi dans les entreprises municipales. Au 30 juin 1894, 37 lignes étaient exploitées aussi, ayant une longueur de 315 milles (507 kilomètres), les frais de construction s'étant élevés à 3.887.534 livres sterling. Le résultat est donné pour Glasgow seulement, pour 11 mois finissant au 30 juin 1894. Le capital d'établissement s'élevant à 674.650 livres sterling, les recettes ont atteint 226.414 livres sterling, et le bénéfice net 24.204 livres sterling; sur cette somme la part considérée comme recette communale a été de 8.260 livres sterling.

L'établissement de bains, lavoirs, etc., laissait encore à fin 1893 un solde supérieur à 1.100 mille liv. sterling. Mais l'article auquel nous empruntons ces données ne dit pas quels résultats financiers sont obtenus, et il est probable que ces établissements sont faits uniquement dans un but d'hygiène, et comme utiles à la communauté tout entière.

Là ne se bornent pas les entreprises municipales, car en outre des 4 millions de livres attribués à l'amélioration des habitations ouvrières, 32 millions sont inscrits sous la rubrique : tous autres objets. L'énormité relative de cette somme permet de supposer que ce total est le résultat de multiples emplois, s'appliquant à peu près à tout ce qui constitue la vie sociale.

Quant aux résultats obtenus, il serait difficile de les discuter, et de voir s'il est bien tenu compte de toutes les charges directes et indi

rectes en établissant le bénéfice net; le contraire est ici extrêmement facile, d'autant plus que l'annonce qu'un bénéfice, même minime, est réalisé, dispense généralement d'entrer dans de plus amples détails. Et même si ces bénéfices étaient constatés, il ne nous paraît pas que la municipalisation de tous les services fût désirable. Sans doute on peut admettre que les monopoles, certains tout au moins, procurent à ceux qui les détiennent des avantages critiquables; mais des stipulations convenables dans les cahiers des charges, alors qu'un monopole doit être concédé, donnent le moyen de modifier cet état de choses. Et pour le reste, nous pensons que la communauté tout entière doit retirer plus d'avantages réels des efforts provenant de la libre initiative et de la concurrence, que des services municipaux les mieux établis, d'autant plus que ceux-ci, par leur monopole de fait, aboutiraient fatalement à la suppression de toute émulation.

T. XXVI.

--

G. FRANÇOIS.

JUIN 1896.

25

L'ASSOCIATION ALLEMANDE

POUR

LA LIBERTÉ COMMERCIALE

L'Associationallemande pour le développement de la liberté commerciale a tenu, cette année, sa session à Lubeck, dans une de ces vieilles cités hanséatiques dont la grandeur a été fondée sur le libre déploiement du commerce maritime. C'est M. L. Bamberger qui a présidé cette réunion, et il y a prononcé un excellent discours qui mérite d'être placé sous les yeux de nos lecteurs.

M. Bamberger croit que le nombre des partisans de la liberté économique deviendrait plus grand, si les hommes engagés dans les affaires et absorbés par elles, comprenaient mieux la nécessité de secouer leur indifférence et de s'unir davantage pour choisir des représentants capables de les défendre contre les empiétements de leurs adversaires. Il ne faut pas se dissimuler qu'actuellement les partisans de la liberté économique sont une minorité en Allemagne, mais il n'y a rien là qui doive ébranler le courage de ceux qui luttent pour la bonne cause. L'économie politique, comme science, n'a guère plus d'un siècle, et dans quelques jours seulement l'Angleterre célébrera le cinquantenaire de l'abolition des droits sur les céréales.

M. Bamberger admet qu'il est de mode de considérer la liberté commerciale comme quelque chose de suranné, et cependant il cherche en vain la doctrine scientifique qui réussit à réfuter la théorie du libreéchange. En dehors de l'Américain Carey, il n'existe pour ainsi dire pas de traité présentant l'ombre de méthode scientifique pour défendre le protectionnisme, tel qu'on le comprend aujourd'hui ; le système actuel est bien éloigné de ce que List1 enseignait il y a quelque cinquante ans. Il est incroyable comme les anciens préjugés sont vivaces et comme ils continuent à trouver asile dans les Parlements. Le mercantilisme n'est pas mort, et il se rencontre toujours des gens pour gémir, quand il sort du métal précieux du pays ou quand les exportations sont inférieures aux importations.

1 Voir l'article List du Dictionnaire d'Economie politique.

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