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Je ne m'étonnerais pas de leur entreprise s'ils adressaient leurs discours aux fidèles, car il est certain [que ceux]' qui ont la foi vive dedans le cœur voient incontinent que tout ce qui est n'est autre chose que l'ouvrage du Dieu qu'ils adorent. Mais pour ceux en qui cette lumière s'est éteinte, et dans lesquels on a dessein de la faire revivre, ces personnes destituées de foi et de grâce, qui, recherchant de toute leur lumière tout ce qu'ils voient dans la nature qui les peut mener à cette connaissance, ne trouvent qu'obscurité et ténèbres; dire à ceux-là qu'ils n'ont qu'à voir la moindre des choses qui les environnent, et qu'ils verront Dieu à découvert, et leur donner, pour toute preuve de ce grand et important sujet, le cours de la lune et des planètes, et prétendre avoir achevé sa preuve2 avec un tel discours, c'est leur donner sujet de croire que les preuves de notre religion sont bien faibles; et je vois par raison et par expérience que rien n'est plus propre à leur en faire naître le mépris.

Ce n'est pas de cette sorte que l'Écriture, qui connaît mieux les choses qui sont de Dieu, en parle. Elle dit au contraire que Dieu est un Dieu caché ; et que, depuis la corruption de la nature, il les a

deorum, Sénèque dans le De Beneficiis l'ont développée amplement, et elle est reprise par Fénelon du point de vue chrétien, par Bernardin de Saint-Pierre du point de vue déiste. Pascal la trouvait plus particulièrement chez les trois apologistes dont il se proposait de parler ici: Raymond Sebon, Charron et Grotius. Cf. fr. 556.

1. Ces mots ne sont pas dans le manuscrit.

2. Correction; la phrase écrite d'abord sous la dictée de Pascal était [Prétend de l'avoir achevée sans preuve.]

laissés dans un aveuglement dont ils ne peuvent sortir que par Jésus-Christ, hors duquel toute communication avec Dieu est ôtée: Nemo novit Patrem, nisi Filius, et cui voluerit Filius revelare1.

C'est ce que l'Écriture nous marque, quand elle dit en tant d'endroits que ceux qui cherchent Dieu le trouvent. Ce n'est point de cette lumière qu'on parle, comme le jour en plein midi. On ne dit point que ceux qui cherchent le jour en plein midi, ou de l'eau dans la mer, en trouveront; et ainsi il faut bien que l'évidence de Dieu ne soit pas telle dans la nature; aussi elle nous dit ailleurs: Vere tu es Deus absconditus3.

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C'est une chose admirable que jamais auteur canonique ne s'est servi de la nature pour prouver Dieu. Tous tendent à le faire croire. David, Salo

1. Omnia mihi tradita sunt a Patre meo. Et nemo novit Filium, nisi Pater: neque Patrem quis novit, nisi Filius, et cui voluerit Filius revelare. Matth., XI, 27.

2. Petite et dabitur vobis: quærite, et invenietis: pulsate, et aperietur vobis. Matth., VII, 7.

3. Cf. fr. 194, 518 et 585.

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Cf. C., 470; Bos., II, III, 3; FAUG., II, 116; HAV., X, 6; MOL., I, 313; MICH., 926.

4. A le faire croire, mais non à le prouver. Pascal connaît le Psaume XVIII, Cali enarrant gloriam Dei; il reproduit à diverses reprises la conception de saint Paul qui fait de la nature l'image de la grâce. Mais il se refuse à y voir des preuves, au sens philosophique du mot; il oppose avec netteté la croyance d'ordre pratique et la démonstration d'ordre spéculatif, le Glauben et le Wissen, suivant - 12

PENSÉES.

II

mon, etc., jamais n'ont dit: Il n'y a point de vide, donc il y a un Dieu1. Il fallait qu'ils fussent plus habiles que les plus habiles gens qui sont venus depuis, qui s'en sont tous servis. Cela est très considérable.

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Eh quoi ne dites-vous pas vous-même que le ciel et les oiseaux prouvent Dieu ? - Non. - Et votre religion ne le dit-elle pas ? Non. Car encore que cela est vrai en un sens pour quelques âmes à qui Dieu donne cette lumière, néanmoins cela est faux à l'égard de la plupart.

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les expressions employées par Kant dans un passage célèbre de la seconde préface de la Critique de la raison pure spéculative.

1. Grotius, V. R. C., I, vir: « Neque vero singula tantum ad peculiarem suum finem ordinantur, sed et ad communem Universi; ut apparet in aqua, quæ contra naturam sibi propriam sursum movetur, ne inani interposito hiet Universi compages: ita facta ut continua partium cohæsione semet sustineat. >>

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Cf. B., 1; C., 13; FAUG., II, 389; HAV., XXV, 200; MoL., I, 314; MICH., 71 (avec le fr. 227, voir la note du fr. 227).

2. Pascal vise ici les démonstrations traditionnelles dont il retrouvait le développement au début du traité de Grotius (I, VII). 3. [Au contraire.]

4. Au xvire siècle l'usage est de construire encore que avec le subjonctif, et Pascal s'y conforme : « Encore qu'ils soient fort opposés à ceux qui commettent des crimes » (VIIIe Prov.). Au xvIe siècle on trouve des exemples de l'indicatif. Littré cite ces vers de la Boétie (478):

5. [Que.]

Encor qu'Homère est le premier compté,
De s'arrêter les autres n'ont eu garde.

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Il y a trois moyens de croire: la raison', la coutume, l'inspiration. La religion chrétienne, qui seule a la raison, n'admet pas pour ses vrais enfants ceux qui croient sans inspiration; ce n'est pas qu'elle exclue la raison et la coutume, au contraire; mais il faut ouvrir son esprit aux preuves, s'y confirmer par la coutume, mais s'offrir par les humiliations aux inspirations, qui seules peuvent faire le vrai et salutaire effet: Ne evacuetur crux Christi.

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Cf. B., 420; C., 394; P. R., XXVIII, 59; Bos., II, xvii, 52; FauG., II, 177; HAV., XXIV, 42; MoL., II, 58; MICH., 33.

1. Au début de l'Apologie, Montaigne s'exprime ainsi : « Nous ne nous contentons point de servir Dieu d'esprit et d'ame; nous luy debvons encores, et rendons, une reverence corporelle; nous appliquons nos membres mesmes, et nos mouvements, et les choses externes, à l'honorer i en fault faire de mesme, et accompaigner nostre foy de toute la raison qui est en nous. »

2. La révélation.] – Le terme de révélation que Pascal avait employé d'abord s'oppose nettement à la raison et la coutume; pourtant il a préféré le mot d'inspiration,fc'est sans doute qu'il lui a paru caractériser mieux la source intérieure qui vivifie la foi; la révélation est un fait, elle émane d'une autorité extérieure ; pour avoir son efficacité, pour engendrer le salut, elle demande l'inspiration du cœur. 3. (A le.]

4. [Disposer.]

5. La machine, en ôtant les obstacles, permet quelquefois cette transformation totale de l'âme qui paraît d'abord impossible.

6. I Cor. I, 17. Non enim misit me Christus baptizare sed evangelizare: non in sapientia verbi, sed ut non evacuetur crux Christi. Pascal, en même temps qu'à saint Paul, pense au commentaire que saint Augustin a donné dans son livre de La Nature et de la Grâce, écrit contre Pélage: « La croix du Christ est devenue vaine, si l'on dit qu'il est possible de parvenir à la justice et à la vie éternelle en croyant au Dieu

25]

Ordre.

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Après la lettre qu'on doit chercher Dieu faire la lettre d'ôter les obstacles, qui est le discours de la machine', de préparer la machine, de chercher par raison2.

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Ordre. - Une lettre d'exhortation à un ami pour

qui a fait le ciel et la terre, et de remplir sa volonté en vivant bien, sans être pénétré de la foi en la passion du Christ et en sa résurrection. » Jansenius, Augustinus, tome I, liv. III, ch. XXIV, cite ce passage et en fait le thème principal du jansénisme.

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Cf. B., 2; C., 15; FAUG., II, 391; HAV., X, 10; MOL., II, 62; MICH., 62.

1. Pascal avait déjà employé cette expression d'une façon remarquable dans le passage suivant du Discours sur les Passions de l'Amour: « L'on a ôté mal à propos le nom de raison à l'amour, et on les a opposés sans un bon fondement, car l'amour et la raison n'est qu'une même chose. C'est une précipitation de pensées qui se porte d'un côté sans bien examiner tout, mais c'est toujours une raison, et l'on ne doit et on ne peut pas souhaiter que ce soit autrement, car nous serions des machines très désagréables. » La machine, c'est la partie de notre être qui est soustraite à l'autorité de la raison et qui agit en vertu des lois qui lui sont propres, c'est notre corps considéré comme semblable aux automates construits par l'industrie. Le mécanisme cartésien avait au XVIIe siècle répandu et popularisé la conception de l'automatisme corporel, et la doctrine des animaux-machines avait répandu et popularisé l'expression de machine.

2. Les obstacles, c'est le double libertinage de la vie et de la pensée. Préparer la machine à recevoir la foi, c'est prendre l'attitude et pratiquer les œuvres du chrétien, c'est quitter les plaisirs et chasser les passions. Chercher par raison, c'est se guérir du scepticisme en comprenant la relation que la raison soutient avec la foi.

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Cf. B., 1; C., 14; FAUG., II, 390; HAV., X, 9; MOL., II, 62; MICH., 61. 3. [Où un ami dit.]

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